Après une minute de silence officielle « en souvenir des morts de la Méditerranée » les dirigeants des Etats membres de l'UE sont parvenus à un accord sur un « plan en dix points sur la migration » que les ministres des Affaires étrangères et de l'Intérieur avaient préparé lundi 20 avril. Les principaux objectifs de ce plan sont l’intensification des opérations policières et militaires contre les réfugiés et l’établissement des bases d’une intervention militaire massive en Afrique.
Le premier point prévoit le renforcement des « Opérations conjointes en Méditerranée, à savoir Triton et Poséidon, par l’augmentation des ressources financières et le nombre d'actifs ». En même temps, on « étendra leur zone d'opération » ce qui leur permettra d'« intervenir davantage, dans le mandat de l'agence Frontex. »
« Triton », « Poséidon » et « Frontex » sont des mots-code pour la « Forteresse Europe. » « Frontex » est le nom de l'agence tristement célèbre de protection des frontières de l'UE, responsable de la fermeture hermétique des frontières extérieures de l'UE (environ 12 000 kilomètres sur terre et 45 000 en mer). Pour atteindre cet objectif, les opérations « Triton » et « Poséidon », menées sous l’égide de Frontex, doivent atteindre les proportions de véritables opérations de guerre contre les réfugiés et leurs bateaux.
Le deuxième point du plan mentionne « un effort systématique pour capturer et détruire les vaisseaux utilisés par les passeurs » et explique que « les résultats positifs obtenus avec l'opération Atalanta devraient inspirer » la Commission européenne.
La référence à « l'Opération Atalanta » révèle le caractère des mesures prévues. « Atalanta » est le nom d'une opération militaire de l'UE dans la région de la Corne de l'Afrique où les cuirassés des Etats membres de l'UE traquent les pirates au large des côtes de Somalie, détruisant non seulement les bateaux mais les camps de pirates présumés à l’intérieur des terres.
Fabrice Leggeri, directeur de l'agence Frontex, ne laisse aucun doute que le renforcement de « Triton » ne concerne pas les « sauvetages en mer, » mais les patrouilles frontalières,
c'est-à-dire la répression des réfugiés. Comme il l’a expliqué au Guardian, « Triton ne peut être une opération de recherche et de sauvetage [des réfugiés] ... Ce n'est pas dans le mandat de Frontex, et ce n'est pas, si j'ai bien compris, dans le mandat de l'Union européenne."
Le premier ministre britannique David Cameron a souligné que, même après les catastrophes les plus récentes, la tâche de l'UE n'était pas de sauver les réfugiés, mais de prendre des mesures plus efficaces contre eux. Parlant des précédentes mesures de sauvetage en mer liées à l'opération interrompue de l’UE « Mare Nostrum », Cameron déclara cyniquement: « Il semble que plus de vies ont été perdues en raison de ce que la marine italienne faisait. Plus de gens prenaient la mer, plus de gens mouraient. »
Cette déclaration est aussi criminelle que fausse. Selon Selmin Çalışkan, secrétaire générale d'Amnesty International en Allemagne, « Un nombre bien plus élevé d'immigrants et de réfugiés ont tenté de rejoindre l'Europe, pas moins » depuis la fin de l'opération. Si l'objectif de « Mare Nostrum » était bien d'abord et avant tout la sécurité des frontières, plus de 100 000 réfugiés ont également été secourus en Méditerranée au cours de l'opération.
Le dernier rapport d'Amnesty, intitulé « Europe's Sinking Shame » (Naufrage de la honte de l'Europe », documente les conséquences fatales de l'arrêt d'un plan de sauvetage même limité comme celui de l'automne dernier. Amnesty écrit: « Si les chiffres des derniers incidents sont confirmés, jusqu'à 1700 personnes ont péri cette année, 100 fois plus que dans la même période en 2014. »
La stratégie de l'UE est meurtrière à deux égards. Après que les pouvoirs européens, en ligue avec la politique de guerre de Washington en Afrique et au Moyen-Orient, ont détruit des sociétés entières, ils ont pris la décision délibérée de laisser les réfugiés se noyer afin de les garder hors d'Europe.
Et ils vont intensifier la guerre contre les réfugiés. L'élite européenne a réagi au chaos en Afrique, qu'elle a créé elle-même, et aux décès de masse en Méditerranée exclusivement par des mesures policières et militaires. Ceci met en évidence le caractère réactionnaire de l'UE et de ses institutions.
Il est significatif que ce plan en dix points ne fait que renforcer les défenses contre les réfugiés et ne contient pas une seule mesure « humanitaire ». Le cinquième point avertit les Etats membres de ce qu'il faut « veiller à ce que les empreintes digitales de tous les migrants soient prises ». Le huitième point appelle à un nouveau « programme de retour pour le retour rapide, coordonné par Frontex, des migrants en situation irrégulière des États membres de première ligne ».
En plus, des « initiatives au Niger» et un « engagement avec les pays voisins de la Libye » doivent être « renforcées » (neuvième point). Ce n'est là rien d'autre que l'externalisation de la lutte contre les réfugiés vers des dictatures comme le régime Sissi de l'Egypte, qui opprime brutalement sa propre population et qui a condamné 1 212 personnes à mort dans des procès de masse depuis le début de l'année dernière.
Le Guardian parle d’un projet confidentiel du sommet de l'UE. Il écrit que « seuls 5 000 migrants seront autorisés à se réinstaller en Europe, un grand nombre seront susceptibles d'être rapatriés. »
L'inhumanité de la politique de l'UE est si choquante que même ses propres médias bourgeois la font remarquer ouvertement. « Ce n'est pas humain, ce n'est pas une initiative humanitaire. Cela contredit les paroles d’Angela Merkel. Le sauvetage n'est pas la même chose que la dissuasion. La dissuasion des réfugiés n'est pas le sauvetage des réfugiés », a commenté le Süddeutsche Zeitung sur le programme en dix points de l'UE.
En réalité, les mesures de l'élite dirigeante vont bien au-delà d’une « dissuasion des réfugiés. » Celle-ci utilise la catastrophe qu'elle a elle-même causée à ses propres fins impérialistes et à la préparation d'une nouvelle intervention militaire en Afrique, derrière le dos de la population.
La ministre italienne de la Défense Roberta Pinotti a déclaré sur Sky TG23 TV, « Nous savons où les passeurs ont leurs bateaux, où ils se rencontrent ». Des plans pour une intervention militaire seraient très prochainement établis, dit-elle, « Nous sommes prêts à y participer ». Selon Die Zeit, le premier ministre italien Matteo Renzi a dit: « Une stratégie à long terme de l'UE doit inclure, entre autre, des patrouilles en mer et des camps de réfugiés dans des pays africains comme le Niger ou le Soudan. »
Ce ne sont pas seulement les anciennes puissances coloniales de la Libye qui se préparent à une nouvelle aventure militaire, mais l'ensemble de l'UE. Selon les médias, la haute représentante de l'UE Federica Mogherini a pour mission de « commencer sans délai les préparatifs pour une éventuelle opération de sécurité et de défense, conformément au droit international. » Les consultations initiales au sujet du projet ont démontré la volonté politique de donner un « signal fort », selon des sources ayant parlé à l'agence de presse AFP.
Selon les rapports des médias, les anciennes puissances coloniales que sont la Grande Bretagne et la Belgique envisagent déjà l'envoi de navires et d'armes.
Contrairement à sa position de 2011 dans la guerre de l'OTAN contre la Libye, l'élite allemande essaie maintenant de se placer à l'avant-garde d’une nouvelle « ruée vers l'Afrique. » La Deutsche Presse Agentur dit avoir appris de sources dans l’armée allemande que le gouvernement proposait de retirer le navire de ravitaillement « Berlin » et les frégates « Karlsruhe » et « Hessen » de la Corne de l'Afrique et de les envoyer vers l'Italie.
(Article original paru le 24 avril 2015)