La pression monte à Washington pour que les Etats-Unis envoient des troupes au sol en Irak et en Syrie contre les milices de l'Etat Islamique (EI), malgré les démentis de la Maison Blanche face à l'impopularité d'une nouvelle guerre. Ce week-end, les forces de l'EI ont encore gagné du terrain dans la ville kurde de Kobané en Syrie et ont consolidé leur mainmise sur la province d'al-Anbar en Irak, ce qui les amène aux portes de Bagdad.
Sur la chaîne ABC dimanche, le chef des forces armées américaines le Général Martin Dempsey a indiqué que des troupes américaines combattraient vraisemblablement en Irak. Il a souligné en particulier la probabilité d'une « bataille décisive » pour reprendre la ville de Mossoul dans le nord, capturée par l'EI au mois de juin. « Mon intuition à l’heure actuelle me dit qu'il faudra un autre genre de conseil et d'assistance, vu la complexité de cette bataille », a-t-il dit.
Dempsey avait déclaré le mois dernier que s'il pensait que les conseillers militaires américains devaient accompagner les troupes irakiennes au combat, il le dirait au président Obama. Ses déclarations actuelles contredisent celles de la Maison Blanche. Dimanche, la conseillère à la sécurité nationale Susan Rice a dit sur NBC : « Nous ne nous retrouverons pas dans une guerre au sol en Irak ».
La logique de la guerre menée par l'impérialisme américain et ses alliés leur dicte néanmoins l'envoi de troupes au sol. La guerre aérienne s'est rapidement étendue, à partir de quelques frappes dans le nord de l'Irak il y a deux mois, pour englober l'ensemble de l'Irak et de la Syrie. Cependant, les critiques fusent quant à l'inefficacité de ces frappes, pressant l'administration Obama d’engager une nouvelle escalade militaire impopulaire en Irak.
Les commentaires de Dempsey fourniront des arguments aux critiques. Interrogé sur des informations selon lesquelles pas plus de 10 pour cent des bombardiers américains et alliés ne larguent des bombes lors de leurs missions, il a déclaré : « Ce chiffre ne me surprendrait pas. L'ennemi s'adapte et il deviendra plus difficile à cibler ».
Ce week-end, les dirigeants provinciaux d'al-Anbar dans l'ouest irakien ont officiellement demandé à Bagdad d'obtenir l'envoi de troupes américaines contre l'EI. Le président du conseil provincial d'al-Anbar, Sabah al-Karhout, a dit que l'EI contrôle environ 80 pour cent de la province. Le vice-président Faleh al-Issaoui a dit au Times que toute la province pourrait tomber aux mains de l'EI « d'ici 10 jours ».
Haditha serait le seul centre urbain d'al-Anbar que le régime de Bagdad détiendrait encore fermement. Depuis le début du mois, l'EI a capturé une série de villes, y compris la capitale de la province, Ramadi. Samedi soir, le gouvernement provincial a essuyé un nouveau revers avec la mort du chef de la police, le général Ahmed Saddak, dans un attentat à la bombe contre le convoi de véhicules dans lequel il circulait.
Des responsables militaires américains ont confirmé à l'AFP que la situation dans cette province, épicentre des combats pendant huit ans d'occupation américaine de 2003 à 2011, était « délicate ». Ils ont pointé du doigt l'inefficacité des troupes du régime irakien. « Ils sont ravitaillés et ils tiennent bon, mais c'est dur », indiquait-on. Au mois de juin, les troupes irakiennes défendant Mossoul contre l'EI ont déguerpi face à une offensive des islamistes. Une débâcle pareille dans la province d’al-Anbar ouvrirait le chemin à un assaut de l'EI sur Bagdad.
Le general Dempsey a reconnu que les Etats-Unis avaient récemment utilisé des hélicoptères Apache de combat pour repousser une attaque de l’EI contre des positions du gouvernement irakien à quelque 20 kilomètres de l’aéroport de Bagdad. « lls ont pris d’assaut la position irakienne ouvrant ainsi une voie toute droite jusqu’à l’aéroport. Nous n’allions pas laisser cela se produire. »
Les seules incursions réussies contre l’EI n’ont pas été le fait de l’armée irakienne, mais de milices chiites de la province de Diyala, au nord et nord-est de Bagdad et des combattants kurdes du nord de l’Irak, ce qui souligne le caractère sectaire de la guerre. Le fait qu’ils ont persécuté la population arabe Sunnite dans la province principalement Sunnite d’Anbar n’a fait que renforcer la position de l’EI et des milices sunnites alliées.
Si les Etats-Unis sont déterminés à appuyer le régime fantoche de Bagdad, le principal objectif de Washington se trouve néanmoins de l’autre coté de la frontière, en Syrie. Les progrès réalisés par l’EI en Irak ont fourni à l’administration Obama le prétexte voulu pour réactiver ses plans, restés inachevés l’an dernier, de conduire une guerre aérienne dans le but d’éliminer le président Bachar al-Assad. Durant ces trois dernières années les Etats-Unis et leurs alliés dans la région ont financé et armé les forces anti-Assad, dont les intégristes islamistes comme l’EI et le Front Nosra, lié à Al-Qaida.
L’assaut par l’EI de la ville syrienne kurde de Kobané, près de la frontière turque, a fait se multiplier les demandes non seulement d’intervention à l’aide de troupes au sol mais encore pour que l’administration Obama prenne le régime Assad pour cible. Le sénateur républicain John McCain a dit à CNN le 12 octobre que « les bombardements en coups d’épingle » ne fonctionnaient pas et appela l’administration Obama à procéder à une « réévaluation de fond » et à intensifier la guerre. Il appela à la création de zones tampons en Syrie et à ce que les forces américaines dirigent leurs attaques contre « l’EI et Bachar al-Assad. »
L’administration Obama fait déjà pression sur le gouvernement turc pour qu’il casse le siège de Kobané par l’EI, soit à l’aide de troupes turques soit en permettant aux combattants kurdes turcs de rejoindre leurs homologues syriens, organisés dans les ‘Unités de protection du peuple’ pour défendre la ville. Jusqu’ici, le gouvernement turc a résisté à cette pression, a appelé Washington à reprendre la guerre contre Assad et à établir des zones d’exclusion aériennes tampons appuyées par les Etats-Unis
Après des discussions au plus haut niveau avec des responsables américains la semaine dernière, Ankara n’a fait que des concessions limitées aux exigences de Washington. Les responsables turcs on annoncé samedi 11 octobre que le pays ne permettrait pas l’entraînement d’au moins 2 000 combattants syriens anti-Assad par les forces spéciales américaines et turques sur le territoire turc. L’arabie saoudite s’est déjà déclarée d’accord avec un plan similaire. Le dimanche 12 octobre, le secrétaire américain à la défense Chuck Hagel eut une conversation téléphonique avec son homologue turc, Ismet Yilmaz, dans le but de garantir l’utilisation des bases aériennes turques, dont celle d’Incirlik, pour la campagne de bombardements des Etats-Unis contre la Syrie.
Les divergences de l’administration Obama avec le gouvernement turc ne concernent pas l’attaque du régime d’Assad, mais son moment et la conduite à adopter. Les Etats-Unis se sont assurés le soutien de la Turquie, de l’Arabie saoudite, de la Jordanie et de divers Etats du Golfe, étant entendu que le principal objectif de la guerre n’était pas la destruction de l’EI, mais l’élimination du régime Assad soutenu par l’Iran. Tous ces alliés des Etats-Unis ont soutenu les soi-disant rebelles syriens, y compris l’EI, ces trois dernières années, précisément dans ce but.
La guerre civile en Syrie, comme en Irak a un caractère ouvertement sectaire. Les milices d’opposition à base Sunnite visent la secte chiite alaouite de Syrie, à laquelle appartient Assad, ainsi que d’autres minorité ethniques. L’Arabie saoudite en particulier considère l’élimination d’Assad comme essentielle pour affaiblir son principal rival en fait d’influence régionale, le régime chiite intégriste iranien. Les dirigeants iraniens mettent, quant à eux, en garde contre toute intervention militaire dirigée contre Assad. Comme l’a rapporté le quotidien britannique Independent, ces derniers ont dit spéficiquement que « la Turquie paierait un prix » si elle intervenait sur le territoire syrien.
Avec leur invasion illégale de l’Irak en 2003 et l’élimination du régime s’appuyant sur les sunnites de Saddam Hussein, les Etats-Unis ont très fortement intensifié les rivalités sectaires et ethniques au Moyen- Orient. A présent, l’administration Obama s’est plongée de façon irresponsable dans une nouvelle guerre en Irak et en Syrie pour garantir le maintien de la domination américaine sur cette région riche en ressources énergétiques, une guerre qui menace de déclencher une conflagration bien plus vaste dans tout le Moyen-Orient et au-delà.
(Article original paru le 13 octobre 2014)