Dimanche 8 février, les journaux The Guardian et Le Monde ont publié, en collaboration avec le Consortium indépendant des journalistes d’investigation (ICIJ), des articles basés sur les analyses qu’ils ont faites de fichiers fuités et qui montrent que la filiale suisse de HSBC, HSBC Private Bank, a fonctionné des années durant comme un organisme d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent.
Selon ces articles, la banque dirigeait une filiale qui distribuait des ‘briques’ de centaines de milliers de dollars en liquide et en monnaies étrangères et fournissait à sa riche clientèle des conseils quant à la façon de s’y prendre en matière de fraude fiscale.
Régulateurs financiers internationaux et gouvernements dans le monde entier ont été pendant des années en possession de ces faits – entre autres la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis – et les ont systématiquement camouflés. Ni HSBC, ni ses directeurs, ni les clients qui ont eu recours à son service d’esquive fiscale, n’ont fait l’objet de poursuites pénales.
Personne ne devrait croire que HSBC est une aberration; il ne fait aucun doute que des pratiques similaires sont utilisées par toutes les principales institutions financières internationales. Les fichiers de la banque HSBC ont mis à jour une fosse à purin de corruption, de criminalité, de versement de pots de vin et de collusion qui imprègnent le système capitaliste et les gouvernements qui le défendent.
Les révélations à propos de HSBC ne sont que le dernier épisode d’une suite de scandales impliquant littéralement chaque grande institution financière. Ils avaient pour objet la vente de titres adossés à des crédits hypothécaires frauduleux à l’habitation, les saisies illégales de logements, la fraude sur les marchandises et la manipulation du LIBOR et des taux d’intérêt de référence sur les opérations de change.
HSBC est l’une des institutions dont la cupidité et le mépris des lois ont plongé le monde dans la crise de 2008, dont celui-ci ne s’est jamais remis, qui ont fait perdre leur emploi à des millions de personnes et ont déclenché dans le monde entier une vague d’austérité avec des baisses drastiques de salaires et de prestations sociales.
La liste des personnes qui ont utilisé les services particuliers de HSBC comprend des dirigeants de sociétés, des collecteurs de fonds et des grands donateurs aux partis politiques en Amérique, en Grande-Bretagne et en Australie, ainsi que des politiciens d’au moins 17 pays dont la Grande-Bretagne.
La piste de l’argent sale atteint des hauteurs où on trouve l’ancien président américain Bill Clinton. Le magnat industriel Richard Caring, qui avait une fois retiré cash plus de cinq millions de francs suisses de la banque, avait fait, depuis son compte bancaire en Suisse, un don d’un million de dollars à la fondation de Clinton.
Le rapport de l’ICIJ a constaté que le mois qui avait précédé la donation de Caring, ce dernier avait « financé un divertissement à grand spectacle avec champagne et caviar au Palais d’Hiver de la Grande Catherine, à St Petersbourg, en Russie, en faisant acheminer 450 invités par avion pour qu’ils soient amusés par Sir Elton John et Tina Turner et puissent écouter un discours de Bill Clinton. »
Il convient également de noter que Charles Barrington Goode, l’un des principaux collecteurs de fonds pour le Parti libéral et président de la banque ANZ, l’une des plus grandes institutions financières d’Australie, a détenu pendant trois décennies sous un faux nom un compte auprès de cette institution.
Outre des hommes d’affaires ‘légitimes’ et des politiciens de haut rang, eurent également recours aux services de HSBC des trafiquants de drogue, des trafiquants d’armes et des trafiquants de ‘diamants de sang’. Une fois passé en revue ces informations, il est impossible de déterminer où finit le milieu de la pègre et où commence la classe dirigeante des banquiers et des PDG de grands groupes et de leurs hommes de paille politiques millionnaires.
Alors qu’aucun des directeurs de la banque ou riche client n’a été poursuivi, la seule personne de ce cloaque criminel à devoir faire face à de graves conséquences juridiques est le lanceur d’alerte qui les a démasqués.
En 2009, un informaticien de HSBC nommé Hervé Falciani s’était rendu compte que HSBC Private Bank était en train de pratiquer l’évasion fiscale à grande échelle. Il avait commencé à rassembler des informations pour les fournir aux autorités suisses, qui ne s’y étaient pas intéressées.
Il a ensuite passé les fichiers signalant une fraude fiscale impliquant quelque 130.000 personnes à la police française qui les a partagés avec d’autres gouvernements, dont ceux de Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Falciani a depuis été accusé de violation des lois suisses sur le secret bancaire et poursuivi pour espionnage industriel.
En 2010, la ministre française des Finances de l’époque, Christine Lagarde, avait fourni une liste de 2.000 fraudeurs fiscaux présumés au gouvernement grec et cette liste était tombée ensuite entre les mains d’éditeurs de magazine grecs qui l’imprimèrent. Ceux-ci furent ensuite inculpés, puis innocentés, d’atteinte à la loi sur la protection de la vie privée.
Le Monde a obtenu dernièrement une partie des fichiers accumulés par Falciani et a partagé ces informations avec le consortium ICIJ et d’autres journaux. Les fichiers couvrent quelque 30.000 comptes portant sur 120 milliards de dollars en actifs.
Au Royaume-Uni, plus de 3.000 personnes ont fait l’objet d’enquêtes sur la base des fichiers de Falciani, mais le gouvernement n’a retenu aucune charge contre eux.
Le plus important camouflage a peut-être eu lieu aux Etats-Unis où en 2012 le Département de la Justice a accepté un règlement de « poursuite différée » de 1,2 milliard de dollars avec HSBC, accusée de blanchiment d’argent pour le compte des cartels mexicains de la drogue, sans jamais mentionner le fait que le gouvernement américain avait la preuve que la banque avait aidé ses clients à échapper au fisc.
L’un des architectes du règlement avec HSBC, Loretta Lynch, qui à cette époque était procureure fédérale du district Est de New York, est actuellement la candidate désignée par le gouvernement Obama pour succéder à Eric Holder à la tête du ministère de la Justice. L’honorable baron Stephen Green, le président du groupe HSBC durant la période couverte par les fichiers, fut par la suite nommé ministre d’Etat pour le Commerce et l’Investissement.
Le parti travailliste qui était au pouvoir à l’époque où des milliers de membres de la classe dirigeante britannique utilisaient HSBC pour se soustraire au paiement de leurs impôts, a déclaré, « Ce qui est vraiment choquant c’est que [les responsables britanniques] étaient pleinement informés de ces pratiques en 2010 mais pas grand-chose n’a été fait depuis. »
Les révélations sont aussi particulièrement frappantes de par la bassesse de la criminalité qu’elles représentent. Après tout, ces gens engrangent déjà des millions de dollars en payant aux travailleurs des salaires de misère, en réduisant drastiquement les retraites des personnes âgées et en privatisant les biens publics. Ont-elles vraiment besoin de tricher encore sur les taxes? Est-il vraiment nécessaire, comme ces fichiers le précisent, pour eux de s’approprier illégalement des ‘briques’ d’argent liquide, qui totalisent dans certains cas des millions de dollars?
Pour l’élite mondiale de la finance, la ligne qui sépare les activités ‘légitimes’ d’une entreprise et les donations politique d’une part, et la fraude, le vol et la corruption de l’autre, n’existe pas. La société capitaliste est gérée par des voleurs et des criminels qui considèrent la loi comme un inconvénient mineur. Selon les mots immortels de Leona Helmsley, « Seuls paient des impôts les petites gens. »
Nous aimerions demander à ceux qui croient encore que l’ordre social dévoilé par ces documents est susceptible d’être réformé: par où commenceriez-vous? En appelleriez-vous : aux politiciens, qui sont tous achetés par des dons politiques faits par des criminels financiers, aux agences de régulation qui ont systématiquement couverts ces crimes, ou bien aux tribunaux qui inculpent les lanceurs d’alerte et protègent les criminels financiers?
La structure toute entière de la société contemporaine, depuis les grands groupes jusqu’aux gouvernements, en passant par les régulateurs, est contrôlée par des oligarques financiers multimilliardaires.
La seule façon de traduire en justice les grandes banques comme HSBC et les millionnaires et milliardaires qui font appel à ses services pour frauder, est une réorganisation totale de la société. La richesse acquise illégalement qui corrompt chaque institution publique doit être confisquée, les principaux grands groupes nationalisés et chaque Etat existant être remplacé par un gouvernement ouvrier dont la première tâche est l’établissement du contrôle démocratique sur les aspects fondamentaux de la vie économique.
(Article original paru le 11 février 2015)