Le Front commun intersyndical, qui représente la plupart des travailleurs du secteur public québécois, a signé jeudi une entente de principe avec le gouvernement libéral de Philippe Couillard qui mine les salaires réels des employés, augmente l'âge de la retraite et donne le feu vert au démantèlement des services publics.
Même si les détails de l'accord n'ont pas encore été officiellement dévoilés, ce qui a filtré dans la presse indique un véritable coup de poignard dans le dos du demi-million de travailleurs qui luttent depuis des mois pour défendre leurs conditions de travail.
Le contrat signé serait d'une durée de cinq ans, avec gel salarial la première et la cinquième année (sauf un montant forfaitaire de 500$ en 2015 et 250$ en 2019) et des hausses de 1,5% en 2016, 1,75% en 2017 et 2% en 2018. Cela correspond largement à l'offre initiale du gouvernement et représente une nouvelle étape dans l'appauvrissement des employés de l'État.
Les chefs syndicaux vont chercher à présenter cette entente comme une victoire. Ils vont dire qu'un gel salarial a été évité pour 2015 et 2019, même si le gouvernement n'accorde qu'un montant forfaitaire, d'ailleurs dérisoire. Ils vont invoquer le réaménagement des échelles salariales prévu en 2019 qui hausserait de 2,4% en moyenne les salaires de certaines catégories d'employés, mais serait défavorable à d'autres.
Dans un commentaire beaucoup plus proche de la réalité, le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, s'est vanté d'être parvenu à un accord qui «respecte le cadre budgétaire» du gouvernement. Il ne faisait pas seulement référence aux hausses salariales maintenues nettement sous le taux d'inflation. Sur la question cruciale des régimes de pension, le gouvernement a réussi à faire faire passer dès 2019 l'âge de la retraite de 60 à 61 ans, et la pénalité pour retraite anticipée de 4% à 6%.
Avant tout, le gouvernement Couillard obtient des syndicats une entente de principe qui lui garantirait une «paix syndicale» pour les cinq prochaines années et lui laisserait le champ libre pour l'application de ses brutales mesures d'austérité.
Depuis qu’ils ont pris le pouvoir en 2014, les libéraux ont déjà coupé des milliards dans les dépenses sociales et ils viennent d'annoncer de nouvelles compressions touchant l’ensemble de la population. Un projet de loi réduisant le montant de l'aide sociale est sur la table, tandis que le réseau public de garderies subira des coupes de 120 millions de dollars. Dans la santé, le projet de loi 20 récemment adopté va accélérer la privatisation d’un large pan du réseau en permettant la facturation des frais dits «accessoires».
Le gouvernement poursuit également son assaut sur les employés municipaux avec la loi 15 (projet de loi 3) qui impose d’importants reculs dans les retraites, ainsi que le «pacte fiscal» avec les municipalités qui accorde aux villes le droit de décréter les contrats de travail de leurs employés.
En signant une entente de principe qui devrait s'étendre à l'ensemble des 550.000 employés du secteur public québécois, les syndicats du Front commun font plus qu'entériner un recul important dans le niveau de vie de leurs propres membres. Ils se joignent à l’élite dirigeante québécoise et canadienne dans un assaut frontal sur les salaires, les emplois et les services publics qui vise à démolir les acquis sociaux pour lesquels ont lutté des générations de travailleurs.
L’entente est l’aboutissement d’un processus bidon de négociation au cours duquel les syndicats ont démontré une servilité envers la classe dirigeante et le désir constant de démobiliser les travailleurs et faciliter l’imposition des mesures d’austérité.
Depuis le début du conflit de travail l’an dernier, les syndicats ont fait une concession après l’autre. Après avoir annulé les trois journées de grève provinciale prévues du 1er au 3 décembre pour démontrer leur «bonne foi» au gouvernement, ils ont présenté une «contre-offre» qui comprenait des reculs significatifs au niveau des salaires et des retraites.
Maintenant que le Front commun a signé une entente pourrie avec le gouvernement, il va exercer de fortes pressions sur les membres de la base pour la faire accepter, y compris en invoquant la menace d’une loi spéciale. Si une telle menace a été passée sous silence pendant des mois, c'est parce qu'elle soulevait la nécessité pour les travailleurs de s'engager dans une lutte politique contre tout le programme de classe de l'élite dirigeante québécoise et canadienne. Or, c'est la dernière chose que désirent les syndicats en tant que défenseurs de la «paix sociale», c'est-à-dire l'ordre capitaliste existant.
Ayant abandonné depuis longtemps toute forme de lutte en défense des travailleurs, l'appareil syndical sert aujourd’hui les intérêts d’une mince couche de bureaucrates profondément intégrés dans la gestion du système capitaliste. Par leur participation à des comités tripartites avec le patronat et le gouvernement, ainsi que la gestion de fonds d’investissement valant des milliards de dollars, comme le Fonds de solidarité FTQ, les chefs syndicaux ont développé des intérêts diamétralement opposés à ceux des travailleurs de la base.
L'accord de jeudi ne va pas effacer d'un trait l'immense colère qui règne parmi les employés du secteur public, ni le grand soutien populaire dont ils bénéficient, tandis que l’opposition à l’austérité gagne de nombreuses couches de travailleurs.
C'est pourquoi le gouvernement reste sur ses gardes et se tient prêt à tout moment à utiliser l'arsenal répressif de l'État, à commencer par une loi spéciale. À cet égard, la suspension sans solde de 2400 cols bleus la semaine dernière par la Ville de Montréal, pour le «crime» d’avoir participé à une assemblée spéciale organisée par leur syndicat pendant les heures de travail, constitue un sérieux avertissement pour les employés du secteur public.
Ces derniers devraient rejeter l'entente de trahison du Front commun et s'engager consciemment sur une nouvelle voie, celle d'une lutte politique pour mobiliser tous les travailleurs, au Québec et partout au Canada, dans une contre-offensive commune contre l'austérité capitaliste et pour la défense des emplois, des salaires, des pensions et des services publics.
Cela requiert avant tout une rupture avec les syndicats pro-capitalistes et la formation de comités de lutte formés de militants de la base et prêts à lancer une telle mobilisation, sur la base du programme socialiste de l'égalité sociale – l'utilisation des vastes ressources de la société pour satisfaire les besoins humains, et non enrichir une poignée de grands patrons.