Le secrétaire d’Etat américain à la Défense, Ashton Carter, a profité d’une visite hier sur le porte-avions USS Theodore Roosevelt et d’une conférence de presse à son bord pour lancer de nouvelles menaces provocatrices contre la Chine au sujet de ses revendications territoriales en Mer de Chine du sud.
La visite eut lieu le lendemain d’une réunion des ministres de la Défense de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) dans la capitale malaisienne Kualu Lumpur. Celle-ci s’est achevée sans publier le communiqué sur « la liberté de navigation » dans la région voulu par les Etats-Unis comme couverture politique de leur offensive militaire contre la Chine.
Carter a rejoint le porte-avions USS Theodore Roosevelt par les airs; celui-ci est stationné en Mer de Chine du sud à quelque 150 à 200 miles au sud des îles contestées Spratley où la Chine a entrepris des travaux de poldérisation. Il était accompagné du ministre malaisien de la Défense Hishammuddin Hussein pour renforcer l’affirmation des Etats-Unis que leurs actions ont le soutien des pays de la région.
Les observations de Carter à bord du porte-avions montrent clairement que les Etats-Unis accélèreront leurs provocations militaires après l’intrusion délibérée la semaine passée du destroyer américain USS Larson dans les eaux territoriales qui entourent une des îles revendiquées par la Chine. Elles renforcent aussi la pression sur les pays de la région pour qu’ils la soutiennent.
Carter a dit que sa présence sur le porte-avions était « un symbole et représentait l’influence stabilisante des Etats-Unis depuis des décennies dans cette région du monde. » Le « rééquilibrage » de la région – terme officiel désignant le « pivot » américain « vers l’Asie » – visait « à maintenir cet état de fait. » C'est-à-dire qu’après avoir établi leur domination militaire dans la région à la fin de la Seconde Guerre mondiale, y compris en Mer de Chine du sud, les Etats-Unis chercheront à la maintenir à tout prix, le cas échéant même par une confrontation militaire avec la Chine.
Comme dans toutes les campagnes militaires menées par les Etats-Unis depuis le début du vingtième siècle où ils sont devenus puissance impérialiste, ceux-ci cherchent à justifier leurs actes par le besoin de réagir aux inquiétudes d’autres pays. Carter s’en tient à ce scenario rebattu.
« Le fait que je sois ici avec le ministre de la Défense d’un autre pays… en l’occurrence la Malaisie… fait foi de la forte demande, ici dans cette région, pour une présence américaine, » a-t-il dit.
A la réunion de l’ASEAN, Carter a prétendu que la question centrale était la préoccupation des pays de la région sur les activités de la Chine, tant ce qu’il a appelé les revendications territoriales « extravagantes » de celle-ci que la militarisation qui allait avec.
« De nombreux pays de la région s’adressent aux Etats-Unis pour [leur] demander de collaborer davantage avec eux de façon à maintenir la paix ici. Et donc, ceci [sa visite à bord du navire] est un symbole et une indication du rôle essentiel que joue la puissance militaire américaine… dans ce qui est une région de grande conséquence pour l’avenir américain. »
Ce dernier point met en évidence les véritables objectifs de la politique américaine. Ils ne visent pas à défendre la paix face aux activités militaires chinoises mais à garantir la domination américaine sur l’une des plus importantes régions économiques du monde.
Un échange révélateur eut lieu durant la conférence de presse en réponse à la question d’un journaliste qui avait fait remarquer que le surnom du porte-avions était « The Big Stick » (Le gros bâton) – d’après la formule du président Theodore Roosevelt comme quoi les Etats-Unis devaient « parler doucement et porter un gros bâton. »
Après avoir dit que les objectifs américains avaient « en quelque sorte échoué » lors des pourparlers de l’ASEAN – en référence au fait que Etats-Unis n’ont pu obtenir un soutien direct pour leurs opérations de « liberté de navigation » dans un communiqué final – le journaliste a demandé : « Ceci est-il un rappel de la puissance américaine qui se cache derrière des formes diplomatiques plus douces ? »
Carter commença à répondre par des observations générales sur la façon dont les Etats-Unis cherchaient toujours à mener des discussions sur les questions de sécurité, vu qu’il valait mieux en parler, y compris avec la Chine et affirma que la région avait connu la stabilité grâce au rôle joué par les Etats-Unis.
« Beaucoup de gens affluent vers nous et nous demandent de poursuivre ce rôle. C’est notre intention. La puissance du [porte-avions] RT en est le reflet, » a-t-il précisé en ajoutant, « le monde en dépend parce que la moitié de la population, la moitié de l’économie se trouve ici. »
La prétention que les Etats-Unis ont promu la « stabilité » dans cette région est de la pure fiction. Dans les 30 ans qui ont suivi une Seconde Guerre mondiale qui a fini sur le largage de deux bombes atomiques sur le Japon, la région entière a été dévastée par des guerres et des meurtres de masse provoqués par les Etats-Unis, dont la guerre de Corée (1950-1953), la guerre du Vietnam et le coup orchestré par eux en Indonésie en 1965, qui amena au pouvoir la dictature militaire du général Suharto et fit un million de morts.
Une stabilité relative n’apparut qu’après les discussions entre le président américain Richard Nixon et le dirigeant chinois Mao Tse Toung en 1971 et la reconnaissance ultérieure par les USA du régime du Parti communiste chinois à Pékin, un accord par lequel le régime maoïste acceptait la suprématie militaire des Etats-Unis dans la région.
L’accord Nixon-Mao fut le point de départ du processus de restauration capitaliste entamé par la bureaucratie stalinienne chinoise, qui fit de la Chine la plateforme de main-d’œuvre bon marché pour les entreprises transnationales mondiales, et la deuxième économie mondiale.
Mais ce fut précisément cette croissance économique qui a sapé la base du précédent équilibre relatif. Face au développement de la Chine, à son association économique de plus en plus étroite avec les pays d’Asie du Sud-Est et à la pénétration d’autres puissances importantes sur le marché chinois – en premier lieu l’Allemagne, la Grande-Bretagne et d’autres rivaux européens – la position économique jadis dominante des Etats-Unis fut sérieusement ébranlée.
Les Etats-Unis ont cherché à contrecarrer cette évolution en faisant jouer leur pouvoir là où ils avaient encore la suprématie, dans le domaine de la puissance militaire. C’est là la force motrice derrière le « pivot vers l’Asie » ou le « rééquilibrage » lancé officiellement par le gouvernement Obama en 2011.
Le « pivot » a pris la forme de plans militaires précis pour attaquer le continent chinois; cela va de pair avec des efforts concertés pour creuser un fossé entre la Chine et ses voisins d’Asie du Sud-Est en envenimant des disputes territoriales qui existent en Mer de Chine du sud depuis des décennies.
Le but de ces opérations n’est ni d’assurer la « stabilité » ni de promouvoir la croissance économique ni de garantir la « liberté de navigation » ni encore d’apaiser les inquiétudes des autres pays face à l’augmentation de la puissance chinoise ni aucune autre justification fournie par Washington. Il s’agit d’asseoir l’hégémonie américaine sur cette région économique vitale en réduisant le statut de la Chine à celui quasiment d’une semi-colonie.
La visite impromptue de Carter sur le porte-avions USS Theodore Roosevelt est le signe que les Etats-Unis ne reculeront devant rien dans la poursuite de cet objectif, pas même devant l’emploi du « Big Stick » militaire, entraînant par là même le risque d’une nouvelle guerre mondiale.
(Article original paru le 6 octobre 2015)