La pseudo-gauche fait sienne l’alliance de Syriza avec les Grecs indépendants

La décision prise par Syriza de former un gouvernement de coalition avec les Grecs indépendants (Anel) avait d’abord provoqué l'embarras chez les innombrables apologistes de ce parti dans la pseudo-gauche.

Pendant des années, Syriza a été cité comme le modèle d'un nouveau type de parti de « gauche », celui d’une formation très «large» et « sans exclusivité », à imiter partout ailleurs. Mais Syriza a pris ses fonctions en coalition avec un parti farouchement nationaliste, issu d’une scission droitière d'avec le parti Nouvelle démocratie, parti principal de la droite bourgeoise grecque.

Anel appelle à déporter de force les sans-papiers et s’oppose à l'octroi de la citoyenneté aux immigrés de la deuxième génération. Il soutient par dessus tout l'autorité de l'Eglise orthodoxe grecque et les forces armées. Le chef du parti, Panos Kammenos, qui s’est engagé à « protéger les forces armées de certaines des mentalités étranges existant au sein de Syriza, » a été nommé au poste de ministre de la Défense.

Malgré tout ceci, il n'a pas fallu attendre longtemps pour voir la pseudo-gauche, qui avait d'abord cherché des excuses politiques aux actions de Syriza, adhérer pleinement à l'alliance avec Anel et la présenter comme un modèle à suivre.

Alex Callinicos du Socialist Workers Party (SWP, Parti des travailleurs socialistes) au Royaume-Uni, qui décrit Syriza comme étant « le principal parti de la classe ouvrière urbaine, » a avancé une critique amicale de Syriza pour avoir formé une coalition qui « n'était pas nécessaire. »

Le parti Left Unity (Union de la gauche) affiche à présent sur l’en-tête de son site Web l’appel à « Construire Syriza ici. » Ce parti suggère que la coalition « est susceptible d'être de courte durée, » avant de souligner que toute critique de sa part est le fait d’« amis inconditionnels et partisans de la lutte grecque contre l’austérité ».

Quant au Parti socialiste il a re-publié un extrait de Xekinima (organe de la section grecque du Comité pour une Internationale ouvrière) qui critique le Parti communiste grec (KKE) pour avoir prétendument poussé Syriza dans ce « piège dangereux » en refusant de s’associer lui-même à une coalition.

Appréciant les difficultés rencontrées par leurs alliés politiques, Haris Triandafilidou de Syriza a écrit un billet qui a été re-publié dans Links International Journal of Socialist Renewal (Liens internationaux du Renouvellement socialiste). Elle y a avancé un soutien sans complexe à Anel, afin de calmer « les préoccupations de nombreux partisans de Syriza dans d'autres pays européens, » et affirmé que Anel s’engageait à respecter « la souveraineté populaire, la protection de la constitution, la fierté nationale et la démocratie parlementaire » et « s’engageait à l'égalité des droits (isonomie), la solidarité, la justice, la méritocratie et l'égalité, » des positions qui, selon elle, « étaient rarement allées de pair avec le profil d’extrême-droite qui collait au parti ».

Un élément particulièrement significatif pour la pseudo-gauche est son insistance sur le fait que « les attitudes pro- et anti-mémorandum ont dépassé la division politique entre droite et gauche ... Si la gauche veut persévérer et servir l'objectif de promouvoir des processus d'émancipation, en créant l’espace pour l'action, en donnant une voix et un foyer politique aux sociétés subalternes, elle ne peut s'abstenir de prendre certaines mesures tactiques afin de se rapprocher de ses objectifs stratégiques ».

L'affirmation selon laquelle les divisions entre « gauche » et « droite » n’avaient plus de sens mises en rapport avec l'attitude de diverses organisations face aux « mémorandums », aux accords d'austérité entre la Grèce et la troïka (FMI, Union européenne et Banque centrale européenne), a été reprise par les groupes de la pseudo-gauche pour justifier leurs propres alliances et propositions d'alliances avec des groupes et des partis nationalistes et d'extrême droite en Europe.

La présentation la plus franche de la signification plus large de l’alliance Syriza/Grecs indépendants est faite par Kevin Ovenden sur le site de Counterfire (Contre-feu), un groupe dissident du SWP. Evoquant la « logique politique » derrière l'alliance entre Syriza et Anel, il pose cette question: « Comment est-ce qu'un parti de la gauche radicale peut être en alliance avec cet UKIP (Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni) à la grecque? Eh bien, le mémorandum court-circuite les divergences politiques en Grèce de façon orthogonale (à angle droit) à la fracture gauche/droite. »

Anel, reconnaît-il, « est un parti nationaliste, xénophobe et anti-allemand », mais: « La majorité du groupe Plate-forme de gauche, dirigé par Panayiotis Lafazanis » était en faveur de l'alliance avec Anel « parce qu'ils partagent la stratégie de construire de large ‘alliances populaires’ façonnées par ce qu'ils définissent comme une ‘lutte nationale’contre la Troïka. »

« Nous en sommes au début de ce processus. Pas à la fin, » prédit-il. « Il y aura encore bien plus de choses de ce genre .... Certains croient véritablement que c’est la bonne politique. »

La comparaison directe d’Anel avec UKIP démasque la politique de la pseudo-gauche. Tous ces groupes en Grande-Bretagne ont passé des années à déclarer que UKIP était un parti d'extrême droite, raciste et dangereux, dénonciation faite en grande partie pour pousser les travailleurs à se ranger derrière le Parti travailliste et la bureaucratie syndicale. Maintenant, ils ne se contentent pas de justifier l’alliance de Syriza avec une formation similaire, mais vont jusqu'à se dire prêts à former leur propre alliance avec UKIP du moment que cela leur ouvre l'accès au Parlement et aux privilèges et à la richesse que cela apporte.

Counterfire est dans une alliance intime avec le Parti communiste stalinien de Grande-Bretagne (CPB) dans le collectif Stop the War Coalition (Coalition Stop à la Guerre) quasiment défunt, et ses journalistes écrivent souvent aussi pour le journal du CPB, Morning Star. Dans un forum de discussion commencé par Clare Solomon de Counterfire, un lecteur du World Socialist Web Site lui a posé la question suivante:

« Syriza est au gouvernement avec les Grecs indépendants, un parti du même genre que UKIP. Est-ce que Counterfire préconiserait une coalition similaire au Royaume-Uni, par exemple entre Left Unity (ou toute autre tendance qui se dit de gauche, y compris Counterfire) et UKIP en disant que ce serait un « mal nécessaire » ?

Solomon a d'abord répondu « Non » et l'a qualifié de « projet abominable. »

C'en était trop pour Matthew Willgress. « Est-ce vraiment la position [de Counterfire] que de dire que c'est un ‘projet abominable’ », a-t-il demandé. « Bien sûr, la comparaison avec la Grande-Bretagne est plus qu’un tantinet abstraite. »

Solomon Hughes, anciennement du SWP, qui écrit pour le Guardian, a répondu: « Personnellement, je pense que l'accord entre Syriza et les Grecs indépendants est acceptable », puis il a présenté un scénario similaire pour la Grande-Bretagne qui dicterait la même réaction :

« Si un gouvernement britannique d'extrême-gauche était élu, dont la principale préoccupation était de renégocier ou d'annuler une dette Euro qui vraiment tuait le pays, et s’ils avaient besoin d'un siège de plus ... et que donc le choix posé était: pas de gouvernement contre la dette ou un ministre pour UKIP, dans un gouvernement par ailleurs très à gauche, alors ce ne serait pas un choix déraisonnable, quoiqu'un peu bizarre [sic]. "

Willgress s'est dit d'accord.

Josh Clarke a dit craindre qu'« avoir un ministre de droite très autoritaire responsable de la Défense et de la communication avec les généraux en Grèce, ne sera pas, à ce stade, un problème mineur. »

Ce à quoi Hughes a répondu: « En fait, je ne suis pas sûr que ce soit le pire des ministères ... Le vrai problème avec le fait que les Grecs indépendants ont un portefeuille au ministère de la Défense, c’est qu'ils pourraient accidentellement déclencher une guerre avec la Turquie, ou je pense un conflit avec la Macédoine. Je ne pense vraiment pas que la question d'un coup d'Etat militaire soit au programme. »

Solomon a clos le débat en déclarant, « Il se peut que tout s’arrange, toutes sortes de choses se passent dans la confusion, pour ainsi dire. »

Il n'y a pas de démarcation politique que les groupes de la pseudo-gauche refuseront de franchir. Ils ne sont ni socialistes, ni de «gauche» au sens propre. Au contraire, ils expriment les intérêts de classe d'une couche privilégiée de la classe moyenne qui ne veut rien de plus qu'une redistribution mineure de la richesse de sorte que davantage finisse dans leurs poches. En échange, ils sont prêts à prendre des postes de ministres et à faire tout ce qu'on leur demande, y compris entrer dans une alliance avec des forces de droite qui, en Grèce ouvrent la voie à une intervention militaire contre la classe ouvrière.

La démarche consistant à s'allier avec des forces nationalistes de droite n'a pas commencé en Grèce. Cela s'est déjà produit en Ukraine au cours des manifestations du Maidan, où la pseudo-gauche avait embrassé un mouvement dirigé par la milice fasciste Secteur droit en alliance avec l'impérialisme américain et allemand. Ilya Budraitskis, chef de file du Mouvement socialiste de Russie (RSM) pabliste, avait appelé à une « conversation » sur la question de travailler aux côtés de l'extrême-droite, ce qui était « important, non seulement dans le contexte ukrainien, mais aussi pour l'avenir ... »

Au Royaume-Uni, l’année dernière, durant la campagne du référendum pour l’indépendance de l'Ecosse, la pseudo-gauche s’était rangée derrière le Scottish National Party (SNP), au motif qu'un engagement commun à « l'autodétermination nationale » était la base d'une alliance politique à long terme avec le principal parti capitaliste d'Ecosse.

Commentant ​​la signification de cette prise de position, le Parti de l'égalité socialiste de Grande-Bretagne a fait remarquer que la logique politique de cette alliance apparaîtrait bientôt dans le reste du Royaume-Uni. Nous avons écrit dans notre résolution du Congrès du 28 octobre 2014:

« Cette apologie du nationalisme n'a rien à voir avec le marxisme, le socialisme ou la classe ouvrière. Il met la pseudo-gauche dans la même tranchée politique que de nombreux groupes d'extrême-droite. Au lendemain du référendum, ils exigent que les élections législatives de 2015 se transforment en un plébiscite sur la séparation [d’Ecosse]. Depuis, Left Unity a souligné la nécessité de ‘promouvoir un nouvel accord constitutionnel pour l'Angleterre; nous devrions faire campagne pour une République anglaise’ ».

Se féliciter de l'alliance avec les Grecs indépendants et spéculer sur un accord similaire avec l'UKIP montre le sens précis des appels à former un équivalent de Syriza au Royaume-Uni. Cela représenterait la création d'un parti anti-ouvrier, combinant une vague rhétorique sociale avec des appels nationalistes à « l'unité », visant à défendre l'ordre capitaliste.

(Article original publié le 16 février 2015)

 

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