Le président Barack Obama a déclaré vendredi 20 novembre que les États-Unis n’étaient pas prêts à mettre fin à la guerre de plus de quatre ans qui a déjà tué en Syrie un quart de million de personnes, sans avoir d’abord assuré la chute du gouvernement du président Bachar al-Assad.
« Je ne prévois pas de situation où nous pourrions mettre fin à la guerre civile en Syrie alors qu’Assad reste au pouvoir », a dit Obama aux médias en marge d’un sommet commercial à Manille.
Les remarques d’Obama semblaient contredire l’affirmation du secrétaire d’État John Kerry quelques jours plus tôt à Paris, qu’on était seulement à « quelques semaines » d’un cessez-le-feu en Syrie.
A la suite des attentats terroristes de Paris et après que Moscou ait conclu que l’avion de ligne russe abattu au-dessus de la péninsule du Sinaï le mois dernier avait été victime d’une bombe, il y eut une vague de discussions sur l’organisation d’une intervention unifiée multilatérale en Syrie, axée sur la destruction de l’État islamique (EI).
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté à l’unanimité le 20 novembre une résolution d’initiative française déclarant que l’EI « constitue une menace mondiale et sans précédent pour la paix et la sécurité internationales » et appelant les États membres à « redoubler et coordonner leurs efforts pour prévenir et réprimer les actes terroristes commis spécifiquement par l’EI aussi connu comme Da'esh ainsi qu’ANF [Le Front Al Nusra] et tous les autres personnes, groupes, entreprises et entités associées à Al-Qaïda et d’autres groupes terroristes. »
Cette résolution a été adoptée après qu’un projet précédent, soumis par la Russie et appelant à la coordination de la lutte contre l’EI en Syrie avec le gouvernement syrien, a été fermement rejetée par Washington et ses alliés. La résolution adoptée vendredi était largement symbolique car elle n’invoquait pas le Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, qui permet aux États membres de mener une action militaire. Les États-Unis qui bombardent la Syrie depuis plus d’un an sans autorisation légale ont eux, mené une telle action
Malgré l’unité affichée à l’ONU, les remarques d’Obama montrent que Washington ne cède rien des objectifs stratégiques qu’il poursuit, attentats terroristes ou pas, depuis qu’il a aidé à lancer la guerre civile en Syrie en 2011. Les Etats-Unis exigent l’éviction d’Assad et veulent installer à Damas un régime fantoche leur obéissant pour faire avancer la campagne visant à asseoir leur hégémonie sur le Moyen-Orient et ses ressources pétrolières.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a tourné en dérision vendredi « l’inutilité de cette ligne, cet ultimatum, essentiellement, que si Assad part, tous les problèmes seraient résolus. » Il a dit que la Russie était prête à coopérer avec les États-Unis et leurs alliés en Syrie à condition qu’ils « respectent la souveraineté de la Syrie et les prérogatives de la direction syrienne. »
Si le gouvernement du président russe Vladimir Poutine a indiqué qu’il était prêt à soutenir une « transition » qui aboutirait au départ d’Assad, il a rejeté la destitution de ce dernier comme « condition préalable » à tout accord négocié. Il est déterminé à défendre les intérêts en Syrie de l’État russe et de l’oligarchie au pouvoir; ce pays fournit à Moscou ses seules bases militaires hors de l’ancienne Union soviétique et il est stratégiquement important du point de vue des trajets de pipelines qui pourraient affecter de manière significative l’économie russe et la profitabilité de sa plus grande société, Gazprom.
Les États-Unis et la Russie continuent donc de poursuivre des objectifs diamétralement opposés alors même qu’ils amplifient de façon significative leurs interventions militaires dans le pays en guerre, augmentant le danger d’un conflit armé entre puissances nucléaires.
Le Secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, a déclaré le 19 novembre que Washington était prêt à changer ses « règles d’engagement » en Syrie afin d’intensifier l’intervention américaine. « Le président a indiqué qu’il était prêt à faire plus, y compris sur le terrain », a déclaré Carter.
La première indication que les « règles d’engagement » des États-Unis étaient changées a apparemment été le ciblage des camions de carburant qui transportent du pétrole depuis les champs de pétrole vers les zones contrôlées par l’EI.
« Nous avons accru le ciblage des infrastructures pétrolières de l’EI ces derniers jours avec un grand succès dans le ciblage de camions transportant des hydrocarbures et qui génèrent une quantité de revenus pour l’EI, » a dit au Washington Times Ben Rhodes, conseiller adjoint à la sécurité nationale de la Maison-Blanche.
Parlant sur MSNBC, Carter a ajouté: « Nous sommes prêts à changer les règles d’engagement. Nous avons changé de tactique, comme nous venons de le faire dans le cas des camions de carburant. » Il a dit que le mois dernier l’aviation américaine avaient frappé plus de 150 cibles dans les régions productrices de pétrole contrôlées par l’EI, dont plus de 100 camions-citernes.
Au moment où les responsables américains se vantaient de ces nouvelles frappes, l’Observatoire syrien pour les droits de l’homme rapportait que des frappes aériennes des États-Unis sur des camions de carburant près de Raqqa, la « capitale » de l’EI, avaient tué au moins six civils et en avaient blessé vingt. Les victimes n’étaient pas des combattants de l’EI, mais des trafiquants de pétrole opérant depuis longtemps dans la région.
Depuis, le Commandement central de l’US Air Force a reconnu vendredi qu’une de ses frappes en Irak avait tué quatre civils au mois de mars, dont un enfant. Jusqu’à présent, le Pentagone n’a admis que très peu de ces meurtres, bien que des dizaines d’incidents similaires soient en cours d’investigation.
Pour sa part, la Russie a rapporté le 20 novembre que son armée avait tiré 18 missiles de croisière sur des cibles en Syrie à partir de navires déployés en mer Caspienne. Ces attaques de missiles en étaient à leur quatrième jour. Moscou a également doublé le nombre de ses avions de guerre en Syrie, le portant à 69.
Les tensions entre la Russie et la Turquie à propos de la campagne aérienne russe sont réapparues vendredi; ce jour-là, le gouvernement turc a convoqué l’ambassadeur de Russie au ministère des Affaires étrangères pour une protestation officielle concernant des frappes aériennes qu’Ankara affirmait être « très proches » de la frontière turque et qui pourraient entraîner « des conséquences graves. »
Ankara avait déjà protesté contre des incursions russes présumées dans l’espace aérien turc et mis Moscou en garde contre un armement des milices kurdes combattant l’EI en Syrie.
La Turquie et d’autres proches alliés régionaux des États-Unis dont l’Arabie saoudite et le Qatar, ont été la principale source du financement, de l’armement et du soutien aux milices islamistes sunnites, y compris l’EI, dans la lutte pour renverser le gouvernement Assad en Syrie.
(Article paru d'abord en anglais le 21 novembre 2015)