La Commission de vérité et réconciliation du Canada – les questions de classe

Le rapport publié plus tôt ce mois-ci par la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) sur les pensionnats autochtones documente un crime horrible perpétré par l'élite dirigeante capitaliste canadienne et son État – un crime dont les effets se répercutent encore à ce jour.

Dès les années 1870 et pendant plus d'un siècle, les enfants autochtones et inuits ont été systématiquement enlevés à leurs parents et leurs communautés pour être placés dans des écoles dirigées par l'Église, généralement à des centaines, voire des milliers de kilomètres de leur foyer. Là, ils ont enduré des conditions de type carcéral: on leur refusait systématiquement nourriture et traitement médical appropriés; ils étaient punis s’ils parlaient leur langue maternelle; et ils étaient soumis à des violences physiques et sexuelles.

Environ 150.000 enfants – soit un enfant autochtone sur trois dans la première moitié du XXe siècle – ont été captifs du système des pensionnats de l'Église imposé par le gouvernement. On estime que 6.000 sont morts de maladie, d'abandon et d'abus. Beaucoup ont été enterrés dans des tombes anonymes sans même que leurs parents ne soient informés de leur décès.

Tout cela a été fait dans le but de «tuer l'Indien dans l'enfant», comme le soutenait le principal père de la Confédération et Premier ministre du Canada pendant deux décennies (de 1867 à 1873 et de 1878 à 1891), Sir John A. Macdonald.

Ce n’est pas surprenant que Macdonald ait joué un rôle crucial dans le développement du système des pensionnats. Ce système occupait une place à part entière dans la consolidation de l'État-nation canadien qu'il dirigeait en étroite collaboration avec une cabale de banquiers, de magnats du chemin de fer, de promoteurs et d'industriels.

En plus de son «résumé» de 300 pages du rapport final, la Commission de vérité et réconciliation du Canada, nommée par le gouvernement, a conclu que le système des pensionnats autochtones était un «élément central» de la politique autochtone de l'État canadien avec pour but «d'éliminer les gouvernements autochtones; d’ignorer les droits des Autochtones, de mettre fin aux traités; et, par un processus d’assimilation, de faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister comme entités juridiques, sociales, culturelles, religieuses et raciales distinctes». Qualifiant cette politique de «génocide culturel» (c'est-à-dire la destruction des structures et des pratiques permettant à un groupe de survivre en tant que groupe), la Commission a constaté que le gouvernement canadien a poursuivi cette politique «parce qu’il souhaitait se départir de ses obligations légales et financières à l’égard des populations autochtones et prendre le contrôle de leurs terres et de leurs ressources». 

Le rapport comporte 94 recommandations. Beaucoup d'entre elles sont pour une augmentation des dépenses de l'État en soins de santé, en éducation, en logement et en aide à l'enfance, de façon à aider à extirper les peuples autochtones du Canada des conditions similaires au tiers-monde qui prévalent sur la plupart des réserves autochtones et, de plus en plus, dans les ghettos urbains où vivent maintenant beaucoup d'entre eux. Une foule d'autres recommandations tourne autour de la commémoration des victimes du système des pensionnats et la sensibilisation des Canadiens à cette injustice historique. Les commissaires ont également réitéré la demande de longue date de l'élite autochtone canadienne pour une plus grande reconnaissance juridique et plus de pouvoirs pour des gouvernements autochtones autonomes, ainsi que pour la résolution rapide et équitable des revendications territoriales. 

Le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada a sans doute choqué et perturbé bien des travailleurs. Non seulement ce crime monstrueux a été ignoré, mais aussi dissimulé, ce qui signifie qu'avant sa publication, la plupart des Canadiens connaissaient peu, sinon rien au sujet du système des pensionnats. Le rapport va à l'encontre du récit nationaliste canadien officiel qui dépeint le Canada comme une société «plus douce» et «qui se préoccupe du bien-être d'autrui», fondamentalement différente de la république du dollar des États-Unis au sud. Ce récit, bien sûr, est démasqué comme une imposture à mesure que l'élite dirigeante du Canada se rallie derrière les États-Unis dans une guerre après l'autre et qu'elle démantèle les services publics et les programmes sociaux. Mais il est soutenu par de puissants intérêts et appétits sociaux. 

L'assaut du gouvernement Harper sur les peuples autochtones 

Le Premier ministre Stephen Harper et son gouvernement conservateur ont clairement l'intention d'enterrer le rapport de la CVR et sa conclusion selon laquelle le Canada a commis un «génocide culturel». Harper a platement refusé de réagir au «Résumé» et aux recommandations en prétextant que son gouvernement attendait la publication plus tard cet automne des six volumes du rapport de la Commission.

Harper ne pouvait pas tourner entièrement le dos à la CVR lors de sa publication. Après tout, c'est son gouvernement qui l'a créée en 2007 dans le cadre du règlement d'un recours collectif intenté par les survivants des pensionnats contre Ottawa et ses partenaires ecclésiastiques. Mais le Premier ministre est resté assis, stoïque et silencieux, lors des procédures officielles marquant la fin des travaux de la CVR. Interrogé sur le rapport au Parlement, il a eu le culot de dire que le Canada présentait l'un des meilleurs dossiers de la planète quant au traitement des peuples autochtones. Harper, dont le comportement général rappelait celui d'un comptable rancunier et vindicatif, a également affirmé que son gouvernement avait dépensé «de grandes quantités d'argent» pour améliorer la vie des populations autochtones du Canada. 

En fait, le gouvernement conservateur a systématiquement attaqué les peuples autochtones du Canada dans le cadre de son offensive contre l'ensemble de la classe ouvrière. Cette offensive a consisté en des coupes massives dans les dépenses sociales, une augmentation de l'âge de la retraite, de nouvelles réductions des allocations de chômage, l'interdiction à toute fin pratique de la grève dans les industries de compétence fédérale et une expansion spectaculaire des pouvoirs de l'appareil de sécurité nationale.

Harper a coupé des milliards de dollars dans les programmes destinés aux populations autochtones, en commençant par la répudiation des engagements pris par le gouvernement libéral précédent dans le cadre de «l'Accord de Kelowna» de 2005. Au centre de l’action du gouvernement conservateur se trouve la campagne pour développer de nouveaux gisements de minéraux dans le Nord canadien et des projets de pipelines pour transporter le pétrole extrait des sables bitumineux de l'Alberta vers les marchés américains et asiatiques, en dépit des vives objections des groupes autochtones. Conformément à la loi adoptée en 2012, les conservateurs ont fait des changements à la Loi sur la protection des eaux navigables et à la Loi sur les Indiens qui ouvrent la voie à la privatisation de facto des terres autochtones et réduisent de façon significative la protection de l'environnement. 

La crise capitaliste mondiale et l'opposition des communautés autochtones ont entravé les plans du gouvernement. Mais dans une série de documents politiques, d'études universitaires et de rapports préparés par des groupes de réflexion, les conservateurs et leurs partisans néoconservateurs du monde des affaires ont expliqué que leur objectif est d'intégrer les réserves indiennes autochtones beaucoup plus pleinement dans le capitalisme contemporain canadien, en particulier en les soumettant aux règles de la propriété privée des terres, afin d'exploiter de façon plus rentable leurs ressources naturelles et le bassin de main-d'œuvre à bon marché qu'ils représentent.

Harper et son gouvernement évitent publiquement de parler du rapport de la CVR qu'ils dédaignent en privé parce qu'ils le considèrent comme une entrave à leur programme d'éviction.

Les partis de l'opposition et la CVR 

Les partis de l'opposition, rejoints par une partie importante de la presse capitaliste, ont pris une approche différente.

Le NPD et les libéraux ont été prompts à approuver le rapport et ses recommandations. Le chef libéral Justin Trudeau est même allé jusqu'à promettre qu'un gouvernement libéral mettrait en œuvre les 94 recommandations.

Il y a là une énorme dose de cynisme et d'hypocrisie dans ce domaine.

La dernière fois qu'ils ont formé le gouvernement fédéral, les libéraux ont effectué les plus grandes réductions de dépenses sociales de l'histoire canadienne et entièrement ignoré les 440 recommandations formulées dans le rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996. Cette commission avait été mise en place pour contenir la montée du mécontentement au sein des Premières Nations, comme en témoigna la crise d'Oka de 1991 qui prit fin avec la suppression par l'Armée canadienne d'une occupation des terres ancestrales des Mohawks qu'un promoteur voulait transformer en terrain de golf privé.

Bien que le NPD n'ait jamais occupé le siège du pouvoir à Ottawa, les gouvernements provinciaux NPD, y compris celui qui dirige actuellement le Manitoba, ont présidé à des conditions épouvantables pour les peuples autochtones, tant dans les réserves qu'en dehors de celles-ci. 

En outre, les deux partis de l'opposition se sont engagés à conserver l'équilibre budgétaire et le cadre financier réactionnaire créés par des décennies de gouvernements libéraux et conservateurs fédéraux, en vertu duquel l'impôt des sociétés et sur les revenus et les gains en capitaux des riches et des super-riches ont été réduits à des niveaux record. S’ils devaient arriver au pouvoir, les libéraux et les néo-démocrates vont rapidement oublier et répudier leurs promesses de soutenir l'appel de la CVR à augmenter les dépenses sociales afin de soulager la misère sociale des peuples autochtones du Canada.

Dans la foulée du rapport de la CVR et la litanie des horreurs qu'il a documentées, la presse à grand public a publié des déclarations d'horreur face aux traitements infligés aux enfants autochtones dans les pensionnats. Cependant, les éditoriaux et les commentaires ont ouvertement contourné la question centrale du financement d'une expansion massive des services publics et sociaux pour les populations autochtones, préférant se concentrer sur la nécessité d'obtenir des excuses publiques de diverses entités politiques et religieuses, de même que sur la réconciliation.

Tout cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de dissensions au sein de l'élite dirigeante au Canada. Dans leurs efforts pour développer les ressources et apporter une «réforme» néolibérale au système des réserves, Harper est entré à maintes reprises en conflit avec les organismes jusque-là reconnus par Ottawa comme les représentants des autochtones au Canada, notamment l'Assemblée des Premières Nations. En contraste, ceux qui sont prêts à applaudir le rapport de la CVR, politiciens néodémocrates et libéraux, favorisent généralement la poursuite des politiques d'abord élaborées dans les années 1970 et 1980 afin de donner un visage apparemment plus humain à l'oppression continue des peuples autochtones par le capitalisme canadien, et faire la promotion de négociations pour créer des «gouvernements autonomes» autochtones et régler les questions de revendications territoriales. 

Cette section de l'élite a constaté que Harper a manifestement échoué à réaliser ses plans de construction de pipelines. En outre, tout comme Harper, elle est parfaitement consciente du mécontentement croissant chez les Autochtones (des fuites et des rapports rendus publics conformément aux demandes d'accès à l'information, révèlent que le Service canadien du renseignement de sécurité et d'autres agences de l'État ont lancé des mises en garde à plusieurs reprises relativement à la menace de troubles sociaux généralisés provenant des Premières Nations).

Les sections de l'élite canadienne qui adoptent le rapport de la CVR espèrent l'utiliser pour réaliser un semblant de correction de trajectoire. Elles favorisent l'option de s'appuyer davantage sur l'élite autochtone entretenue au cours des quatre dernières décennies et proposent de le faire en les intégrant plus systématiquement dans l'appareil gouvernemental et le développement des ressources. Les trois commissaires de la CVR (la juge du Manitoba Murray Sinclair, la journaliste et chef de pupitre Marie Wilson, et l'avocat et ancien député conservateur Wilton Littlechild) sont eux-mêmes des représentants de cette élite autochtone et leur rapport est imprégné de la perspective de «réconcilier» la population autochtone avec le capitalisme canadien. 

La juge McLachlin et la «tache la plus flagrante» du Canada 

À cet égard, il est très significatif que seulement cinq jours avant la publication du rapport de la CVR, la juge en chef de la Cour suprême du Canada, Beverely McLachlin, ait prononcé un important discours dans lequel elle a affirmé que le traitement des peuples autochtones du Canada équivalait à un «génocide culturel» – approuvant du coup à l'avance la conclusion centrale de la CVR.

Juge à la Cour suprême depuis 1989, McLachlin a été impliquée dans une série de décisions délimitant les «droits fonciers des autochtones» et «d'auto-gouvernance». Ces décisions visent à donner le tampon de la légitimité à la dépossession des peuples autochtones et au façonnement d'un système moderne d'autonomie gouvernementale autochtone entièrement incorporé à l'État capitaliste canadien et constituent comme tel un instrument pour la poursuite de la dissolution des terres communales traditionnelles et leur transformation en propriété privée capitaliste. 

Dans son discours du 28 mai, McLachlin qualifie le traitement des Premières Nations de «tache la plus flagrante» de l'histoire du Canada en tant que «pays multiculturel et pacifiste» – une déclaration typique de la section prétendument progressiste de l'élite canadienne à l'endroit de la CVR et du sort continu des peuples autochtones.

En réalité, la dépossession de la population autochtone n'était pas un défaut ou une tache de naissance. Elle faisait partie intégrante de la montée du capitalisme canadien et de la consolidation de l'État-nation canadien. En outre, elle met à nu le caractère violent et oppressif de l'État canadien comme instrument de violence organisée, voué à la défense de l'exploitation capitaliste jusqu'à nos jours. La montée du capitalisme canadien a entraîné la destruction des sociétés autochtones – un génocide – parce que les structures de type communal sur lesquelles se fondaient les sociétés autochtones étaient incompatibles avec l'imposition de la propriété privée capitaliste. 

Les quatre dernières décennies de luttes pour les droits fonciers, sur la base de l'acceptation du capitalisme et de la promotion d'un nationalisme autochtone en vue de la négociation d'une nouvelle «relation» avec l'État canadien, ont conduit les peuples autochtones dans une impasse politique et sociale. Les accords d'autonomie gouvernementale et de revendications territoriales entretiennent une petite élite qui gère les réserves avec des salaires à six chiffres et qui est plongée dans des transactions d'affaires allant de la construction au transport, en passant par les casinos et la contrebande de cigarettes, tandis que des centaines, et, dans certains cas même des milliers, de membres de leur communauté vivent dans une pauvreté abjecte. 

La fin de l'oppression historique des peuples autochtones, tout comme la défense des droits sociaux et démocratiques de tous les travailleurs, passent par la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière en vue de réorganiser la société de haut en bas selon des lignes socialistes. 

Les auteurs recommandent également :

La Commission de vérité et réconciliation du Canada et les crimes commis contre les peuples autochtones.

[6 juin 2015]

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