Les travailleurs de General Motors réagissent avec colère au fur et à mesure que les détails de l’accord conclu dimanche dernier par le syndicat United Auto Workers (UAW) sont révélés. Mercredi après-midi, des responsables locaux du Conseil de l’UAW ont approuvé sans discussion l’accord pour quatre ans, qui concerne 53 000 travailleurs du plus grand constructeur automobile américain, lors d’une réunion au Centre des ressources humaines UAW-GM à Detroit.
Peu de temps après, l’UAW a déversé des centaines de pages de texte du contrat sur son site web, accompagnées d’un résumé biaisé des « points clé ». L’UAW cherche maintenant à précipiter le vote de ratification, avec des votes qui auront lieu dès vendredi, avant que les travailleurs aient la possibilité d’en étudier les détails et de monter une campagne pour vaincre cet accord au rabais.
Lors de la conférence de presse de mercredi soir on a demandé à Dennis Williams le président de l’UAW s’il allait donner aux travailleurs de GM une période de 11 jours pour examiner le contrat, comme l’UAW l’a fait après que les travailleurs de la Fiat Chrysler ont vaincu leur contrat initial par une marge de deux voix à une. Sans rire, Williams a suggéré que les travailleurs de GM étaient plus avertis que les travailleurs de Fiat Chrysler et n’avaient donc pas besoin de temps supplémentaire !
« La seule chose que nous voulons c’est que nos membres aient beaucoup de temps pour examiner l’accord, obtenir des réponses à leurs questions afin qu’ils le comprennent. Chez Fiat Chrysler, 43 pour cent des salariés ont été embauchés depuis 2011. Ici [à GM] 81 pour cent des membres sont là au moins depuis avant 2007. La composition des membres est différente. Mais la procédure que nous voulons c’est la transparence, nous voulons que les questions aient une réponse, nos membres y ont droit ».
En réalité, c’est précisément parce que de nombreux travailleurs de GM sont plus expérimentés que l’UAW veut précipiter le vote sur le contrat. Ce sera combiné avec une campagne de distorsions par son cabinet de relations publiques et de chantage économique visant à briser la résistance des travailleurs de GM à ce contrat favorable à la société.
Lors de la conférence de presse, Williams et la vice-présidente de l’UAW Cindy Estrada ont prétendu que l’accord avait réalisé « des gains salariaux significatifs » et « des avantages plus forts » pour les travailleurs de l’automobile. Estrada est allée jusqu’à le qualifier d'« accord de transformation », en écho au langage des patrons de l’automobile utilisé après que l’UAW a accepté le système détesté de salaires et avantages sociaux à deux vitesses en 2007.
L’Autoworker Newsletter (Bulletin du travailleur de l’automobile) du WSWS va faire une analyse approfondie de tout le contrat et prie les travailleurs de l’automobile de nous envoyer leurs commentaires et de publier des informations sur notre page Facebook. Une première lecture, cependant, révèle que, en dehors d’une prime à la signature plus grande (8000 dollars pour les travailleurs de premier et de deuxième rang et 2000 dollars pour les travailleurs temporaires), avec une formule de partage des profits différente, l’accord GM est essentiellement identique à celui que l’UAW a imposé aux travailleurs de Fiat Chrysler la semaine dernière.
Des limites strictes sur le pourcentage de travailleurs de second rang ont été éliminées, laissant GM embaucher le plus de travailleurs possible à des salaires et des avantages inférieurs. Les nouveaux travailleurs de second rang, qualifiés par l’UAW de l’euphémisme « salariés en progression », devront trimer pendant huit ans avant d’atteindre en 2022 un « salaire traditionnel » d’environ 29 dollars de l’heure.
Les travailleurs traditionnels embauchés avant 2007, qui représentent les quatre cinquièmes de la main-d’œuvre horaire chez GM, recevront une augmentation salariale insultante de 6 pour cent sur quatre ans, ainsi que deux paiements forfaitaires soumis aux impôts et aux cotisations syndicales. Ces travailleurs subissent déjà un gel des salaires depuis dix ans qui a érodé leurs salaires réels d’un tiers.
Les augmentations de salaire indexée sur le coût de la vie n’ont pas été restaurées. Au contraire, elles ont été remplacées par des « paiements de prime de rendement », qui sont loin de remplacer les améliorations accumulées de ces augmentations. Plus important encore, ces régimes font payer travailleurs pour les crises économiques et les décisions à courte vue et souvent criminelles des dirigeants d’entreprise et des investisseurs (comme dans le scandale des commutateurs d’allumage), sur lesquelles les travailleurs n’ont aucun contrôle.
Avec l’aide de l’UAW, GM prévoit de faire partir les travailleurs les mieux rémunérés par une combinaison de mises à pied, d’accélérations de cadences et de programmes de retraite anticipée, ce qui facilite l’établissement d’une structure permanente de rémunération et d’avantages inférieurs dans l’industrie automobile.
Loin d’éliminer le système à deux vitesses, ce contrat comporte des niveaux supplémentaires de travailleurs à bas salaires, dont les travailleurs temporaires (qui seront, eux aussi, séparés en deux niveaux), les travailleurs contractuels et les travailleurs de GMCH (General Motors Composant Holding), l’ancienne division de pièces détachées de Delphi que GM a revendue en 1999 puis reprise après que les travailleurs aient subi des coupes sauvages des salaires et des prestations au cours d’une faillite et d’une restructuration. Les travailleurs de GMCH avec le plus d’ancienneté, qui sont tous considérés comme « salariés en progression » plafonneront à 22,50 dollars de l’heure d’ici 2019.
Selon cet accord, les retraités qui vivent de revenus fixes et obligés de payer plus au-delà de leurs prestations fournies par la mutuelle d’assurance-maladie des retraités de l’UAW se voient offrir une carte-cadeau insultante de 500 dollars !
Au cours de la conférence de presse, Williams s’est vanté du fait que l’accord ferait passer les travailleurs de seconde rang dans le plan de santé des employés traditionnels, leur apportant une couverture complète dentaire et de la vue. Le contrat complet, cependant, stipule un certain nombre d'« exceptions » à cette affirmation, dont les participations financières et les franchises. Les travailleurs de second rang seront également exclus de la prise en charge des soins après la retraite.
Le résumé du contrat note également que l’UAW va travailler avec GM pour « discuter des changements au régime de soins de santé » pour ramener les frais de soins de l’entreprise au-dessous du plafond qui verrait l’imposition de la taxe appelée « Cadillac » instaurée par Obama sur les soi-disant « plans de santé à coût élevé » qui va entrer en effet en 2018.
En d’autres termes, plutôt que de faire passer les travailleurs de second rang dans les régimes de soins de santé qualitativement meilleurs, les plans de « soins de santé traditionnels » seront compromis par une combinaison de couverture médicale inférieure et de coûts plus élevés pour tous les travailleurs. Si les travailleurs de premier rang ne signent pas pour les plans de coûts inférieurs, ils seront obligés de payer une franchise de 400 dollars pour une couverture individuelle et 800 pour une couverture familiale.
Les travailleurs de second rang vont continuer également à recevoir des plans de retraite inférieurs. L’UAW se vante dans ses points clé de petites augmentations de la contribution à ces plans de GM, mais cela ne vaut que pour les travailleurs embauchés avant que le contrat n’entre en vigueur. Les nouveaux travailleurs de second rang continueront de recevoir l’ancienne participation patronale, créant ainsi un nouveau second rang au sein du second rang existant.
Williams a déclaré aux journalistes après la réunion du Conseil de GM que l’accord a été conçu pour « donner à nos membres un chemin vers un revenu assuré » tout en convainquant les entreprises d'« investir dans nos usines avec de nouveaux produits et nouvelles technologies ». Ce thème est repris dans la brochure traitant du résumé de l’accord, où Williams et Estrada écrivent : « Comprendre comment équilibrer ces demandes concurrentes est l’une de nos responsabilités en tant que vos négociateurs. Ne pas tenir compte du compromis qu’il faut trouver entre la sécurité d’emploi et de bons salaires et avantages sociaux est irresponsable ».
Derrière ce double langage, l’UAW insiste pour dire que les revendications des travailleurs pour un salaire substantiel et l’augmentation des prestations sont « irresponsables », même si GM engrange des profits records et gaspille des milliards dans les rachats d’actions et les dividendes pour ses riches investisseurs de Wall Street. Si les travailleurs exigent plus, déclare l’UAW, les entreprises se retirent tout simplement et investissent davantage dans les pays plus « concurrentiels », à savoir des pays à bas salaires.
Le sacrifice des niveaux de vie des travailleurs au nom de la « sécurité de l’emploi » n’a pas empêché les patrons des trois plus grands constructeurs de l’automobile [aux États-Unis] d’anéantir plus d’un million d’emplois depuis 1979. Puisque l’UAW est entièrement hostile à toute lutte pour unir les travailleurs des États-Unis avec leurs frères et sœurs au Mexique, en Chine, au Canada et ailleurs pour lutter contre la surenchère des géants mondiaux de l’automobile, la politique de l’UAW est d’inciter les entreprises à « relocaliser » aux USA en réduisant les emplois, les salaires et les avantages sociaux des travailleurs américains.
Bien que l’UAW affirme que 3.300 emplois ont été « créés ou maintenus », en réalité, il y a plus de suppressions d’emplois à venir. Par exemple, aucun nouveau produit n’est affecté à l’usine de Marion au centre de l’Indiana, signe qu’elle pourrait être fermée.
Comme l’accord chez Fiat Chrysler, l’accord GM élargit le réseau de projets de cogestion entre le syndicat et la direction, dont le Comité national d’approvisionnement, qui permettra à l’UAW d’obliger les travailleurs à accepter de nouvelles concessions pour améliorer « les possibilités d’emploi ».
Alors que les travailleurs de l’automobile commençaient à étudier de près les détails de l’accord, la page Facebook de la centrale de l’UAW était prise d’assaut par les dénonciations furieuses contre l’accord de GM et l’UAW.
Un jeune travailleur de GM dans la région de Detroit a écrit : « Nous ne devrions pas avoir à travailler près d’un tiers de notre temps à GM pour toucher le salaire maximum. Quand il y a 20 ans, ils étaient moins rentables, on pouvait obtenir le salaire maximum en un ou deux ans. Cela va à l’encontre de tout ce que le syndicat '“défendait”' autre fois ».
Un travailleur qualifié de Flint, Michigan a écrit, « Il n’y a absolument pas de gains autres que les 3% et 4% pour les métiers spécialisés, et je lis le texte réel et pas seulement les résumés qui ne sont que des âneries dans les pages des revues professionnelles. Il me semble que ce sera le premier contrat en 20 ans contre lequel je voterai '“non”' ».
Un travailleur de Kokomo, Indiana, a écrit, « Quelle claque pour nous les travailleurs de GMCH, certains d’entre nous y sommes depuis plus de 16 années et embauchés à l’époque par GM avant qu’elle ne devienne GMCH. Ils viennent de créer un troisième rang de travailleur avec ce contrat » !
« Des gains significatifs ?!? Plutôt une blague significative ! », écrit un travailleur GM de Lockport, New York. « C’était à qui le tour cette fois-ci ? Je croyais que c’était NOTRE TOUR. Que diable est arrivé à ces gains significatifs ? Pour qui ? Pour l’entreprise ».
L’épouse d’un travailleur chez Ford a dit : « Maintenant, vous savez pour qui l’UAW travaille et où vont vos cotisations. J’ai hâte de voir ce que les travailleurs de Ford se verront offrir pour mon prochain rire, ceci est un affront et franchement dégouttant surtout quand vous regardez les bénéfices que GM et Ford ont réalisés grâce au dur travail et aux concessions du dernier contrat ! Vous MERITEZ PLUS et vous l’avez gagné ! Si le contrat chez Ford est le même, mon mari est prêt à voter NON et je vais le soutenir ! Où vous situez-vous UAW ? Pour ou contre les travailleurs ? »
Ce ne sont qu’un petit échantillon de l’opposition grandissante des travailleurs. Ceci doit être consolidé à la prochaine étape à travers l’organisation de comités d’usine de la base afin de mobiliser l’opposition pour vaincre cet accord pourri et retirer la conduite de la lutte des mains de l’UAW. Les travailleurs de GM doivent établir des liens avec les Fiat Chrysler, les Ford et d’autres travailleurs de l’automobile, ainsi que les sections les plus larges de travailleurs aux États-Unis et à l’étranger, pour monter une contre-offensive industrielle et politique contre cette attaque sur les emplois et le niveau de vie.
(Article paru en anglais le 29 octobre 2015)