Les tensions sociales et l’effusion de sang sont montées en flèche dans la capitale burundaise Bujumbura depuis l’assassinat du politicien d’opposition Zedi Feruzi le 23 mai. Il reste difficile de savoir qui est responsable du meurtre de Feruzi.
Celui-ci s’est produit une semaine seulement après une tentative de coup d’État et après des semaines de manifestations contre une nouvelle candidature du président Pierre Nkurunziza qui brigue un troisième mandat. Le meurtre de Feruzi a entraîné l’effondrement des négociations entre le gouvernement et les partis d’opposition sous l’égide de l’ONU et la reprise des manifestations quotidiennes à Bujumbura.
Le gouvernement a maintenant interdit les manifestations. Elles se poursuivent cependant et l’activité économique de la capitale est fortement réduite. Une trentaine de personnes ont déjà été tuées par des tirs de la police. Cinq stations de radio ont été fermées par le gouvernement pour avoir soutenu l’opposition à un troisième mandat de Nkurunziza.
Les tensions croissantes soulèvent le danger d’un retour à la guerre civile qui a fait rage pendant 12 ans dans le pays jusqu’en 2005 et où plus de 300.000 personnes ont trouvé la mort. Les tensions ethniques entre Hutus et Tutsis menacent également de déclencher une nouvelle guerre régionale qui s’étendrait du Burundi au Rwanda voisin et à l’est de la République démocratique du Congo.
La veille de l’assassinat de Zedi Feruzi, un des principaux marchés de la capitale a été le théâtre d’une attaque à la grenade qui a tué trois personnes et en a blessé quarante. Assassinats politiques et attentats à la grenade avaient été fréquents durant la guerre civile. Si au Burundi le conflit a tout d’abord été politique et marqué par une escalade des divisions à l’intérieur de l’establishment hutu au pouvoir, les signes sont de plus en plus nombreux que le gouvernement essaie de pousser la situation vers un conflit ethnique. Les Hutus représentent environ 85 pour cent de la population et les Tutsis 15 pour cent.
Après que Nkurunziza a déclaré que quatre-vingt-dix-neuf pour cent du Burundi était « calme », Pascal Nyabenda, le président du parti gouvernemental Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), a dit en accusant que les manifestations se concentraient sur quelques quartiers tutsis de Bujumbura.
Mais les manifestations avaient à l’origine pour motif l’opposition à la tentative de Nkurunziza d’imposer sa candidature à la présidence une troisième fois; elles ont trouvé un soutien même au sein du CNDD-FDD. « Dans le CNDD-FDD, des dissidents, qui avaient signé une lettre pour signifier leur désaccord, ont été réduits au silence, » écrit le quotidien français Le Monde. « Les divisions ont été masquées, mais une démonstration a été faite: l’opposition à Pierre Nkurunziza ne s’est pas faite sur une base ethnique, mais politique. »
Le général Godefroid Niyombare, qui a dirigé le récent coup d’État manqué, était le directeur des renseignements de Nkurunziza jusqu’à ce qu’il ait été congédié pour avoir écrit un rapport hostile à une troisième candidature présidentielle de Nkurunziza.
Zedi Feruzi avait été l’un des collaborateurs de Nkurunziza au CNDD-FDD, jusqu’à ce qu’il rompe avec lui en 2007 avant d’être arrêté, condamné et emprisonné.
Le Département d’État américain a publié une déclaration pressant le gouvernement de négocier un règlement du conflit. Il a condamné le meurtre de Feruzi et l’attaque à la grenade à Bujumbura et a demandé une enquête sur les décès. Il a également appelé le gouvernement burundais « à permettre la reprise immédiate des émissions par les stations de radio indépendantes, à mettre fin à l’utilisation du terme ‘insurgé’ pour désigner des manifestants pacifiques et à retirer la proclamation du Conseil de sécurité nationale burundais interdisant les manifestations futures. »
Sans nommer les États-Unis, le porte-parole du gouvernement burundais, Philippe Nzobonariba, est ensuite intervenu sur la radio d’État et a déclaré: « Le gouvernement du Burundi est profondément préoccupé par l’activité diplomatique en cours qui tend à saper et dénigrer les institutions républicaines et constitutionnelles. »
Les troubles au Burundi menacent maintenant d’exploser en une guerre régionale de grande envergure comme le conflit ayant éclaté au Rwanda et au Congo dans les années 1990 et 2000 et parfois appelé la ‘Grande Guerre de l’Afrique’. Les observateurs avertissent de ce que le régime rwandais et les « Forces démocratiques pour la Libération du Rwanda » (FDLR), milices hutues opérant au Congo, pourraient intervenir militairement au Burundi si son gouvernement s’effondrait.
Dans la Grande Guerre de l’Afrique, Washington a formé et soutenu les forces rebelles ethniques tutsies sous Paul Kagamé pour renverser le régime hutu au Rwanda et saper l’influence impérialiste française dans la région. Alors que le régime hutu rwandais lançait une attaque génocidaire contre les Tutsis, les forces de Kagamé ont envahi le Rwanda et renversé le régime.
Les milices hutues du FDLR ont finalement fui à travers la frontière vers la République démocratique du Congo. Les forces alliées à Kagamé au Congo ont alors joué un rôle clé dans le lancement de la guerre civile de 1997-2003 au Congo qui a sapé le régime issu de la dictature Mobutu et soutenu par la France. Plusieurs millions de personnes ont été tuées dans ces guerres auxquelles ont été mêlés presque tous les pays voisins du Congo.
Au Burundi, la stratégie du gouvernement d’attiser les tensions ethniques menace à tout moment de devenir incontrôlable. Filip Reyntjens, professeur à l’Université d’Anvers, a dit à la télévision belge: « Nous venons ce week-end d’assister au premier assassinat d’un opposant politique depuis des années. La tension augmente clairement d’un cran... Le Président a déjà annoncé plusieurs fois qu’il se représenterait. Il est très difficile pour Nkurunziza de rebrousser chemin. L’opposition ne négociera rien d’autre que le retrait de sa candidature. »
Reyntjens a tiré de son analyse de la situation deux scénarios possibles, soit « le parti au pouvoir peut faire le gros dos et continuer à réprimer les manifestations... Le régime sera alors plus répressif qu’il ne l’est aujourd’hui, » soit, « un certain nombre de partis politiques, voire certaines ailes de ces partis, reprendront les armes, et la guerre civile au Burundi recommence. Une relance de la guerre civile n’est pas à exclure. »
Reyntjens a conclu en disant que les « frontières sont poreuses, une extension internationale en République démocratique du Congo et au Rwanda n’est pas non plus à exclure. Si les FDLR, les rebelles hutus qui opèrent au Congo, devaient intervenir dans ce conflit, et qu’il y avait l’impression, à Kigali [la capitale rwandaise], que des Tutsis burundais sont ciblés, le Rwanda a déjà averti qu’il serait obligé d’intervenir. »
(Article original paru le 27 mai 2015)