Les images déchirantes de la dépouille d'un petit garçon syrien, Alan Kurdi, sur une plage turque, le visage dans le sable, puis dans les bras d'un travailleur de sauvetage, ont révélé au monde entier l'horreur de la crise qui se déroule aux frontières de l'Europe.
Sa famille était venue de Kobani, fuyant avec des centaines de milliers d'autres. Un siège prolongé du groupe Etat islamique (EI) et d'intenses bombardements américains n’ont laissé de cette ville syrienne que des ruines, détruit ses maisons, son approvisionnement en eau et en électricité, son système d'assainissement, et ses infrastructures médicales. En tout, douze réfugiés ont trouvé la mort avec Alan, dont sa mère et son frère âgé de cinq ans, noyés en essayant d'atteindre la Grèce. Son père, seul survivant de la famille, a dit qu'il retournerait en Syrie avec leurs corps pour dire à ses parents qu'il espérait seulement mourir et être enterré à côté d'eux.
Les coupables de ces décès ne manquent pas, comme pour plusieurs milliers d'autres morts, noyés en Méditerranée ou asphyxiés après avoir été entassés dans des fourgons surchauffés.
Le gouvernement du Parti conservateur au Canada a ignoré une demande faite en juin par la tante de l'enfant, qui vit en Colombie-Britannique, d'accorder l'asile à la famille d'Alan.
Les pays de l'Union européenne tentent de réprimer et de dissuader les réfugiés en mettant en place des camps de concentration et en déployant la police anti-émeute, afin de créer une Europe forteresse qui garde à distance les familles désespérées comme celle d'Alan. Ils condamnent ainsi à mort des milliers de personnes innocentes.
Mais qu’en est-il des puissances de l'OTAN, dont les Etats-Unis et la France, et de leurs guerres? Les politiciens et les médias sont volontairement muets sur leur rôle central dans la création de cette tragédie aux frontières de l'Europe.
Ainsi, le Washington Post a publié un éditorial cette semaine pour indiquer que « l'on ne peut pas s'attendre à ce que [l'Europe] puisse résoudre toute seule un problème dont les origines se situent en Afghanistan, au Soudan, en Libye et avant tout en Syrie ». Au New York Times, c'est le même son de cloche: «Les racines de cette catastrophe se trouvent dans des crises que l'Union européenne ne peut pas résoudre toute seule: les guerre en Syrie et en Irak, le chaos en Libye … ».
Mais quelles sont les «racines» des crises dans ces pays, qui ont donné naissance à la «catastrophe» des réfugiés? Ces journaux ne répondent à cette question que par un silence coupable.
Tout examen sérieux des causes de l'afflux de réfugiés vers l'Europe conduit à la conclusion qu'il ne s'agit pas seulement d'une tragédie, mais d'un crime. C'est le sous-produit tragique d'une politique criminelle de guerres d'agression et de changement de régime poursuivies sans interruption par l'impérialisme américain, avec l'aide et la complicité active de ses alliés d'Europe occidentale, au cours de près d'un quart de siècle.
Suite à la dissolution de l'URSS en 1991, l'élite dirigeante américaine a conclu qu'elle était libre d'exploiter la puissance militaire inégalée des USA afin de compenser le déclin économique à long terme du capitalisme américain. Par le biais de l'agression militaire, Washington a suivi une stratégie visant à établir son hégémonie sur les marchés clés et les sources de matières premières. Les régions riches en énergie du Moyen-Orient et d'Asie centrale furent la première cible.
Le Wall Street Journal l'a résumé crûment en lançant ce slogan après la première guerre contre l'Irak en 1991: « La force, ça marche » !
Aujourd’hui, la vague des réfugiés désespérés qui tentent d'atteindre l'Europe témoigne des effets horribles de cette politique poursuivie inlassablement depuis un quart de siècle.
Des guerres de plus de dix ans en Afghanistan et en Irak, menées sous prétexte de «guerre contre le terrorisme» et justifiées par les infâmes mensonges de l’existence d' « armes de destruction massive » en Iraq, n'ont réussi qu'à détruire des sociétés entières. Des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d’enfants sont morts.
Les Etats-Unis et l'OTAN ont ensuite mené une guerre, soutenue par la France, pour renverser le régime de Mouammar Kadhafi. La Libye fut transformée en chaos sanglant, ravagée par des combats continus entre milices islamistes rivales. Puis vint la guerre civile syrienne. Attisée, armée et financée par l'impérialisme américain et ses alliés, elle devait leur permettre de renverser Bachar al-Assad et d'imposer une marionnette occidentale plus malléable à Damas.
On a justifié les interventions prédatrices en Libye et en Syrie au nom des «droits de l’homme» et de «la démocratie». Avec cette rhétorique creuse et malhonnête, toute une gamme d'organisations de la pseudo gauche petite-bourgeoise (Parti de Gauche en Allemagne, le Nouveau Parti anticapitaliste en France, l'International Socialist Organization aux États-Unis, etc) a justifié de soutenir cette guerre. Beaucoup d'entre elles ont même salué comme des «révolutions» les actions des milices islamistes armées et financées par la CIA .
La situation actuelle et la menace de mort insoutenable qui force des centaines de milliers de personnes à fuir, représentent la confluence de tous ces crimes impérialistes. Les guerres civiles sectaires sanglantes en Libye et en Syrie sont le produit de la dévastation de l'Irak, suivi par le soutien apporté par la CIA et les services de renseignement européens aux milices islamistes en Libye, en Syrie, et à travers la région.
Personne n'a été tenu responsable de ces crimes. Bush et son administration ont mené une guerre d'agression en Irak avec le soutien des gouvernements britannique, italien, et espagnol, à laquelle la république française s'est ralliée sur le tard sous Nicolas Sarkozy, et joui d'une impunité totale. Ni Obama ni Hollande, pas plus que leurs alliés européens et moyen-orientaux, n'ont de comptes à rendre pour les catastrophes provoquées par leurs guerres en Libye ou en Syrie. Leurs complices sont nombreux, du Congrès américain qui entérine des guerres sans discussion, aux médias occidentaux qui justifient sans broncher toutes les guerres, aux partis de la pseudo gauche qui applaudissent les interventions « humanitaires » de l'impérialisme.
Ensemble, ils sont responsables de ce qui se déroule aux frontières de l'Europe et qui est en fait un vaste crime de guerre en train de se produire.
(Article paru en anglais le 4 septembre 2015)