Le gouvernement américain a déclaré samedi que des soldats de la principale unité des forces spéciales du Pentagone, Delta Force, avaient effectué un raid dans l'est de la Syrie et y avaient tué un chef de l'Etat islamique en Irak et en Syrie (EI) et d’autres membres du groupe islamiste extrémiste.
Le Pentagone a identifié le haut responsable de l'EI comme un tunisien ayant pris le nom d'Abou Sayyaf (arabe pour "père de l'épée"). Selon le gouvernement américain, quand il s'est défendu contre les attaques, les commandos l'ont tué avec une douzaine d'autres hommes, avant de retourner en Irak avec deux prisonnières.
Selon la Maison Blanche, c’est le président Obama qui a donné l'ordre pour le raid sur les « recommandations unanimes » de responsables de la sécurité nationale américaine et avec le consentement du gouvernement irakien d’Haïder al-Abadi pour l'utilisation de bases irakiennes en soutien au raid.
La brève annonce du secrétaire à la Défense Ashton Carter a été supplémentée par des articles de la presse américaine donnant des détails sur le raid, fournis par des interviews non attribuées de responsables, à la Maison Blanche et au Pentagone, de l’administration Obama.
Selon ces reportages, des hélicoptères américains Huey et des avions à décollage vertical Osprey ont transporté les commandos d'une base en Irak à al-Amr, le plus grand champ de pétrole syrien, à environ 20 miles (32km) au sud de Deir el Zour, dans le désert de l'Est.
Les commandos auraient rencontré de la résistance en essayant de saisir Abou Sayyaf et sa femme. Ils auraient tué celui-ci avec une douzaine d'autres combattants de l’EI avant de se replier sous le feu à leur avion et de retourner en Irak avec deux femmes, Oumm Sayyaf, l'épouse du chef de file de l'EI et une femme Yazidi de leur ménage. Les troupes américaines n'auraient subi aucune perte malgré une fusillade supposément féroce et un combat « au corps à corps ».
Les nouvelles du week-end aux États-Unis ont été consacrées à des reportages qui célébraient ad nauseam le raid et l'audace des commandos des forces spéciales, le « courage » d'Obama pour avoir ordonné l'attaque, sans discussion des conséquences probables de ces actions militaires qui deviennent de plus en plus fréquentes.
Aucune des informations données par la presse ne peut être prise pour vraie, étant donné que les responsables américains ont refusé de fournir des détails pouvant être vérifiés de façon indépendante. De tels récits anonymes ont déjà été utilisés pour lancer de fausses informations, le plus notoirement en rapport avec le raid du 1er mai 2011 qui a tué le leader d'Al-Qaïda Oussama ben Laden.
Un long exposé du journaliste d'investigation Seymour Hersh, publié le 10 mai par la London Review of Books, expliquait que pratiquement tous les détails du raid qui a tué Ben Laden avaient été falsifiés par les porte-parole officiels américains, du président Obama jusqu’aux échelons inférieurs de l'appareil d'Etat.
Les affirmations sur le raid de vendredi devraient de même être considérées, à ce stade, comme entièrement infondées. Le gouvernement américain a admis que ses troupes étaient entrées en Syrie sans avertir le gouvernement de ce pays, ce qui rend ses opérations là-bas complètement illégales selon le droit international. Tout le reste doit encore être démontré.
La télévision officielle syrienne a d'abord affirmé que le raid avait été mené par des forces loyales au président Bachar al-Assad, et non par celles des États-Unis, et que cinq chefs de l’Etat islamique (EI) étaient parmi les morts, dont un Tunisien, un Tchétchène, un Turc, un Saoudien et un Irakien.
La Maison Blanche a catégoriquement rejeté la déclaration syrienne. Le porte-parole du Conseil national de sécurité, Bernadette Meehan, a dit aux journalistes, « Le gouvernement américain n'a pas agi en coordination avec le régime syrien et ce dernier n’a pas non plus été averti de cette opération ».
Meehan a poursuivi en utilisant un acronyme différent pour l'Etat islamique, « Nous avons mis en garde le régime d'Assad de ne pas interférer avec nos efforts continus contre l' ISIL à l'intérieur de la Syrie. Le régime d'Assad n’est pas et ne peut pas être un partenaire dans la lutte contre l'ISIL ».
Cette déclaration a des implications inquiétantes. Que se passera-t-il si les forces américaines ont un contact avec les forces gouvernementales syriennes durant une opération de ce genre? Il y a tout lieu de croire que l’objectif majeur des incursions dans l'espace aérien et sur le territoire syriens est de créer le prétexte d’une attaque américaine directe de l'armée syrienne et du gouvernement Assad.
Au moins une partie du récit par la télévision syrienne du raid sur le champ pétrolier d'al-Amr a été corroborée. L'Observatoire syrien pour les droits de l'homme, groupe hostile à Assad et soutenant les efforts visant à promouvoir une intervention étrangère en Syrie pour renverser le régime, a rapporté que le raid des Forces spéciales américaines avait tué 32 combattants de l’EI, dont quatre dirigeants identifiés comme « le responsable de l’EI pour le pétrole, Abou Sayyaf, l’adjoint au ministre de la Défense de l’EI, et un responsable des communications de l’EI ».
Cela établit un nombre de morts beaucoup plus élevé que celui donné par le Pentagone et confirme l’affirmation syrienne qu'un groupe de dirigeants de l’EI, et pas seulement un dirigeant, a été tué.
Il se peut que les circonstances exactes du raid ne soient pas connues avant un certain temps. Mais le contexte politique dans lequel il se déroule suggère une escalade significative du gouvernement Obama.
Ce raid est le quatrième des forces spéciales américaines au Moyen-Orient en moins d'un an dont un raid sans succès sur une installation de l’EI à Raqqa l'été dernier, prétendument pour sauver des otages américains, ensuite exécutés, et deux raids infructueux au Yémen en novembre et décembre, soi-disant pour sauver un prisonnier américain détenu par Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). Le prisonnier américain d' AQPA et un compagnon de captivité de l’Afrique du Sud ont été tués au cours du second raid.
Pendant ce temps, les frappes aériennes des Etats-Unis contre l’EI continuent dans l’est de la Syrie. Pendant les 24 heures qui ont précédé dimanche matin, le Pentagone a rapporté huit bombardements, dont six à proximité de la ville de Hasakah, dans le nord-est, et deux près de Kobani, ville à population kurde où un long siège de l’EI a été brisé par des bombardements américains intensifs.
Dans un éditorial du 13 mai, le Washington Post a exhorté l'administration Obama à déclarer ouvertement que l'objectif de son intervention en Syrie était le renversement d’Assad. Ce journal a attiré l'attention sur les désaccords grandissants entre Obama et les émirats du Golfe qui ont quasiment boycotté la réunion de Camp David la semaine dernière. Le Post a déclaré, « Mais il y a un moyen par lequel M. Obama pourrait servir à la fois les intérêts des Etats-Unis et ceux des alliés du Golfe: attaquer la force la plus toxique et la plus déstabilisante du Moyen-Orient, le régime de Bachar al-Assad en Syrie ».
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(Article original paru le 18 mai 2015)