Le président français François Hollande et le premier ministre Manuel Valls ont présenté hier au conseil des ministres un amendement qui inscrit l'état d'urgence dans la constitution française.
Même les premières informations fragmentaires qui ont filtré sur la réunion démontrent qu'elle ouvrait le chemin à l'imposition durable d'un État policier en France. L'amendement proposé par Hollande permettrait au président de déclencher l'état d'urgence, dont la durée serait fixée par la loi. L'amendement n'impose aucune limite à la durée de l'état d'urgence dont pourrait décider les législateurs. Il permet aussi un usage renforcé par la police des pouvoirs de répression et de surveillance électronique de la population.
Surtout, en proposant d'étendre la déchéance de nationalité aux binationaux, même nés français, condamnés pour un «crime terroriste», le PS affirme ouvertement ses sympathies pour les idées du Front national (FN) néofasciste.
La déchéance de nationalité était une revendication traditionnellement associée au FN, car elle renvoie à l'Occupation nazie et au rôle des autorités françaises dans la Shoah.
L'État a prononcé une déchéance collective de la nationalité française sous le régime collaborationniste de Vichy pour priver les Juifs réfugiés en France et naturalisés français de leur nationalité. La loi du 22 juillet 1940 a privé 15.154 personnes de leur nationalité française, dont environ 6.000 Juifs et plusieurs dirigeants de la Résistance. Vichy a d'abord interné les Juifs privés de nationalité française dans des camps de concentration, puis, après la signature d'un accord franco-allemand le 2 juillet 1942, les a déportés vers l'est et les camps de la mort.
L'adoption de la déchéance de nationalité par le PS souligne la ruée vers l'extrême-droite de toute la classe politique bourgeoise, y compris sa composante social-démocrate et ses cautions de pseudo-gauche, telles le Front de gauche et le Nouveau parti anti-capitaliste.
Ces forces ont couvert en 2014 le soutien par les dirigeants de l'OTAN pour un putsch fasciste à Kiev, puis leur refus cette année de se rendre à Moscou pour célébrer le 70e anniversaire de la victoire de l'URSS contre l'Allemagne nazie. A présent, le gouvernement PS affiche ses sympathies historiques contre-révolutionnaires à l'intérieur de la France même, en reprenant à son propre compte des éléments de l'arsenal juridique du fascisme français.
La garde des Sceaux Christiane Taubira avait annoncé lors d'un voyage à Alger les 20 et 21 décembre que le PS avait définitivement écarté la déchéance de nationalité. Elle a déclaré à la radio algérienne Chaîne 3 que la déchéance de nationalité était «un sujet qui va s'éteindre», car elle «posait un problème de fond sur le principe fondamental qu'est le droit du sol».
Taubira faisait écho ainsi à la position du PS d'il y a quelques années. En 2010, Valls a traité un débat sur la déchéance de nationalité proposé par le président de droite Nicolas Sarkozy de «nauséabond et absurde». Cependant, Taubira a appris à son retour en France que le PS trancherait sur ce dossier après des réunions auxquelles elle n'était pas invitée.
Face à l'empressement de Valls et de Hollande à proposer leur mesure nauséabonde, Le Monde a estimé que Taubira n'était plus qu'une «sorte d'alibi au gouvernement pour rassurer un électorat de gauche décontenancé par le virage sécuritaire du chef de l'État».
Ce débat souligne que l'état d'urgence soulève bien plus de questions politiques que les simples questions policières liées à la prévention d'attentats terroristes.
Une crise profonde du régime capitaliste sévit en Europe. Alors que l'austérité dévaste les travailleurs à travers le continent, et que les guerres de l'OTAN au Moyen-Orient provoquent de plus en plus d'opposition, notamment dans les banlieues immigrées, la bourgeoisie tente d'impulser un profond revirement idéologique vers l'extrême-droite.
Le PS attise massivement le nationalisme et le racisme afin de façonner un consensus ultra-réactionnaire qui lui permettrait de continuer à imposer ses politiques impopulaires face à la montée de la colère sociale. Le fait que cette opération se solde par un retour à des mesures prônées par le régime de Vichy souligne les dangers immenses que font peser la social-démocratie européenne et ses alliés politiques petit-bourgeois sur la classe ouvrière.
Hollande avait annoncé la préparation de cet amendement au parlement réuni en congrès à Versailles le 16 novembre, trois jours après les attentats à Paris par le groupe État islamique (EI ou Daech). L'amendement devait permettre un état d'urgence en France tout au long de la «guerre contre la terreur». La police devait aussi pouvoir utiliser les vastes pouvoirs de surveillance et de répression que lui attribue l'état d'urgence contre toutes les personnes pouvant potentiellement troubler l'ordre public, en fonction de «leur comportement ou leurs fréquentations, propos ou projets».
Hollande proposait donc de donner un blanc-seing à l'État pour l'élimination de la liberté d'opinion et l'installation d'une dictature policière d'une durée indéfinie en France.
Les médias s'efforcent de rassurer la population que l'état d'urgence ne pose aucune menace à la démocratie. L'amendement présenté par Hollande a subi des modifications, écrivait L'Obs hier, «après de nombreux débats». Plusieurs reportages avaient laissé entendre que de hauts magistrats ainsi que des parlementaires avaient fermement critiqué le premier texte présenté par le PS. Des proches de Valls ont insisté hier que l'amendement, dont l'Assemblée nationale doit débattre en février, ne pérenniserait pas l'état d'urgence.
Puisque le conseil des ministres n'a pas publié l'amendement proposé par Hollande, il est bien entendu impossible d'en établir précisément le contenu. Cependant, toute la politique du PS indique qu'il veut utiliser les dispositions sécuritaires et l'hystérie politique qui accompagnent l'état d'urgence pour tenter d'écraser la contestation politique à l'intérieur de la France et d'asseoir un régime autoritaire.
Le PS a carrément fait interdire une manifestation contre la guerre à Gaza l'année dernière ainsi que les manifestations contre le sommet écologique COP-21, et il tolère à présent le licenciement de masse de travailleurs de Sodexo qui ont fait grève à Marseille.
Pour comprendre le caractère de l'état d'urgence proposé par le PS en France, il est utile de se souvenir des liens étroits qui existent entre Hollande et la dictature égyptienne. Quelques heures à peine après les attentats du 13 novembre, Hollande a reçu un appel téléphonique du général Abdel Fattah al-Sissi pour discuter de la lutte contre le terrorisme.
Sissi, qui a renversé le président islamiste Mohamed Mursi afin d'empêcher son renversement par la classe ouvrière égyptienne, dirige une dictature sanglante en Egypte sous un état d'urgence, prétextant le danger du terrorisme islamiste. Il a fait massacrer des milliers de manifestants sans armes dans les rues d'Égypte, emprisonner et torturer des dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes, et prononcer par une justice aux ordres des peines de mort en masse contre des organisations politiques qui lui étaient opposées.
Selon RFI, Sissi a appelé Hollande juste après les attentats «pour présenter ses condoléances et celles de l'Égypte ... Les relations entre les présidents Sissi et Hollande vont au-delà du simple protocole. Des sources françaises parlent d' 'amitié' entre les deux hommes. On précise au Caire que les deux présidents ont discuté d'un renforcement de la coopération dans la lutte antiterroriste et surtout anti-État islamique».