Chers camarades étudiants,
Lors de la dernière réunion du parlement étudiant, nous avions remis à plus tard une décision concernant notre résolution parce que la question de « Münkler-Watch » venait tout juste de surgir. Ces dernières semaines ont confirmé l’importance de cet événement.
Je tiens à souligner que ce qui est en jeu est ici est fondamental: il s’agit du droit à la liberté d’expression à l’Université Humboldt et au-delà.
Notre résolution commence par un rejet formel des attaques véhémentes portées contre « Münkler-Watch » par les médias et les professeurs de notre université. La question qui se pose est: que se passe-t-il exactement ? Qu’a fait « Münkler-Watch » ?
Nous expliquons dans la résolution que « Les étudiants n’ont fait que documenter et critiquer les points de vue politiques et académiques d’un professeur. » En d’autres mots, ils ont usé de leur liberté d’expression !
Là-dessus, s’est développé ces dernières semaines un débat virulent à ce sujet, dans les médias, et à l’université où il est mené par des professeurs et par l’administration universitaire. Je vous donne quelques exemples de la campagne menée contre les étudiants :
* Dans le Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, la journaliste Friederike Haupt a associé les étudiants aux terroristes et aux poseurs de bombes, ce qui fut catégoriquement rejeté par les représentants des trois disciplines Histoire, Sciences de l’éducation et Etudes de genre dans leur propre déclaration pour la défense du droit des étudiants à la liberté d’expression.
* Dans Die Zeit, Münkler s’est servi d’arguments similaires il a accusé les étudiants de se livrer à une « guerre asymétrique » et a comparé les critiques à son égard à des « structures antisémites. »
* Dans un commentaire paru dans le Berliner Zeitung, le président de l’Université Humboldt, Olbertz, a déclaré que la menace à la liberté d’expression ne venait plus d’un Etat autoritaire mais des étudiants.
* Jörg Baberowski, le titulaire de la chaire d’histoire de l’Europe de l’est, a dit au Tagesspiegel qu’on devait interdire à de tels « cinglés » l’accès à l’université et les poursuivre en justice.
On a une situation où des étudiants qui critiquent les points de vue militaristes de leurs professeurs sont traités de terroristes et comparés aux antisémites. On devrait les expulser de l’université et les remettre à la police. Voilà la situation!
« Münkler-Watch » a été attaqué pour son anonymat. Dans ce contexte, il est important de souligner que le droit à la liberté d’expression comprend le droit à l’anonymat. C’est ce qu’a confirmé la Cour fédérale de justice. Notre résolution dit :
En 2009, la Cour fédérale de justice a statué que « l’obligation de s’identifier lorsqu’on exprime une certaine opinion » est incompatible avec la Constitution. Une telle obligation présenterait « le danger que des individus s’abstiennent d’exprimer leurs opinions par crainte de représailles ou d’autres conséquences négatives. »
Si l’on considère la réaction aux critiques faites par l’EJIES (Etudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale) de certains professeurs, il est clair que l’anonymat de « Münkler-Watch » est parfaitement justifié.
L’administration de l’université a tenté de nous priver de salles pour la tenue de réunions publiques. Deux déclarations – l’une de la chaire d’Histoire, l’autre diffusée sur le site web de l’Initiative pour l’excellence – demandent aux étudiants de ne pas tolérer les points de vue de l’EJIES dans l’enceinte de l’université Humboldt et de s’opposer à l’EJIES. Une déclaration de l’Initiative pour l’excellence fait état, sans fournir l’ombre d’une preuve, d’une « campagne de dénigrement » que nous mènerions.
Finalement, le professeur d’une camarade étudiante qui était candidate à l’élection au parlement étudiant sur la liste de l’EJIES a mis en avant son appartenance politique. Il a ensuite remis en question la supervision de son mémoire de maîtrise.
Telle est l’arrière-plan de la campagne contre « Münkler-Watch ».
Comment s’expliquer la véhémence de cette réaction?
Il faut là examiner ce que font les professeur Münkler et Baberowski. Il y a un lien direct entre leur travail à l’université et leur activité politique.
Herfried Münkler par exemple, siège au comité consultatif de l’Institut fédéral des hautes études de sécurité. Il prône ouvertement une réécriture de l’histoire pour l’adapter aux exigences actuelles de la politique étrangère.
Au début de l’année, dans une interview accordée au Süddeutsche Zeitung, il a dit : « Il ne peut guère y avoir une politique responsable en vigueur en Europe quand on entretient l’idée que tout était de notre faute. » Selon lui, il est nécessaire de réécrire l’histoire et, à cette fin, il se sert de sa position et de sa réputation de professeur.
Baberowski dit explicitement que ce sont les généraux de Staline qui ont obligé la Wehrmacht à mener une guerre d’extermination. Il travaille en étroite collaboration avec l’armée allemande.
Au cours de ces derniers mois, il est devenu de plus en plus évident que cette ligne politique – la réécriture de l’histoire dans le but de justifier une nouvelle politique étrangère – n’a pas pris dans la population et a été de plus en plus critiquée par les étudiants. C’est ce qu’a amplement démontré l’exemple de « Münkler-Watch ».
Il est évident aussi que de telles conceptions militaristes sont incompatibles avec les normes démocratiques. C’est pourquoi toute critique doit être réprimée.
Ceci nous mène à la question centrale d’aujourd’hui et dont nous devons décider ici : notre université doit-elle rester un lieu de recherche et de critique ?
Personne ne demande de censurer Münkler ou Baberowski. Ce n’est pas la question. Mais, si la discussion n’est pas possible à cette université, alors il faut vraiment parler d’une mise au pas de cette université.
Il est donc essentiel que cette résolution soit adoptée aujourd’hui pour montrer clairement que nous défendons les droits démocratiques des étudiants.
Je précise encore une fois que la résolution n’exige pas d’être d’accord avec les déclarations de « Münkler-Watch » ou avec la politique de l’EJIES. La question fondamentale est de savoir si oui ou non la critique scientifique est possible à l’Université Humboldt.
Au vu des réactions suscitées par « Münkler-Watch », la question se pose ici avec une acuité toute particulière. La décision que nous prendrons ici aujourd’hui établira en fin de compte un précédent pour la défense de la liberté d’expression à d’autres universités.
Tout le monde doit être conscient aujourd’hui qu’en qualité de représentants politiques des étudiants à l’université Humboldt, nous avons la responsabilité de défendre le droit fondamental des étudiants de s’exprimer librement. Dans leurs déclarations, les professeurs ont attaqué ce droit fondamental ou bien ils ont gardé le silence.
Si nous rejetions une résolution concernant la défense des étudiants, ce serait un coup terrible. Ce serait une invitation à ces professeurs de poursuivre leurs attaques. Les étudiants s’attendent à ce que nous prenions fait et cause pour leurs droits élémentaires.
Aujourd’hui a lieu la première séance du parlement étudiant depuis le début du conflit au sujet de « Münkler-Watch ». Les conséquences seraient fatales si le parlement étudiant ne réussissait pas à défendre explicitement la liberté d’expression. C’est pourquoi je demande à tous ceux qui ont le droit de voter ici, de voter pour la résolution.
Il ne faut pas se faire d’illusions: une attitude négative face à une telle question de principe signifie le rejet de la liberté d’expression à l’Université Humboldt et entraînerait la prochaine série d’attaques contre les étudiants.
(Article original paru le 13 juin 2015)