Il y a une semaine, alors qu’Air France souffrait de l’impact financier de la grève des pilotes et que l’impopulaire gouvernement PS (Parti socialiste) redoutait un sentiment de sympathie populaire grandissant à l’égard de la grève, le Syndicat national des Pilotes de Ligne (SNLP) sommait brusquement les pilotes de reprendre le travail. Les grévistes ne reçurent aucune garantie quant à leur principale préoccupation : la crainte qu’Air France n’exploite la création de filiales du low cost Transavia pour réduire drastiquement les salaires et les retraites et aggraver les conditions de travail.
Les détails de cette trahison grotesque ne sont pas encore tous connus mais les alliés soi-disant de gauche du PS tels le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et Lutte ouvrière (LO) la qualifient déjà eux, de victoire.
Dans un article du 3 octobre intitulé « Air France : fin de la grève des pilotes, recul de la direction et du gouvernement », LO écrit par exemple: « Malgré le battage médiatique, malgré les déclarations de Valls, qui a tenté d’avoir le dernier mot, en tenant des propos forts pour tenter de faire croire qu’il n’avait pas cédé, les pilotes ont fait reculer la direction sur son projet de Transavia Europe… Qu’ils aient un salaire plus confortable comme les pilotes en fin de carrière, ou qu’ils soient au smic ou au chômage, les travailleurs subissent partout les même [sic] attaques. Heureusement, il y a des réactions. »
Le NPA lui aussi fait référence à la déclaration d’Air France qu’il renoncerait à son projet Transavia Europe comme étant « une première victoire saluée par tous les salariéEs [sic]… Cette grève ouvre donc une nouvelle brèche pour mobiliser les autres catégories de personnels menacées par le projet Transavia : hôtesses et stewards, personnels au sol assurant l’assistance dans les aéroports, et l’entretien des avions. »
L’éloge par ces partis de la trahison des pilotes est un tissu de mensonges qui se fait l’écho des déclarations trompeuses de la direction d’Air France. Tout d’abord, le projet Transavia Europe n’a pas été abandonné et qui plus est, les partis de la pseudo-gauche et les syndicats sont en train de dissimuler des projets de la direction prévoyant de nouvelles et sévères attaques à travers la création de diverses filiales et sociétés écran.
Le SNPL a mis fin à la grève pour ne pas causer un préjudice « irréparable » aux bénéfices d’Air France. La direction est en train de leur rendre la pareille en rémunérant les responsables syndicaux pour les jours travaillés pendant la grève mais insiste qu’elle ne paiera pas les pilotes pour ces mêmes jours.
La veille de la publication par LO de son article saluant le prétendu retrait de Transavia Europe, le magazine Marianne publiait des documents d’entreprise montrant qu’Air France intensifiait ses projets de transfert des emplois à des filiales low cost.
A la date du 1er octobre, deux jours après la reprise du travail, Transavia Europe était toujours pré-enregistré au Portugal. Inscrite sous le numéro 513 237 810 au registre du commerce portugais, elle y figure toujours dans l’attente d’être activée pour le recrutement de pilotes à des salaires inférieurs à ceux payés en France.
Le PDG d’Air France-KLM, Alexandre de Juniac, est en train de mettre en place un site web pour les filiales Transavia et les sociétés écran dans le but de contourner les promesses faites durant la grève. De Juniac avait dit vouloir créer des emplois dans les filiales Transavia France tout en précisant qu’il pourrait jeter aux orties les garanties et les primes actuellement accordées aux pilotes d’Air France qui volent pour la compagnie low cost.
De toute évidence, de Juniac n’a pas négocié de bonne foi avec les grévistes. A l’aide d’une manœuvre bizarre, rapportée par Marianne, il a transformé, durant la grève, l’entreprise Mileshouse qui gère les programmes de fidélité d’Air France-KLM, en une compagnie de transport aérien, Transavia Compagnie. Dès le 19 septembre, l’entreprise de gestion du programme de fidélisation d’Air France était donc en mesure de louer des avions, de recruter du personnel et de contourner les assurances actuellement octroyées aux pilotes d’Air France travaillant pour Transavia-France.
Quand Marianne demanda à Air France de commenter ses révélations, les responsables de la compagnie ont répondu en confirmant, de façon hermétique, les informations du magazine. Ils dirent : « Comme tout groupe, Air France-KLM dispose d’entités juridiques activables en fonction de ses besoins : partenariat, financement et développement. »
Aucun enjolivement de la part des groupes de la pseudo-gauche ne saura dissimuler le fait que la première lutte importante de la classe ouvrière sous l’impopulaire gouvernement PS de François Hollande s’est terminée par une honteuse trahison.
La raison de cet échec n’est pas la position de négociation des pilotes, qui était très favorable. Certains articles ont même suggéré qu’Air France avait délibérément minimisé les pertes générées par la grève, qui étaient plutôt de l’ordre de 350 à 400 millions que les 290 millions admis. L’échec de la grève est dû au soutien que le SNPL a apporté à la direction d’Air France contre les pilotes et à la peur que ses membres ne remportent une victoire.
Les pilotes se sont immédiatement trouvés engagés dans une lutte politique avec l’Etat et les responsables d’autres syndicats ouvertement hostiles à la grève. Le premier ministre Manuel Valls a publiquement accusé les grévistes d’être des « égoïstes ». Cette déclaration extraordinaire exprimait la crainte qui secoue actuellement le PS comme l’ensemble de l’élite dirigeante française.
Le gouvernement Valls, qui a dit que son objectif était de restaurer la compétitivité de l’industrie française en cassant le coût du travail (c’est-à-dire les salaires et les conditions de travail des ouvriers), a été terrifié à l’idée que la grève puisse déclencher des luttes contre le programme d’austérité préparé avec l’Union européenne (UE). Avec la cote de popularité du chef de l’Etat au niveau jamais vu de 13 pour cent, la probabilité grandit au fil des semaines qu’un événement comme la fermeture des aéroports en France ne provoque des manifestations de masse ou une grève générale, comme en 1936 ou 1968.
Dans une situation où la colère populaire face à l’austérité atteint des niveaux explosifs partout en Europe, la grève et le risque de grandes manifestations ont été suivis de près par la presse internationale. Le quotidien économique allemand Handelsblatt a même reconnu que les pilotes étaient en position de force.
Dans ces conditions, il incombe aux charlatans de la classe moyenne aisée des partis soi-disant de gauche comme le NPA et LO de tenter de répandre un maximum de découragement et de confusion en faisant l’éloge d’une défaite comme s’il s’agissait d’une victoire. Par là, ils défendent non seulement les syndicats où un grand nombre de leurs adhérents ont des postes, mais encore le gouvernement chancelant de Hollande pour lequel ils avaient fait campagne au deuxième tour des élections en 2012.
(Article original paru le 6 octobre 2014)