Le Front national (FN) a expulsé son fondateur, Jean-Marie Le Pen, en raison de ses remarques répétées pour défendre le régime de Vichy et minimiser la Shoah. Son expulsion, activement sollicitée par des médias bourgeois, est une tentative transparente par le FN de se réinventer comme un parti sur lequel la bourgeoisie peut compter pour gouverner la France.
Le 20 août, le bureau exécutif de la FN s'est réuni « en formation disciplinaire » et a voté pour expulser Le Pen, après avoir entendu ses arguments.
Marine Le Pen, qui lui a succédé à la tête du parti en 2011, l'avait convoqué pour répondre à quinze plaintes présentées au parti. Il était accusé d'avoir accordé des interviews à des médias tels que BFM TV et RMC, ainsi qu’à Rivarol, l’hebdomadaire d'extrême droite, dans lesquels il a défendu le régime de Vichy et a banalisé l'Holocauste.
Jean-Marie Le Pen a dit à plusieurs reprises que les chambres à gaz étaient un « détail de l'histoire » et a défendu le maréchal Philippe Pétain, qui dirigea le régime de Vichy. Le Pen avait déclaré, «Je n’ai jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître. L’on a été très sévère avec lui à la Libération. Et je n’ai jamais considéré comme de mauvais Français ou des gens infréquentables ceux qui ont conservé de l’estime pour le maréchal ».
Les remarques de Le Pen père ont déclenché un conflit à l'intérieur du FN, car elles mettaient en péril la politique de Marine Le Pen de « dédiaboliser » le FN. Des dirigeants autour de Le Pen fille ont pris position fermement contre le père. En avril, Marine Le Pen a dit qu'elle était en « profond désaccord » avec son père et s’opposait à sa candidature aux prochaines élections régionales qui se tiendront en décembre.
Marine Le Pen a convoqué une réunion extraordinaire au mois de mai pour suspendre l'adhésion de son père. Il a protesté contre la décision, et le tribunal de Nanterre a statué en sa faveur. Elle a ensuite convoqué une assemblée générale extraordinaire pour éliminer le titre de président d'honneur du FN détenu par son père. Bien que la majorité du parti ait voté l'élimination de son titre en juillet, le scrutin a été de nouveau annulé par les tribunaux.
Pour condamner la dernière décision contre lui, Jean-Marie Le Pen s'est dit « indigné » d'avoir été « victime d’un guet-apens » par un «bureau politique tronqué ». Il a dit que sa fille « exclut tous ceux qui ne sont pas à 100 pour cent d'accord avec elle» et juré d'assister à la conférence du parti le mois prochain.
Marine Le Pen a traité la décision de «logique», ajoutant: « Jean-Marie Le Pen a enclenché un processus dont il connaissait l'issue en multipliant les fautes depuis de longues semaines ... ».
La décision de la FN de marginaliser Le Pen père est fondée sur des considérations tactiques. Depuis que Marine Le Pen a pris la direction du parti, elle tente de « dédiaboliser » le parti en minimisant les opinions fascistes et antisémites du FN, symbolisées par son père.
Un responsable FN a commenté, « A l’orée des régionales et de la présidentielle, la présidente fait tout pour écarter les accusations de racisme ou d’antisémitisme qui peuvent avoir cours contre nous. Ce conflit, c’est exclusivement ça ».
La majorité des Français étant profondément déçue par les partis traditionnels, tels le Parti socialiste (PS) et Les Républicains (LR), le FN a pu remporter des succès électoraux importants aux derniers scrutins. Il profite plus largement de la dérive de l'ensemble de l'establishment politique vers l'extrême-droite. Le chauvinisme anti-immigré, l'hystérie sécuritaire, l'austérité, et le sentiment pro-guerre du FN ne le distinguent plus des autres partis de la bourgeoisie française.
Les conflits ont développé au sein du FN à mesure que le parti a absorbé les forces sur la périphérie du Parti socialiste (PS), comme Florian Philippot, le vice-président du FN et protégé de l’ancien membre du PS Jean-Pierre Chevènement.
Après l'expulsion de Le Pen, Le Monde a remarqué que Philippot, qui avait « combattu, depuis le début de ce conflit, pour l'exclusion de M. Le Pen, jugeait encore il y a peu que cette rupture ‘devait arriver’, d’une manière ou d’une autre. ‘Il y a une attente forte de la part de l’opinion publique’, veut croire le vice-président du FN ».
En excluant Le Pen, le FN agit en conformité avec de larges sections de l'establishment politique qui cherchent à conditionner le FN et à le transformer en parti de gouvernement.
Dans un éditorial du 8 avril, Le Monde avait écrit : « De deux choses l’une, donc. Ou bien Jean-Marie Le Pen, en sa qualité de président d’honneur, dit tout haut ce que pense réellement le Front national. ... Ou bien Jean-Marie Le Pen est devenu un dissident au sein de son propre parti, torpillant tout le travail de « dédiabolisation » entrepris depuis quatre ans. Et il revient alors à sa fille, son héritière, de le désavouer et de lui refuser statut et investiture. Entre son père et son parti, Marine Le Pen doit trancher. Chacun jugera. »
Si les médias mettent l’accent sur le conflit entre Le Pen et sa fille Marine, c’est dans l'analyse finale une question tactique et non celle de différends fondamentaux. L'exclusion de Le Pen père prépare l'intégration plus profonde du FN dans l'élite dirigeante, pour y préparer encore un virage plus à droite par l'ensemble de la bourgeoisie.