Le 10 mars, l’International Socialist Organization (ISO) a publié une déclaration dans laquelle elle fait l’éloge du gouvernement grec, dirigé par Syriza, et sa lutte pour le socialisme. Cette déclaration, qui a été rédigée par Antonis Davanellos de la Gauche ouvrière internationaliste (DEA) – un groupe affilié à l’ISO au sein de Syriza dont la spécialité est de fournir une couverture de pseudo-gauche aux politiques réactionnaires de Syriza –, défend la capitulation abjecte de Syriza aux politiques d’austérité exigées par l’Union européenne (UE).
Davanellos tente de masquer l’odeur putride qui émane de du gouvernement Syriza en raison de son bilan qui montre sans équivoque le gouffre qui sépare le socialisme et la classe ouvrière des politiques petites-bourgeoises de droite de Syriza et de l’ISO. Après avoir promis durant sa campagne qu’elle allait mettre un terme aux politiques d’austérité de l’UE qui ont dévasté la Grèce, Syriza a trahi sa plateforme électorale en un temps record. Moins d’un mois après son arrivée au pouvoir, elle a signé une entente avec l’UE le 20 février qui impose d’autres coupes budgétaires et attaques sur les travailleurs de la Grèce.
La déclaration de Davanellos, qui s’intitule «À quoi doit-on s’attendre après l’entente?», fait l’éloge de Syriza comme d’un «vaste réseau d’activistes politiques qui est parcouru de toutes les luttes de résistance à l’austérité des dernières années». On peut lire ensuite que «C’est un parti qui a une approche transitionnelle qui vise les victoires sociales et politiques. C’est un parti dont la “base”, la vaste majorité de ses membres, est dédiée à réaliser ses demandes pour la démocratie et ouvrir la voie à la libération socialiste totale de la société.»
Quels mensonges abjects! Syriza ne mène pas la classe ouvrière en lutte contre le capitalisme pour le socialisme. Ce parti dirige un gouvernement capitaliste qui continue les politiques d’austérité du précédent gouvernement de coalition de Nouvelle Démocratie (ND) et des sociaux-démocrates du PASOK. Elle soutient toutes les mesures d’austérité de l’UE qui avaient été décidées précédemment et s’est engagée à réaliser de nouvelles coupes budgétaires et privatisations, et à hausser l’âge de la retraite. Elle attaque la classe ouvrière; elle ne la défend pas.
L’affirmation de Davanellos que de puissantes forces de gauche se cachent au sein de Syriza est absurde. Non seulement l’adoption par Syriza de politiques de droite n’a-t-elle pas produit de dissension dans ses rangs, mais même les forces au sein du parti qui s’affichent comme étant l’aile gauche de Syriza défendent sa capitulation devant l’UE. Sa déclaration vise essentiellement à rationaliser de manière lâche qu’il n’y avait supposément pas d’autre choix que de capituler.
Peu importe sa rhétorique de «gauche» et son double discours, cela le place, lui et ses alliés politiques comme l’ISO, carrément du côté du capital dans sa guerre contre la classe ouvrière en Grèce et internationalement.
Syriza, écrit-il, «est tombée dans le double piège que lui avaient tendu le précédent gouvernement de coalition et surtout les “institutions” européennes telles que l’Union européenne et la Banque centrale européenne, en collaboration avec le Fonds monétaire international. Avant même que le nouveau gouvernement prenne la direction des ministères, acquiert la moindre expérience de gouvernance, rétablisse un minimum de contrôle sur les mécanismes de l’État, il a dû faire face à deux dangereux défis: d’une part, la possibilité d’un effondrement immédiat des banques; d’autre part, une grande difficulté à obtenir du financement pour – à la fois! – rembourser la dette et payer les salaires des travailleurs de la fonction publique, les pensions et les dépenses sociales absolument nécessaires. Devant cette double menace, le gouvernement a reculé.»
Les arguments de Davanello ne sont que mauvaise foi. Il était prévisible à la venue au pouvoir d’un gouvernement se disant critique de l’austérité que les banques allaient réagir en retirant leurs capitaux de la Grèce et que l’UE allait menacer de couper les crédits au gouvernement grec. Si Syriza a cru qu’il était impossible de s’opposer à ces politiques, pourquoi a-t-elle demandé aux électeurs de voter pour elle, leur promettant de mettre fin à l’austérité?
Si Syriza ne peut rien faire contre le capital financier, ce n’est pas parce que ce dernier est tout-puissant ou que l’économie de la Grèce est petite comparativement au reste de la zone euro. C’est parce que Syriza, qui parle au nom des intérêts de classe de factions de la bourgeoisie et de la classe moyenne privilégiée, appuie le capital financier contre la classe ouvrière.
Syriza a refusé de lancer un appel politique à la vaste opposition à l’austérité qui existe parmi la classe ouvrière européenne. Elle n’a pas appelé à des grèves industrielles et politiques de masse pour renverser les gouvernements de la chancelière allemande Angela Merkel et du président détesté, pro-austérité, de la France François Hollande. Au lieu de cela, ses ministres se sont rendus pour quelques semaines dans les principaux capitales et centres financiers d’Europe pour ensuite – manifestement après consultation avec les contacts que le chef du parti et premier ministre Alexis Tsipras avait établis à Washington lors de ses visites à la Brookings Institution – rapidement capituler.
Syriza a refusé de recourir à toute mesure qui aurait pu améliorer sa position contre l’UE et les banques. Elle aurait pu imposer des règles sur les mouvements de capitaux pour empêcher les investisseurs de retirer leur argent de la Grèce, mais a claironné qu’elle ne le ferait pas. Elle aurait pu réagir à l’UE qui menaçait de couper les crédits à la Grèce en menaçant de ne pas s’acquitter de sa dette de 300 milliards d’euros qui est détenue en grande partie par d’autres gouvernements de la zone euro, ce qui aurait plongé ces gouvernements dans leur propre crise budgétaire. Plutôt, Syriza a affirmé à maintes reprises qu’elle n’allait pas «agir unilatéralement» sur la question de la dette grecque.
Ces choix de politiques sont enracinés dans les intérêts de classe réactionnaires des couches petites-bourgeoises que représente Syriza. Les intellectuels, les parlementaires et les bureaucrates syndicaux de Syriza craignaient tous la panique sur les marchés et les troubles financiers qu’aurait entraînés une véritable menace d’un défaut de paiement de la dette grecque. Leur richesse, comme la fortune des intérêts bourgeois qui les ont appuyés et vantés dans les médias à travers le monde, est contenue dans la valeur gonflée de l’argent sur les marchés boursiers et d’obligations du monde.
Surtout, comme le démontre la capitulation de Syriza devant l’UE, tout soulèvement révolutionnaire de la classe ouvrière serait dirigé contre le gouvernement Syriza lui-même. La déclaration de Davanellos publiée sur le site web Socialist Worker de l’ISO est de la propagande de l’État grec qui vise à empêcher que cela ne survienne.
Les affirmations de Davanellos que les politiques de Syriza sont socialistes, où qu’elles se rapprochent le plus de ce que les travailleurs peuvent espérer sur la voie du socialisme, visent à démoraliser les travailleurs et empêcher l’éruption d’un mouvement d’opposition à Syriza et à sa trahison abjecte de ses promesses électorales faites à des millions de travailleurs pauvres qui l’ont élue.
La seule perspective qu’avance Davanellos est de maintenir la domination qu’exercent les partis procapitalistes «de gauche» en Grèce et en Europe sur la classe ouvrière. Il met en garde contre l’effondrement prochain de l’appui pour Syriza qui pourrait entraîner l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de coalition d’unité nationale de Syriza et Nouvelle Démocratie. Il demande à Syriza de s’opposer à une telle politique et de créer une alliance politique avec d’autres forces «de gauche» comme le Parti communiste grec (KKE) stalinien et d’autres partis des classes moyennes à travers l’Europe.
«La gauche en dehors de Syriza, qui dispose toujours d’une force considérable en Grèce, peut aussi prévenir d’autres reculs», écrit Davanellos. «Elle peut mettre le gouvernement au défi en adressant des demandes sur les salaires, les pensions, l’éducation et la santé… La gauche internationale a aussi son rôle à jouer, surtout la gauche en Europe. En Espagne, en France, en Italie, et même en Allemagne, les partisans de la démocratie et de la justice doivent agir pour empêcher que les “institutions” étranglent et renversent le gouvernement en Grèce.»
Cette position constitue un autre piège politique et une autre impasse pour la classe ouvrière. Durant des années, Syriza a bloqué l’émergence d’un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière en défendant une perspective nationaliste de pression sur les partis procapitalistes. Elle a attaché les luttes des travailleurs à la bureaucratie syndicale grecque, qui est liée politiquement au PASOK, et a défendu la perspective que les travailleurs devaient «faire pression» sur le gouvernement PASOK pour le pousser à gauche, une fois qu’il était au pouvoir.
Cette perspective s’est effondrée après que PASOK est tombé dans le discrédit pour s’être donné la tâche d’imposer l’austérité de l’UE sur les conditions de vie de la classe ouvrière grecque. Maintenant que Syriza est au pouvoir et qu’elle tombe en discrédit pour son même rôle anti-classe ouvrière, elle fait appel au KKE et aux autres partis de pseudo-gauche à travers l’Europe pour qu’ils détournent la résistance de la classe ouvrière dans le cul-de-sac d’une politique de pression visant à pousser le gouvernement Syriza vers la gauche.
Les partis de pseudo-gauche européens, du parti La Gauche en Allemagne au Bloc de gauche au Portugal, se sont rapidement portés à la défense de Syriza, parce qu’ils ne sont pas plus opposés qu’elle à l’austérité. Ils ont voté dans leur parlement national pour financer les programmes de sauvetage et les politiques d’austérité de la Grèce. S’ils venaient qu’à prendre le pouvoir dans leur propre pays, ils imposeraient aux aussi les diktats des banques.
Des luttes de la classe ouvrière vont inévitablement éclater contre Syriza et ses divers défenseurs de pseudo-gauche à l’échelle mondiale. La perspective que doivent adopter les travailleurs et les jeunes n’est pas de se plier aux politiques de droite des partis sociaux-démocrates ou de pseudo-gauche élus pour gérer l’État capitaliste, mais de bâtir une direction politique qui va lutter pour la prise du pouvoir par la classe ouvrière dans un mouvement pour la révolution socialiste mondiale. Pour mener à bien cette lutte, il faut exposer, sans faire de compromis, les positions de Syriza et de ses défenseurs de pseudo-gauche internationalement et vaincre ces partis.
(Article paru d’abord en anglais le 16 mars 2015)