Jeudi, la Réserve fédérale américaine (Fed) a de nouveau retardé l'augmentation promise de son taux d'intérêt directeur qui reste, depuis l’apogée de la crise financière en décembre 2008, entre 0% et 0,25%. La banque centrale américaine a signalé pendant des mois son intention de commencer à augmenter ses taux cette année, mais a remis une telle décision plusieurs fois sous la forte pression de Wall Street et des institutions financières mondiales.
La réunion jeudi de l'Open Market Committee de la Fed (FOMC), qui élabore sa politique, a suscité de fortes inquiétudes à l'échelle internationale étant donné le net ralentissement de la croissance mondiale et la volatilité extrême des marchés financiers. Le fait que la réunion de la Fed ait été au centre de l'attention internationale témoigne du degré auquel l'économie mondiale tout entière est devenue dépendante des perfusions d'argent des grandes banques centrales dans les marchés financiers.
Des milliers de milliards de dollars ont été acheminés vers les banques et les instituts financiers qui dominent le marché, dont quelque $4 mille milliards de la seule Fed, pour rembourser les créances douteuses de l'élite financière et faciliter la poursuite de son enrichissement par des activités spéculatives et parasitaires. Ces subventions massives aux super-riches ont peu fait pour relancer l'économie réelle, qui n'a jamais vraiment récupéré du krach de Wall Street de septembre 2008. Elles ont soutenu une hausse de près du triple des cours des obligations et une nouvelle croissance des activités financières comme les fusions et acquisitions, les rachats d'actions et les augmentations de dividendes, détournant les ressources de l'investissement productif. Le niveau d'investissement des grands pays capitalistes est au moins un quart en dessous de celui d'avant la crise.
Les taux d'intérêt historiquement bas et les programmes dits de « assouplissement quantitatif » (achats d'obligations de la banque centrale) ont massivement bénéficié aux couches sociales les plus riches, alimentant une nouvelle croissance de l'inégalité sociale à l’échelle mondiale.
La déclaration du FOMC a d’abord suscité une quasi-euphorie sur les marchés, faisant remonter le Dow Jones Industrial Average de plus de 100 points dans la première heure suivant sa publication. Lorsque la chaîne câblée américaine CNBC a annoncé la décision à 14 heures, il y eut une acclamation audible depuis le parquet de la Bourse de New York.
Mais la reprise s'est essoufflée et les actions américaines ont terminé la journée sur des résultats mitigés. Le Dow a fermé avec 65 points de baisse et l'indice 500 de Standard & Poor a chuté de 5 points, tandis que le Nasdaq bouclait sur une légère hausse de près de 5 points.
Il semblerait que l'exubérance initiale devant la décision de retarder la hausse des taux a été tempérée par l’inquiétude sur l'état de l'économie et du système financier mondiaux comme en témoigne la déclaration du FOMC. S’écartant nettement de déclarations précédentes de la Fed, qui se réfère rarement aux conditions internationales, ce dernier communiqué a d’abord constaté que les exportations étaient « molles » et que l'inflation avait évolué bien en deçà de l'objectif de 2 pour cent de la Fed pour dire ensuite: « Les récents développements économiques et financiers mondiaux risquent de limiter quelque peu l'activité économique et sont susceptibles de mettre davantage de pression à la baisse sur l'inflation à court terme ».
C’était là une allusion à des données montrant un net ralentissement de l'activité industrielle, des exportations et de l'inflation de la Chine qui représente la moitié de la croissance mondiale depuis le krach de 2008. Les marchés boursiers chinois ont subi des pertes énormes et le yuan a été la dévalué inopinément le mois dernier.
La stagnation de la Chine a exacerbé les problèmes économiques et financiers d'autres soi-disant «économies de marché émergentes » dépendant fortement des exportations de matières premières comme le Brésil, la Russie, la Turquie, l'Afrique du Sud et certaines économies asiatiques. Ces pays ont connu une forte baisse de leur croissance, de leurs exportations et de la valeur de leurs devises, tandis que leurs dettes sont devenues de plus en plus insoutenables du à la force croissante du dollar américain.
En même temps, l’économie européenne croît à peine et celle du Japon s’est contractée au deuxième trimestre.
Les signes d’une intensification de la récession abondent. Les données publiées le mois dernier ont montré que le commerce mondial s’est contracté plus fortement au premier semestre de 2015 qu’à tout autre moment depuis le point culminant de la crise début 2009. Les prix des matières premières continuent à chuter, indiquant une baisse de l'activité industrielle et de la demande.
Mercredi, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié ses Perspectives économiques intermédiaires, abaissant ses prévisions pour la croissance mondiale d'il y a trois mois: ses prévisions pour 2015 de 3,1 pour cent à 3,0 pour cent et sa projection pour 2016 de 3,8 pour cent à 3,6 pour cent.
Si le taux de croissance des États-Unis est meilleur que celui de l'Europe et du Japon, bien que bien plus faible qu’aux périodes précédentes de reprise apparente, le secteur manufacturier lui, continue de se contracter et les prix, selon le gouvernement, augmentent à peine, reflétant les pressions déflationnistes de l'économie mondiale.
Le ministère américain du Travail a rapporté mercredi que son Indice des prix à la Consommation a diminué de 0,1 pour cent en août, la première baisse depuis janvier. Dans les 12 mois précédant août, l'indice a augmenté de seulement 0,2 pour cent.
La convergence de ces développements a suscité des bonds erratiques sur les marchés boursiers aux USA et dans le monde, le mois dernier. À un moment, après une chute de près de 1.000 points du Dow Jones quelques minutes après l’ouverture, William C. Dudley, le président de la Federal Reserve Bank de New York, a dit aux journalistes que les développements internationaux avaient rendu « moins convaincants » les arguments en faveur d’une hausse des taux d’intérêt de la Fed en septembre.
Cette intervention, en a rassurant l'aristocratie financière et en lui disant que la Fed continuerait à garantir ses fortunes et reporterait probablement une hausse des taux, a eu l'effet escompté de prévenir un effondrement complet du marché.
Parmi les organisations et les individus ayant demandé à la Fed de ne pas augmenter les taux à sa réunion de jeudi il y avait le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l'ancien secrétaire américain au Trésor, Lawrence Summers, l'investisseur milliardaire Warren Buffett et le PDG de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein. La semaine dernière, l'économiste en chef de la Banque mondiale a dit au Financial Times que la Fed risquait de déclencher « panique et agitation » si elle relevait les taux.
Alors que dans les milieux financiers le sentiment prédomine pour repousser une hausse des taux aussi longtemps que possible, des forces opposées soutiennent que plus la Fed attend avant de commencer à augmenter les taux, plus l'incertitude règne et pire seront les conséquences économiques et financières. La semaine dernière, l'économiste en chef américain de JPMorgan Chase a exhorté la Fed à commencer à relever les taux à sa réunion jeudi.
Un membre du FOMC, Jeffrey Lacker, président de la Fed de Richmond, en Virginie, a voté contre la décision de maintenir les taux à près de zéro, disant qu'il favorisait une augmentation immédiate de 0,25 pour cent. Son vote était la première dissidence au sein du FOMC cette année.
Dans son communiqué, le FOMC a cherché à rassurer les marchés; même s’il commençait à relever ses taux dès octobre ou décembre, les augmentations seraient petites et progressives. La déclaration disait: «Le Comité prévoit à présent que, même si l'emploi et l'inflation sont proches des niveaux mandatés, il se peut que les conditions économiques nécessitent, pendant un certain temps, le maintien du taux de la Fed en dessous des niveaux que le Comité [de la Féd] estime être normaux à long terme ».
Dans une conférence de presse suivant la sortie de la déclaration, la présidente de la Fed Janet Yellen a réitéré la préoccupation de la banque centrale au sujet des développements mondiaux. « À la lumière de l'incertitude accrue à l'étranger», a-t-elle dit, « le Comité a jugé opportun d'attendre», ajoutant, «Étant donné les interconnexions économiques et financières significatives entre les Etats-Unis et le reste du monde, la situation à l'étranger mérite d’être suivie de près ».
Yellen a distingué la Chine et les économies de marché émergentes, citant les sorties de capitaux et la pression sur les taux de change. En même temps, elle a émis des garanties que la Fed continuerait à maintenir une politique monétaire « hautement accommodante ».
Cela a été confirmé dans les projections publiées par la Fed sur la croissance des États-Unis, l'inflation et le taux d'intérêt de la Fed. La banque centrale a révisé à la baisse sa projection pour la croissance en 2016 et 2017, réduit sa projection pour l'inflation, et prédit que le taux de la Banque centrale augmenterait plus lentement que prévu précédemment.
Alors que le nombre de membres du FOMC prédisant une absence d’augmentation des taux jusqu'en 2016 au plus tôt est passé de deux à quatre, Yellen a souligné que la grande majorité du Comité continuait de prévoir une hausse initiale des taux directeurs plus tard cette année.
(Article traduit de l'anglais le 18 septembre 2015)