Yanis Varoufakis, ministre des Finances du gouvernement grec dirigé par Syriza jusqu’à sa démission le 6 juillet, a commencé une tournée de conférences en Australie le week-end dernier. Après des interviews dans les médias au cours de la semaine et une conférence à l’Université de Sydney le 26 novembre, il devait tenir une conférence à Melbourne samedi puis à l’Opéra de Sydney hier.
La montée de Syriza d’un petit parti en Grèce avant 2010 à la formation du gouvernement en janvier 2015, jusqu’à sa décision de répudier le vote écrasant en faveur du « non » à l’austérité par le peuple grec au référendum du 5 juillet, a été une expérience stratégique immense pour la classe ouvrière internationale. Syriza est un cas d’étude sur la façon dont les partis bourgeois de la pseudo-gauche — et les individus qui les dirigent — utilisent une rhétorique « de gauche » et socialiste afin de tromper la classe ouvrière, conquérir le pouvoir politique et imposer les diktats de l’élite financière et des entreprises.
Outre le premier ministre Alexis Tsipras, Varoufakis était le représentant le plus connu du gouvernement Syriza. Il a mené son équipe de négociation avec la soi-disant « troïka » des créanciers de la Grèce (Banque centrale européenne, Union européenne et Fonds monétaire international). Quatre semaines seulement après que Syriza remporte les élections grecques, promettant de mettre fin à l’austérité, Varoufakis signait un accord pour la poursuite des mesures qui avaient ruiné la vie de millions de travailleurs, d’agriculteurs et de petites entreprises en Grèce.
À l’Université de Sydney jeudi, Varoufakis a admis à son auditoire qu’il avait dû « faire saigner la pierre » afin de rembourser 9 milliards d’euros de la dette qui arrivait à échéance.
Yanis Varoufakis connaît bien Sydney. Après des études universitaires en Grande-Bretagne, il a occupé un poste de maître de conférence en économie à l'Université de Sydney de 1988 à 2000, période où il a obtenu la double nationalité grecque et australienne. S’il est retourné en Grèce en 2001 il a toutefois maintenu ses liens avec les couches sociales qui se décriraient comme la « gauche » universitaire, médiatique et politique en Australie.
L’ancien ministre des Finances de Syriza n’est pas venu en Australie surtout pour renouer avec de vieux associés. Sa visite fait partie d’un calendrier effréné de discours politiques donnés depuis la fin août; il s’est adressé à des meetings et des réunions en France, en Italie, en Russie, en Allemagne, en Espagne, en Autriche, en Irlande; il y eut neuf événements majeurs à Londres et dans d’autres villes britanniques. Ces trois derniers mois il est apparu aux côtés de politiciens tels que l’ancien banquier d’investissement et ministre de l’Économie du gouvernement PS en France Emmanuel Macron; le ministre des Finances britannique de l’opposition, John MacDonnell, et la ministre de l’opposition Diane Abbot; le politicien Vert européen Daniel Cohn-Bendit; l’universitaire postmoderniste Slavoj Zizek et Julian Assange, le rédacteur en chef de WikiLeaks.
Varoufakis a été présenté lors de ce dernier événement, tenu au Royal Festival Hall de Londres le 16 novembre, comme « radical », « dangereux » et « subversif », afin de le promouvoir comme un adversaire implacable de l’austérité et du capital financier.
Après l’expérience du gouvernement Syriza, présenter Varoufakis de cette façon n’est possible qu’avec la complicité des médias et de ses alliés politiques pour cacher son rôle crucial dans la trahison historique de la classe ouvrière grecque. Les partisans de Varoufakis à travers le monde envisagent des mouvements de type Syriza, considérés comme nécessaires pour des trahisons comparables dans leur propre pays. Ils espèrent construire et exploiter sa réputation afin d’aider à canaliser les sentiments anti-capitaliste derrière leurs propres projets ‘anti-establishment’ frauduleux.
En Australie, alors que se multiplient les signes de crise économique et de tensions sociales, la promotion de Varoufakis est menée par ceux des médias officiels qui se disent libéraux, notamment l’entreprise publique Australian Broadcasting Corporation (ABC), le Special Broadcasting Service (SBS), et le Sydney Morning Herald et d’autres publications du groupe Fairfax. La participation à ses allocutions a également été encouragée dans les médias sociaux par des couches liées au Parti travailliste, aux Verts et aux organisations de la pseudo-gauche tels que Socialist Alliance et Socialist Alternative.
À l’Université de Sydney, Varoufakis a réaffirmé les panacées pro-austérité: les pays endettés devaient « se serrer la ceinture » et « vivre selon leurs moyens. » Il a insisté pour dire que la Grèce n’avait pas eu d’autre alternative que de prendre les mesures nécessaires pour rester dans la zone euro. Il a documenté le fait bien établi que le but des prêts de la troïka n’a jamais été d’aider les pays à se relever, mais de faire couler des dizaines de milliards d’euros dans les banques privées allemandes et européennes, pratiquement insolvables. Son seul problème était que l’ampleur et les modalités de renflouement avaient rendu impossible à l’État grec de jamais rembourser les prêts utilisés pour sauver l’élite financière. Les mesures d’austérité ont assuré que le pays resterait embourbé dans une profonde récession et la population dans la pauvreté et le chômage.
Varoufakis n’a pas fait référence à la trahison de Syriza au référendum du 5 juillet. Il n’a pas condamné non plus la dévastation sociale imposée par le gouvernement dans lequel il a servi. Au lieu de cela, il s’est présenté, absurdement, comme quelqu’un qui en tant qu’individu avait pris une position intraitable en démissionnant en juillet.
La tentative de Varoufakis de se laver les mains des actions du gouvernement Syriza a été contestée depuis le public par Nick Beams du Parti de l’égalité socialiste (Australie) et membre du comité de rédaction international du World Socialist Web Site.
Beams a demandé: « N’est-ce pas un fait que la plus grande attaque menée contre la démocratie en Grèce est venue du gouvernement Syriza dont vous étiez une composante si intégrale, celle où il a piétiné le vote massif du peuple grec le 5 juillet pour mener à bien les diktats de la troïka et des banques. » Beams a demandé à Varoufakis d’expliquer à l’auditoire, « Comment c’est de commettre une trahison de cette magnitude, de la préparer, de l’organiser, de mentir à son sujet et de l’exécuter? »
Dans le bref échange qui a suivi, Varoufakis a déclaré, « votre première question me trouve douloureusement d’accord. » Il a reconnu que « le gouvernement grec avait trahi le peuple grec. » Cependant, il a nié avoir joué un rôle quelconque dans cette trahison et a essayé de mettre tout le blâme du rejet du résultat du référendum par Syriza sur Alexis Tsipras.
« Le premier ministre », a dit Varoufakis, « n’était pas intéressé, ou n’avait pas l’énergie, ou l’esprit, d’accepter ce « non » et de l’honorer. Cette nuit-là, monsieur, je ne me suis pas dérobé dans la nuit, j’ai démissionné. Levez-vous et venez me dire que j’aurais dû rester au gouvernement pour mettre en œuvre le document de capitulation, le traité de capitulation? »
Varoufakis n’était pas intéressé par une réponse à sa question. Lorsque Beams se leva et déclara qu’un adversaire de l’austérité aurait cherché à diriger l’opposition représentée par le vote du référendum dans une lutte politique pour évincer Tsipras et contre la troïka européenne, il est rapidement passé à la question suivante.
L’histoire établit la complicité de Varoufakis dans la trahison de Syriza. En juin, la troïka a présenté son équipe de négociation avec les termes d’un nouveau plan de sauvetage financier qui impliquait des mesures d’austérité encore plus sévères. Craignant que d’autres restrictions ne provoquent une explosion sociale en Grèce, Syriza a organisé le référendum du 5 juillet où la population grecque devait se prononcer sur les demandes de la troïka.
Varoufakis a déclaré dans ses interviews que lui et Tsipras, même en faisant publiquement campagne pour le « non », attendaient avec confiance que la population accepte une austérité plus sévère. Ils ont appelé au référendum en vue d’utiliser un « oui » majoritaire pour déclarer qu’ils respecteraient la « volonté du peuple » et pour passer la main à un gouvernement de technocrates qui mettrait en œuvre l’accord. Ils espéraient que les sombres mises en gardes de catastrophe économique de la part des médias intimideraient les électeurs et leur feraient soutenir le plan de la troïka.
Mais dans un acte courageux de défiance soutenu par des dizaines de millions de travailleurs à travers l’Europe et le monde, la classe ouvrière grecque a répudié l’austérité par un vote de 61 pour cent en faveur du « non ». En quelques heures, un Tsipras désemparé avait informé la troïka qu’il signerait un nouveau renflouement au mépris pur et simple de ce vote. Varoufakis a démontré son accord pour l’essentiel en s’en allant. Il n’a fait aucune tentative de mener une lutte contre Tsipras, malgré le soutien de masse qu’une telle lutte aurait gagné parmi les travailleurs en Grèce et en Europe. Il a dit au « Late Night Live », une émission de radio d’ABC le 13 juillet qu’il avait « sauté plus qu’il n’avait été poussé » et qu’il avait démissionné pour « se dérober dans la nuit. »
Jeudi, Varoufakis a répondu à la question du WSWS en déclarant qu’il « respectait » les décisions de Tsipras et qu’il aurait été « sectaire » de s’opposer ou de critiquer la trahison abjecte de Syriza et son programme procapitaliste.
Les travailleurs, les jeunes et les intellectuels politiquement sérieux doivent lire attentivement la déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale « Les leçons politiques de la trahison de Syriza en Grèce. » Toute véritable lutte contre le programme d’austérité des élites financières impliquera la mise en accusation politique du type de politiciens pseudo de gauche incarnés par Yanis Varoufakis, défenseurs du capitalisme et profondément hostiles au socialisme et à la classe ouvrière.
(Article paru d’abord en anglais le 28 novembre 2015)