Comme l’on s’y attendait, la Réserve fédérale américaine a annoncé mercredi une hausse d’un quart de pourcent du taux d’intérêt des fonds fédéraux, le taux d’intérêt que les banques font payer l’une à l’autre pour les prêts à un jour des réserves conservées à la banque centrale. C’était la première augmentation de la Fed depuis juin 2006, le taux directeur est passé d’une fourchette de zéro à 0,25 pour cent, où il était resté depuis le pic de la crise financière en décembre 2008, à une fourchette allant de 0,25 pour cent à 0,50 pour cent.
Le Federal Open Market Committee (Comité du marché ouvert fédéral – FOMC), qui décide de la politique de la Fed, et sa présidente, Janet Yellen, ont pris grand soin de qualifier l’augmentation de petite et insistent sur le fait que les augmentations suivantes seront graduelles, et que la Fed maintiendra des taux inférieurs à la normale pour une durée indéterminée et continuera à mener une politique monétaire « accommodante ».
Que ce fut ce que les marchés financiers voulaient entendre était évident dans la réponse des indices boursiers américains. Le passage annoncé depuis longtemps à ce qui est appelé un « resserrement accommodant » [dovish tightening], avec l’accent sur « accommodant », a déclenché une remontée des prix sur les trois principaux indices.
Le Dow Jones Industrial Average, qui avait augmenté de 76 points avant que le FOMC n’ait publié sa déclaration à 14 heures, est monté en flèche et a continué à monter au cours de la conférence de presse de Yellen, avec à la clôture de la journée boursière un gain de 224 points (1,28 pour cent). L’indice 500 de Standard & Poor et le Nasdaq ont eu des trajectoires similaires, terminant la journée avec des gains de 29 points (1,45 pour cent) et 75 points (1,52 pour cent), respectivement.
Depuis que le président précédent de la Fed, Ben Bernanke, avait signalé son intention d’avancer une normalisation de la politique monétaire en faisant allusion en décembre 2013 à la possibilité que la banque centrale commence à « diminuer » son programme d’achat d’obligations et de recours à la planche à billets, dit « assouplissement quantitatif », les banques et les fonds spéculatifs avaient exercé des pressions contre toute augmentation des taux d’intérêt.
Qu’ils aient été généralement prêts, après deux ans, à accepter des hausses faibles et progressives est lié à des signes montants que le régime du crédit pratiquement gratuit, qui avait généré des bénéfices exceptionnels et un autre mouvement de la richesse du bas vers le haut, avait produit une nouvelle crise de la dette et de crédit qui menaçait une fois de plus de faire tomber le système financier.
Depuis le 16 décembre, 2008, lorsque la Fed a réduit le taux des fonds fédéraux à près de zéro, le Dow Jones a augmenté de 96 pour cent, le S & P 500 de 124 pour cent, et le Nasdaq de 214 pour cent. Pendant cette période, la Fed a injecté 3500 milliards de dollars dans le système bancaire. La richesse des 400 Américains les plus riches a doublé. Pendant ce temps, la destruction des emplois bien rémunérés et les réductions des salaires dans toute l’économie ont décimé le niveau de vie de la classe ouvrière.
Mais le ralentissement continu de l’économie réelle à l’échelle mondiale, comme en témoigne l’effondrement des prix du pétrole, du gaz, des métaux et d’autres produits de base, le déclin des échanges et la baisse de la demande pour les produits manufacturés est en train de déstabiliser le marché obligataire américain et menace de faire écrouler le château de cartes financier qui a été construit par les politiques de la Fed, du gouvernement Obama et des banques centrales ainsi que des gouvernements d’Europe et d’Asie.
Au cours de la semaine écoulée, une crise croissante du marché américain à haut risque et à haut rendement des obligations pourries [junk bonds] est devenue critique avec la fermeture de trois fonds d’obligations pourries basées sur l’énergie. Leur effondrement a été déclenché par la baisse des prix du pétrole bien au-dessous de 40 dollars le baril et une vague de directives de rachat de la part de clients que les entreprises fortement endettées n’ont pas pu satisfaire.
Les fonds gérés par Third Avenue, Lucidus Capital Partners et Stone Lion Capital ont bloqué des rachats, déclenchant une vente massive sur le marché de 1300 milliards de dollars en obligations à haut risque. Ce marché à haut risque, fondé sur les obligations émises par des entreprises dont la notation est faible et les niveaux de dette élevés, s’est développé prodigieusement depuis que la Fed a abaissé les taux à près de zéro et a pris d’autres mesures pour compresser les taux d’intérêt à long terme.
Ces politiques, loin de limiter les activités financières spéculatives et parasitaires, ont subventionné leur expansion. Les fonds spéculatifs et les opérations financières similaires, tels les fonds indiciels cotés en bourse qui suivent les marchés obligataires, à la recherche de nouvelles façons de réaliser des rendements élevés après l’effondrement de la bulle des subprimes, se sont rabattus sur les obligations pourries. Selon Dealogic, l’émission des obligations à haut risque aux États-Unis a atteint un record de 361 milliards de dollars en 2013, soit plus du double du volume des années précédant la crise financière.
La semaine dernière, les fonds d’obligations pourries ont subi des retraits de 3,5 milliards de dollars, les plus importants depuis 70 semaines. Et la crise se propage au-delà des obligations à haut risque. Les prix des obligations émises par les entreprises dans les industries pharmaceutiques, les médias, les télécommunications, les semi-conducteurs et la grande distribution ont chuté ces derniers mois.
Le Financial Times mercredi a cité Bonnie Baha, chef du service des crédits pour les économies développées à DoubleLine Capital qui disait : « Cela rappelle encore les souvenirs de 2008 et c’est nourri comme cela. Les défauts de paiements se cumulent. Le secteur de l’énergie ouvre la voie, mais cela commence à se propager à d’autres secteurs. Ce n’est pas qu’une question de l’énergie ni des secteurs des métaux ou de l’exploitation minière. »
Dans un rapport publié mardi, l’US Office of Financial Research (le Bureau de recherches financières américain) a découvert « des emprunts à risque élevé croissant » parmi les sociétés non financières et les emprunteurs émergents. L’agence a averti qu’un choc important qui affecterait la qualité des crédits « pourrait menacer la stabilité financière des États-Unis ».
Que la crise grandissante des obligations d’entreprises ait joué un rôle dans la décision de la Fed (Banque centrale américaine), après de multiples retards, de commencer la hausse des taux, a été indiqué par la déclaration du FOMC. Parlant de futures hausses de taux d’intérêts, la déclaration a cité des facteurs tels « les développements financiers et internationaux » que la Fed prendrait en compte. La référence aux développements financiers, en particulier, était un écart par rapport aux déclarations précédentes du FOMC.
Le communiqué du FOMC a donné une évaluation généralement optimiste de l’économie américaine, et Yellen, dans sa conférence de presse, a été même encore plus optimiste. Elle a commencé en déclarant que le geste de commencer la hausse des taux était un vote de confiance dans la force de l’économie américaine et sa reprise après la Grande Récession.
Yellen et le FOMC ont tout sauf ignoré le net ralentissement dans le secteur manufacturier américain et la production industrielle de ces derniers mois, qui a été exacerbée par la hausse du taux de change du dollar résultant des anticipations de resserrement monétaire de la Fed. La hausse du dollar a d’avantage fait baisser les exportations des États-Unis. Le lancement effectif des hausses de taux est susceptible de causer une augmentation supplémentaire du dollar et de renforcer l’impact sur les exportations américaines.
Au début de ce mois-ci, l’Institute for Supply Management a indiqué que le secteur manufacturier aux États-Unis s’est contracté en novembre, tombant à son plus bas niveau depuis juin 2009. La production industrielle a diminué dans trois des six derniers mois, et les données publiées mardi ont montré que la production des usines dans l’état de New York a diminué pour le cinquième mois consécutif en décembre.
Yellen a été interrogée lors de sa conférence de presse à propos de la déroute des obligations à haut risque et de la fermeture de Third Avenue Focused Credit Fund jeudi dernier. Elle a noté la pression sur les obligations à haut risque tout en balayant d’un revers de main l’effondrement de Third Avenue comme un événement ponctuel.
Un autre journaliste a contesté l’affirmation de la Fed, reprise dans la déclaration du FOMC mercredi et les remarques de Yellen devant la presse, que la chute drastique des prix du pétrole et les taux d’inflation bas étaient des phénomènes « transitoires » qui allaient se dissiper dans les prochains mois, ce qui portera le taux d’inflation proche de l’objectif de la Fed de 2 pour cent. Le journaliste a noté que la Fed fait cette évaluation depuis environ deux ans, et qu’elle ne s’est jamais concrétisée.
Yellen semblait énervée et a largement éludé la question. Elle n’a pas pu fournir une réponse convaincante car l’effondrement des prix du pétrole et des matières premières et la persistance de l’inflation ultra basse expriment la réalité de la crise économique et l’échec de la Fed et des autres grandes banques centrales à concevoir une véritable reprise de l’économie réelle, en dépit des milliers de milliards de dollars déversés dans le système bancaire.
La menace continue de déflation, plus de sept ans après le krach de Wall Street, est une expression de la crise systémique et de l’effondrement du système capitaliste lui-même, quelque chose que Yellen ne peut ni traiter, ni admettre.
(Article paru en anglais le 17 décembre 2015)