La police allemande a monté une répression massive contre les manifestations anti-austérité qui ont eu lieu mercredi à l’occasion de l’inauguration du nouveau siège de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort-sur-le-Main. Entre 10.000 et 20.000 personnes ont participé à la principale de ces manifestations dans le centre de la ville.
Soixante bus en provenance de trente-neuf villes européennes avaient fait le déplacement pour participer au rassemblement de Francfort. Un train spécialement affrété venu de Berlin avait amené près de 900 manifestants.
La police a réagi par un déploiement massif de 8.000 policiers, la plus large mobilisation de l’histoire des forces de sécurité allemandes. Elle a entièrement bouclé le nouveau bâtiment de la BCE dont la construction a coûté 1,3 milliards d’euros (1,4 milliards de dollars), en coupant l’accès par des fils de fer barbelés. Elle a transformé l’ensemble de la ville en zone de haute surveillance.
La veille déjà la police avait procédé à des contrôles d’identité dans toute la ville et de nombreux bus transportant des manifestants avaient été stoppés et fouillés.
La police a utilisé gaz lacrymogènes, canons à eau et matraques en caoutchouc contre des groupes de manifestants aux divers emplacements de la manifestation centrale. Des affrontements eurent lieu au moment où des manifestants ont incendié des véhicules de police. Selon les organisateurs, cent trente manifestants au moins ont été blessés; la police a annoncé que quinze policiers avaient été blessés lors d’échauffourées ou par des jets de pierres.
La police a procédé à des arrestations en masse – 350 personnes arrêtées avant midi selon une porte-parole de la police. Dans la Uhlandstraße, la police a encerclé près de 200 manifestants, pour la plupart italiens, et contrôlé leurs papiers. Elle a à maintes reprises attaqué les manifestants encerclés à l’aide de spray au poivre.
A 14 heures, les pompiers de Francfort avaient dénombré 47 incendies. Il fut signalé que des camions de pompiers ont été attaqués.
Pour protester contre le rôle de premier plan joué par la BCE dans l’imposition de l’austérité en Europe, notamment dans les pays endettés de la zone euro en Europe méridionale Grèce, Espagne et Italie, les manifestants brandissaient des pancartes où on pouvait lire « Fascisme monétaire européen » ou « Du caviar pour tous ».
La BCE a coupé les prêts accordés aux banques et aux gouvernements de ces pays, arguant de la crise économique mondiale et de leur haut niveau d’endettement; elle a causé une pénurie de crédit et les a forcés à demander des renflouements. Les plans de sauvetage furent subordonnés à des coupes profondes dans les dépenses sociales, qui ont réduit des dizaines de millions de gens à la pauvreté.
Les organisations qui conçoivent ces coupes – la soi-disant « troïka » formée par la BCE, l’Union européenne (UE) et le Fonds monétaire International (FMI) – sont haïes d’une façon générale en Europe.
« Il est important d’être ici pour montrer que la politique de la troïka ne se fait pas en notre nom, » a dit Judith, une manifestante âgée de 30 ans. « On ne peut pas sans arrêt faire des coupes aux dépens des plus pauvres en les qualifiant de Grecs paresseux, il faut être solidaire avec eux. »
L’inauguration même de la banque semble avoir été une catastrophe vu que le président de la BCE, Mario Draghi, ne s’est exprimé que devant dix-neuf invités triés sur le volet. Le ministre de l’Economie du Land de Hesse, Tarek Al-Wazir, du parti des Verts, et le maire social-démocrate de Francfort-sur-le-Main, Peter Feldmann, ont pris la parole alors que les représentants des médias avaient été en grande partie exclus.
« Les gens traversent des temps très difficiles, » a banalement remarqué Draghi dans son allocution officielle. Il a dit que la BCE était devenue un « point d’attraction » pour la colère publique. « Ce sont sans doute des accusations injustes – notre action vise précisément à adoucir les chocs qu’endurent les économies, » a prétendu Draghi.
« Nous devons écouter très attentivement ce que tous nos citoyens disent, » a-t-il ajouté.
Les poses démocratiques de Draghi ne sont que mensonges. En fait, les responsables européens ont sans cesse répété qu’ils avaient la ferme intention de poursuivre la mise en application de l’austérité dans un mépris total de l’opposition publique. Après l’élection d’un gouvernement mené par le parti soi-disant de gauche Syriza en Grèce, qui avait fait campagne en promettant de mettre un terme à la politique d’austérité de l’UE dans ce pays, les responsables de l’UE avaient affirmé leur volonté de maintenir les mesures d’austérité au mépris des résultats électoraux.
Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, l’un des chefs de file du plan d’austérité européen, a carrément déclaré : « Les élections ne modifient rien… Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »
La seule voie pour aller de l’avant et lutter contre les diktats d’austérité de l’UE est la mobilisation de la classe ouvrière sur le plan international dans la lutte pour le socialisme. L’échec des tentatives de résoudre la crise sur une base capitaliste a été clairement montré par la capitulation abjecte de Syriza devant les exigences d’austérité de l’UE.
Peu de temps après sa victoire électorale en janvier et après sa campagne promettant de mettre fin à l’austérité, Syriza déclara qu’il voulait négocier de nouvelles coupes sociales pour la Grèce avec la BCE et les autres institutions européennes.
Si les manifestations de Francfort reflètent une large opposition à l’austérité en Allemagne et dans toute l’Europe, la perspective même de leurs organisateurs n’offre aucun moyen d’aller de l’avant et n’est pas, en fait, opposée à l’austérité.
La manifestation avait été organisée par l’« Alliance Blockupy » fondée en 2012 et qui comprend les syndicats, les groupes de la pseudo-gauche tels le mouvement antimondialisation Attac et le parti allemand Die Linke. Elle fut aussi soutenue par Syriza en Grèce et par son allié espagnol, le parti Podemos.
Podemos et Die Linke ont tous deux salué les accords conclus par Syriza avec l’UE pour la poursuite des mesures d’austérité contre la classe ouvrière. Pour la première fois, le 27 février, le parti allemand Die Linke a voté en faveur de la prolongation du renflouement financier de l’UE pour la Grèce, qui est responsable de la catastrophe sociale du pays et qui permettra à la BCE de continuer l’imposition des mesures d’austérité.
La vice-présidente du groupe parlementaire de Die Linke, Sahra Wagenknecht, a résumé ainsi la perspective des organisateurs de la manifestation. « La BCE pourrait placer l’ensemble de l’Europe sur la voie d’une croissance pérenne et combattre la déflation sans liquider les économies de la classe moyenne, produire de nouvelles bulles spéculatives ou attiser une guerre monétaire mondiale, » avait dit Wagenknecht en prenant la parole devant la manifestation.
Le parti Die Linke et ses alliés partout en Europe, dont Syriza, ne cherchent qu’à obtenir des modifications tactiques dans la politique pratiquée par l’EU et les institutions de la zone euro telle la BCE. Comme le montre clairement la répudiation soudaine par Syriza de ses promesses de mettre fin à l’austérité, il s’agit là d’une impasse pour la classe ouvrière.
(Article original paru le 19 mars 2015)