L'élection présidentielle américaine de 2016 sera la plus chère de l'histoire, avec un coût évalué à 10 milliards $ lorsque l'on tient compte de toutes les dépenses des candidats des partis démocrate et républicain, des super PAC (comités d'action politique) et autres lobbies du monde des affaires et des syndicats.
Ces sommes énormes recueillies et dépensées par les candidats démocrates et républicains rendent risible l'idée que les États-Unis sont une démocratie dans laquelle le peuple gouverne. Ce sont les riches qui gouvernent et qui dominent l'ensemble du processus de sélection des candidats des deux seuls partis officiellement reconnus et qui déterminent dans les faits le résultat du vote le 8 novembre 2016.
Sur les 390 millions $ amassés jusqu'à présent, 300 millions $ sont allés aux 15 candidats annoncés à l'investiture présidentielle républicaine, alors que 90 millions $ sont allés aux quatre candidats démocrates, dont 71,5 millions $ à la favorite du camp démocrate Hillary Clinton. La disparité est trompeuse: une fois les élections primaires terminées et qu'un candidat républicain aura été sélectionné pour faire face à Clinton, des milliards de dollars seront dépensés par les deux camps lors de la campagne de l'élection présidentielle américaine.
Le rôle de l'argent dans la campagne présidentielle est devenu si évident que même les médias contrôlés par le monde des affaires ne peuvent plus le cacher. Par exemple, le Washington Post a publié le 16 juillet un rapport dont le titre laisse peu de place à l'imagination : 2016 fundraising shows power tilting to groups backed by wealthy elite (la collecte de fonds pour l'élection présidentielle de 2016 illustre le basculement du pouvoir vers les groupes soutenus par l'élite fortunée). L'article note que les dépenses supposément «indépendantes» des super PAC – des comités d'action politique vaguement liés aux candidats – allaient dépasser pour la première fois les dépenses effectuées par les candidats et leurs comités dans le cadre de la campagne officielle.
Du côté républicain, le rythme a été fixé par Jeb Bush, frère de l'ancien président George W. Bush et fils de l'ancien président George H.W. Bush. Sa campagne et deux super PAC associés ont amassé 119 millions $ au cours du deuxième trimestre de 2015, le plus gros montant jamais accumulé pour un candidat à la présidentielle si tôt dans la campagne.
Presque tout cet argent provenait de donateurs bien nantis: Bush lui-même a donné plus d'argent pour sa propre campagne (399.720 $) que l'ensemble de ses petits donateurs combinés (368.023 $). Outre les milliardaires et les multimillionnaires qui ont donné 1 million $ chacun au super PAC (limite fixée par les organisateurs de la campagne de Bush), Bush a reçu des millions de dollars provenant de lobbyistes du monde de la finance, du pétrole, de la vente en gros, de l'immobilier et d'une série d'autres industries.
Les super PAC sont les rejetons de la décision Citizens United rendue en 2010 par la Cour suprême et les procès subséquents qui ont supprimé dans les faits toute limite à ce que les milliardaires et les entreprises peuvent donner aux comités d'action politique (les dons aux candidats à proprement parler sont toujours limités à 2700 $).
Les super PAC ont d'abord joué un rôle important en 2012, principalement dans la campagne des primaires républicaines, où les milliardaires Sheldon Adelson et Foster Friess ont permis de garder dans la course Newt Gingrich et Rick Santorum contre Mitt Romney, lui-même un gestionnaire de fonds spéculatif quasi milliardaire.
La campagne 2016 représente un autre saut quantitatif. Les super PAC ont amassé pour 230 millions $ en financement pour les candidats républicains, comparativement à 65 millions $ recueillis par les candidats eux-mêmes.
Chaque candidat républicain d’importance a derrière lui un milliardaire (ou dans le cas de Donald Trump, est lui-même un milliardaire), la seule exception étant le sénateur Rand Paul du Kentucky, dont les objections occasionnelles aux aventures militaires des États-Unis à l'étranger l'ont privé d'un tel financement, ce qui a provoqué une rapide dissipation de ses espoirs de remporter la campagne.
Le financement des super PAC a fait de Jeb Bush le favori, tout en accordant un statut de prétendants sérieux aux sénateurs Ted Cruz (53 millions $) et Marco Rubio (44 millions $). Un autre espoir républicain qui s'est démarqué, le gouverneur Scott Walker du Wisconsin, a engrangé 20 millions $ de son super PAC avant de déclarer sa candidature le 13 juillet.
Les super PAC vont soutenir au moins une demi-douzaine de candidats républicains. Trois milliardaires financent l'ancien gouverneur du Texas Rick Perry à la hauteur de 16 des 17 millions $ que sa campagne a pu recueillir. Le gouverneur de l'Ohio John Kasich, qui annoncera sa candidature la semaine prochaine, a 11,5 millions $, et le gouverneur du New Jersey, Chris Christie, a 10 millions $. Même le gouverneur de la Louisiane Bobby Jindal, un retardataire dans la campagne, est soutenu par 9 millions $ provenant d'un super PAC. L'ancien gouverneur de l'Arkansas Mike Huckabee et l'ancien PDG de Hewlett Packard Carly Fiorina ont aussi assez de riches donateurs pour faire fonctionner leur campagne.
Du côté démocrate, la même réalité prévaut essentiellement, bien que masquée par la prétention que le Parti démocrate est le parti des travailleurs et la rhétorique populiste de certains rivaux démocrates de l'ancienne secrétaire d'État Hillary Clinton.
La collecte de fonds de Clinton a le même profil que celle des candidats républicains, à la différence près que, du fait qu'ils ne s'attendent pas à une lutte sérieuse aux élections primaires, les stratèges de Clinton ont demandé aux gros donateurs de patienter jusqu'à la campagne de l'élection présidentielle américaine. La plupart des milliardaires démocrates, comme Warren Buffett, le spéculateur financier George Soros et le banquier d'affaires Tom Steyer attendent ainsi jusqu'à l'année prochaine.
Mais Clinton a déjà reçu de petites sommes – essentiellement des acomptes – des milliardaires des médias Haim Saban et Fred Eychaner, du gestionnaire de fonds spéculatif Marc Lasny, de JB Pritzer, richissime membre de la famille Hyatt, de Lynn Forester de Rothschild, et de nombreux autres magnats d'Hollywood, de Silicon Valley et de Wall Street.
La semaine dernière, Clinton a affiché sur le site web de sa campagne les noms des 122 «bundlers», ces groupeurs de fonds qui ont levé au moins 100 000 dollars pour sa campagne au deuxième trimestre. Ces lobbyistes comprennent Dow Chemical, Microsoft, Exxon, PepsiCo, Verizon et MasterCard, parmi beaucoup d'autres. L'identité d'un de ces «groupeurs de fonds» est révélatrice : Steven Rattner, ce banquier d'affaires à la tête du groupe de travail sur l'automobile d'Obama qui a imposé des réductions de salaire de 50 pour cent aux travailleurs de l'automobile nouvellement embauchés.
Le principal rival de Clinton, le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, n'a pas de super PAC, mais a néanmoins amassé 15,2 millions $ principalement sur Internet. En fait, il a recueilli plus d'argent que Clinton parmi les petits donateurs donnant moins de 200 $. Sanders remplit ainsi la fonction qui lui a été assignée: utiliser une rhétorique anti-milliardaire (refusant notamment d'avoir un super PAC) pour attirer les électeurs mécontents des politiques de droite de l'administration Obama, afin de les ramener dans l'orbite du Parti démocrate.
Ce processus n'a rien à voir avec la démocratie. Il montre comment l'aristocratie financière américaine manipule l'opinion publique, cherchant à préserver l'illusion d'un choix populaire lors de l'élection présidentielle, le tout derrière un voile plus ténu que jamais. Entretemps, les milliardaires mettent les candidats à l'épreuve et sélectionnent la personne qu'ils installeront à la Maison-Blanche pour les servir.
(Article paru en anglais le 20 juillet 2015)