Le premier ministre grec Alexis Tsipras a effectué lundi sa première visite officielle en Allemagne. Comme de coutume lors de telles visites, Tsipras fut reçu à Berlin avec les honneurs militaires. Il a passé en revue la garde d’honneur de l’armée allemande en compagnie de la chancelière Angela Merkel. Ensuite, il tenu deux conférences de presse conjointes suivies par un dîner de travail.
Un spectateur non averti de cette cérémonie aurait eu du mal à réaliser qu’il y avait eu, avant l’arrivée de Tsipras, un sérieux conflit entre le gouvernement allemand et celui d’Athènes, dirigé par Syriza. La première visite officielle de Tsipras s’est déroulée dans une atmosphère apparemment normale et presque amicale. Lors de la conférence de presse de lundi soir, les deux dirigeants ont trouvé un ton conciliant et ont invoqué l’esprit de la coopération mutuelle.
Tsipras a souligné qu’à l’image de ses prédécesseurs sociaux-démocrates et conservateurs, il était prêt à poursuivre les mesures d’austérité en étroite coopération avec l’UE et le gouvernement allemand. « Nous devons mieux nous comprendre, » a-t-il dit. « Il n’y a pas d’autre voie que le dialogue pour surmonter les difficultés existantes. » Son gouvernement respecterait tous les accords existants et appliquerait toutes les réformes structurelles nécessaires. La réunion commune avec Merkel pourrait s’avérer « fructueuse. »
Pour sa part, Merkel a souligné le besoin d’une « collaboration sincère » dans « un esprit de confiance mutuelle. » Les deux pays faisaient partie de l’Union européenne et de l’OTAN et portaient donc une grande responsabilité dans « l’instauration de la paix en Europe » et dans l’avenir de celle-ci. Le premier ministre grec était « un hôte bienvenu » à Berlin.
En amont de la visite, de nombreux politiciens et commentateurs des médias allemands qui avaient sévèrement critiqué le gouvernement grec, avaient déjà commencé ces derniers jours à modérer leurs attaques verbales. Même le quotidien Bild, qui ces derniers mois avait orchestré la chasse aux sorcières contre la Grèce et « les Grecs », a titré à la Une, « Bienvenu en Allemagne M. Tsipras! » et énuméré 50 raisons pour lesquelles « nous aimons la Grèce. »
Au cours du weekend, le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, et son homologue grec, Nikos Kotzias, avaient également mis l’accent sur la coopération entre l’Allemagne et la Grèce. « Nous ne pouvons pas permettre que les questions certes importantes et difficiles que nous devons résoudre ensemble en Europe, sapent les solides fondements des relations germano-grecques, » avait précisé Steinmeier après un dîner avec Kotzias au ministère des Affaires étrangères.
Dans une déclaration faite au micro de la Deutsche Welle, Kotzias avait remarqué, « Il existe une longue amitié et des intérêts communs. La chose la plus importante est de mieux nous comprendre, de briser les stéréotypes qui existent des deux côtés. »
Il y a deux raisons principales pour ces représentations de coopération entre Berlin et Athènes. D’abord, Syriza a, au cours des quelques dernières semaines, totalement capitulé devant l’Union européenne et le gouvernement allemand et montré clairement que non seulement il poursuivrait les mesures d’austérité dictées par la « troïka » (Union européenne, Fonds monétaire international et Banque centrale européenne), mais qu’il les intensifierait.
Jeudi dernier à Bruxelles, lors d’une réunion de haut niveau avec des poids lourds politiques de l’Union européenne, Tsipras avait personnellement promis d’imposer toutes les coupes sociales convenues et de soumettre une nouvelle liste de mesures d’austérité. (Voir : « Syriza promet une nouvelle liste de mesures d'austérité. » Selon des informations parues dans les médias, la liste en train d’être préparée comporte des attaques étendues dirigées contre la classe ouvrière.
Spiegel Online a écrit que « le programme de privatisation haï du gouvernement précédent et que le gouvernement Tsipras avait bloqué, sera repris. » Il prévoit entre autres que Fraport, l’opérateur de l’aéroport de Francfort, prendrait le contrôle de 14 aéroports régionaux grecs comme initialement convenu. Pour d’autres installations de transport importantes cependant, comme le port de Thessalonique, le gouvernement grec ne vendra ses parts « que » jusqu’à hauteur de 49 pour cent.
Dans le même temps, Syriza envisage de reculer l’âge de départ à la retraite, le portant à 67 ans, conformément au modèle allemand. A l’avenir, seul ceux ayant à leur actif 40 ans de travail au moins seront en droit de partir à la retraite à 62 ans. Toute personne prenant sa retraite plus tôt, subira d’importants abattements sur le montant de sa retraite.
Il y aura de plus, développé en partenariat avec l’OCDE, une « boîte à outils » pour les réformes structurelles, un synonyme pour une libéralisation plus vaste de l’économie et du marché du travail grecs. Officiellement, Syriza veut faire éclater les monopoles et combattre la corruption dans la passation des marchés publics. En clair, cela signifie créer pour le capital financier international de meilleures conditions pour l’exploitation des travailleurs grecs et des ressources du pays.
La seconde raison de la redécouverte de l’« amitié » germano-grecque est de nature géopolitique. Bruxelles, Washington, Berlin et Athènes sont d’avis qu’un ‘Grexit’ (sortie de la Grèce de l’euro) doit être évité à tout prix.
Dans une interview accordée en début de semaine au Süddeutsche Zeitung, le président du Conseil européen, Donald Tusk, avait invoqué à ce propos l’unité de l’UE et l’alliance avec les Etats-Unis. « Nous devons éviter un départ de la Grèce. Ce serait certainement une catastrophe… Nous devons maintenant nous concentrer et comprendre que ce n’est pas seulement une question d’argent mais aussi de géopolitique. »
Il a demandé, « Pouvez-vous imaginez l’Europe sans la Grèce? Avec la crise en Libye, la situation précaire dans les Balkans, en Moldavie, en Transnistrie et à Chypre. Et en plus de tout cela, une sortie dramatique de la Grèce? » Et il a prévenu que « les conséquences ne seraient pas seulement pour l’Europe de nature financière. Une sortie de la Grèce représenterait le chapitre le plus catastrophique de l’histoire de l’Union européenne. »
La semaine passée, la secrétaire d’Etat américaine adjointe chargée de l’Europe, Victoria Nuland, s’était rendue en Grèce afin d’insister sur un accord entre Athènes et la troïka. Selon un rapport du l’agence de presse allemande DPA, Washington préconise une « solution rapide » vu qu’une sortie de la Grèce de la zone euro pourrait avoir « de graves conséquences pour le flanc sud-est de l’OTAN. »
Nuland est l’un des faucons de la politique étrangère américaine. Ceux-ci veulent accroître la pression militaire sur la Russie dans la crise ukrainienne. Ils considèrent que l’unité de l’UE et de l’OTAN sous leadership américain est une condition préalable à cela.
En dépit des tensions germano-américaines au sujet du type d’action commune à mener contre la Russie, la classe dirigeante allemande est dans sa majorité, du moins pour le moment, d’avis qu’un ‘Grexit’ doit être évité.
Pendant que Tsipras et Merkel se rencontraient à Berlin et invoquaient l’unité européenne, Steinmeier disait lors d’une brève visite en Slovaquie, « Nous avons discuté bien trop longuement sur une sortie de la Grèce de l’euro. Maintenant il nous faut à nouveau parler sérieusement. » Il a prévenu qu’un échec du plan de sauvetage de la Grèce serait « ressenti par le monde entier » et minerait la « crédibilité » de l’UE.
La bourgeoisie allemande poursuit de plus en plus ouvertement l’objectif d’une unification du continent sous sa direction. Pas plus tard que vendredi dernier, lors d’une réunion à Bruxelles du groupe de réflexion transatlantique German Marshall Fund, la ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, avait soutenu la création d’une armée européenne.
Dans le but d’assurer l’unité de l’UE sur une base militariste et anti-ouvrière extrêmement réactionnaire, les marchés financiers internationaux continuent de faire pression sur la Grèce malgré la servilité de Tsipras. Citant par exemple des réflexions internes de la Commission européenne, l’édition dominicale du Frankfurter Allgemeine Zeitung a rapporté que le gouvernement grec avait tout juste assez de liquidités pour payer, jusqu’au 8 avril, les salaires et honorer ses créances sur les marchés financiers. Il ne restait donc plus à Tsipras que « deux bonnes semaines pour se mettre d’accord avec les bailleurs de fonds sur une liste complète de réformes. »
(Article original paru le 24 mars 2015)