L’effondrement de la monnaie russe cette semaine est l’aboutissement de la politique appliquée par les principales puissances impérialistes afin de forcer la Russie à se soumettre à la restructuration néocoloniale de l’Eurasie par l’impérialisme américain et européen. Pour punir l'opposition du régime de Poutine à leurs interventions en Ukraine et en Syrie, les puissances de l’OTAN étranglent financièrement la Russie.
Les sanctions imposées par les Etats-Unis en réponse à l’opposition de Moscou au coup d’Etat de février dernier à Kiev constituent une véritable guerre économique. En quatre mois, la valeur du rouble russe a chuté de plus de 50 pour cent. Mardi, alors que le rouble chutait en une seule journée de 10 pour cent face au dollar, le président américain Barack Obama a signalé qu'il signerait un projet de loi qui imposerait des sanctions encore plus dures contre la Russie et permettrait à Washington d’armer directement le régime d’extrême-droite à Kiev.
Lorsque le ministère russe de la Défense a exprimé ses «inquiétudes sur la hausse significative de l’activité militaire de l’OTAN près des frontières russes, » les responsables du Pentagone ont répondu que l’OTAN continuerait à renforcer sa « présence dans les airs, au sol et en mer » autour de la Russie.
Hier, des éditoriaux sont apparus dans plusieurs grands journaux, insistant que la crise de la monnaie russe ne s’atténuerait pas, si Moscou ne s'inclinait pas devant le régime de Kiev et ne renonçait pas à son soutien aux séparatistes dans l’Est de l’Ukraine.
« L’ampleur de la chute de la monnaie, » écrit le Financial Times de Londres, « reflète la conviction grandissante des marchés financiers que M. Poutine ne dirige plus la Russie selon des intérêts économiques, mais est décidé à poursuivre des objectifs géopolitiques illusoires. » L’OTAN, a-t-il ajouté, « ne devrait laisser aucun doute que la désescalade en Ukraine réduira la pression internationale sur l’économie russe. L’espoir devant être que même maintenant, M. Poutine sera d’humeur à changer de cap. »
Le New York Times a écrit: « La chose raisonnable à faire pour Poutine serait de se retirer de l’Ukraine. Ceci apporterait un assouplissement immédiat des sanctions et soulagerait la crise actuelle, en conférant aux responsables une marge pour commencer à s’occuper du règlement des problèmes économiques du pays. La question est de savoir si ce dirigeant irresponsable a été suffisamment châtié pour qu’il change de cap ».
Si la Russie accepte le dictat des Etats-Unis et de OTAN, sa capitulation ouvrirait tout simplement la voie à d’autres exigences dont le résultat ultime serait l’éclatement du pays.
Les conséquences catastrophiques de la dissolution de l’URSS en 1991 et de la restauration du capitalisme sont on ne peut plus claires. En dépit de sa taille militaire et de ses réserves pétrolières, la Russie se voit reléguée dans une position d’annexe semi-coloniale du capital financier, bonne à écraser dès qu’elle pose un obstacle à ses maîtres impérialistes.
Les banques resserrent l’étau financier autour du cou de la Russie. Anders Aslund de l’Institut Petersen pour l’économie internationale a écrit que, depuis que Washington a imposé en juillet des sanctions à la Russie, « la Russie n’a pas reçu de financement international important – pas même des banques d’Etat chinoises – parce que tout le monde a peur des régulateurs financiers américains. »
Coupée du crédit, la Russie est étranglée par les parasites financiers de Wall Street et leurs homologues européens. Selon les calculs d’Aslund, la Russie – avec des réserves liquides en devises de l’ordre de quelque $ 200 milliards, des sorties nettes de capitaux de $ 125 milliards cette année ainsi que d’un total de dettes étrangères atteignant $ 600 milliards – pourrait être mise à genoux en deux ans.
Bien qu’il existe une multitude de facteurs économiques mondiaux qui sous-tendent la chute des prix du pétrole, un rôle majeur dans la plongée époustouflante des matières premières incombe à la collaboration de Washington avec l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et la monarchie saoudienne à Riyadh visant à stimuler la production et à augmenter la surabondance de l’offre sur les marchés pétroliers mondiaux.
Lors du voyage d'Obama en Arabie saoudite peu après le début de la crise ukrainienne en mars dernier, le quotidien The Guardian avait écrit : « Irrité par l’invasion soviétique en Afghanistan en 1979, les Saoudiens ont ouvert les robinets de pétrole, faisant chuter les cours du pétrole brut jusqu'à 20 dollars le baril (en prix actuels) au milieu des années 1980… [A présent] les Saoudiens pourraient envisager une telle décision – qui favoriserait aussi la croissance mondiale – dans le but de punir Poutine pour son soutien du régime Assad en Syrie. Washington a-t-il proposé cette idée à Riyad ? Ce serait surprenant si ce n’était pas le cas. »
Depuis lors, avec le refus de l’OPEP de réduire la production en dépit d’une chute accélérée des prix, le pétrole est tombé sous la barre des 60 dollars le baril.
Ces développements exposent l’absurdité des affirmations avancées par de nombreuses organisations de la pseudo-gauche petite-bourgeoise, comme quoi la Russie est une puissance impérialiste. De tels arguments ignorent tout simplement le contexte historique duquel l’impérialisme est issu et qui subsiste dans la structure de la finance mondiale et de la géopolitique internationale. La dissolution de l’URSS a été une capitulation à l’impérialisme et non l’entrée de la « nouvelle » Russie dans les rangs des puissances impérialistes.
Comme Trotsky l’a expliqué en 1929:
« La lutte pour la suprématie mondiale a pris des proportions gigantesques. Les étapes de cette lutte se sont déroulées sur les os des nations faibles et arriérées. La Russie capitaliste ne pourrait à l'heure actuelle occuper dans le système mondial même la situation de troisième plan à laquelle la Russie tsariste avait été prédestinée par la marche de la dernière guerre. Le capitalisme russe serait maintenant un capitalisme asservi, un capitalisme à demi colonisé, sans avenir. La Russie numéro deux occuperait aujourd'hui une place quelque part entre la Russie numéro un et l'Inde. Le système soviétique de l'industrie nationalisée et du monopole du commerce extérieur, malgré toutes ses contradictions et ses difficultés, est un système de protection pour l'indépendance de la culture et de l'économie du pays.
Au cours des dernières étapes de la dissolution de l’URSS, la bureaucratie soviétique et l’intelligentsia académique ont hautainement rejeté l’analyse marxiste de l’impérialisme en adhérant à la « nouvelle pensée » de Gorbatchev. En fait, la régression sociale et la subordination à l’impérialisme de la Russie post-soviétiqué ont confirmé les avertissements de Trotsky. Les ex-républiques soviétiques se sont dissoutes dans des guerres civiles ethniques, allant de la guerre menée par la Russie en Tchétchénie à l’actuelle guerre en Ukraine. La vie industrielle s’est effondrée et la production économique a chuté d’environ 40 pour cent aux années 1990, alors que des oligarques criminelles et des banques étrangères pillaient les usines publiques.
L’effondrement économique s’est arrêté dans les années 2000, et le capitalisme russe s’est reconstruit autour des exportations de pétrole et de gaz sous la domination d’une clique d’oligarques d’affaires autour du président Vladimir Poutine. Cependant, la faillite de la société russe a été reconnue même par ses dirigeants.
Dans son discours de 2009, « Allez la Russie », le président russe de l’époque, Dmitri Medvedev avait avoué : « Vingt ans de changements tumultueux n’ont pas épargné à notre pays sa dépendance humiliante des matières premières. Notre économie actuelle reflète encore le défaut majeur du système soviétique : elle ignore largement les besoins individuels. A quelques exceptions près, les entreprises du pays n’ont pas inventé ni créé les choses et les technologies dont les gens ont besoin. Nous vendons des choses que nous n’avons pas produites, des matières premières ou des marchandises importées. Les produits finis fabriqués en Russie sont caractérisées par leur compétitivité extrêmement basse. »
L’effondrement du rouble et la politique agressive de l’impérialisme aujourd’hui révelent au grand jour la faillite du capitalisme russe. Les prix en rouble des produits alimentaires et des biens de consommation devraient monter en flèche, appauvrissant des masses de gens, car la Russie importe encore ses produits manufacturés et des intrants agricoles pour la production alimentaire nationale.
Quant à la clique dirigeante de la Russie, elle fait face à un dilemme désespéré. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré mardi que les sanctions américaines visaient à changer le régime en Russie. Au vu de l’expérience faite par d’autres pays riches en pétrole et visés Washington pour un changement de régime, comme l’Irak ou la Libye, ceci signifie que le Kremlin estime que l’OTAN cherche à détruire le gouvernement russe, à assassiner ses hauts responsables, et à piller le pétrole russe.
Cependant, même dans cette situation désespérée, le Kremlin se limite servilement à une politique qui est acceptable à la ploutocratie russe dont la richesse est basée sur le pillage des biens publics. Il cherche à éviter de prendre des mesures essentielles et défensives, telles l’imposition d’un contrôle des changes et d’un gel des versements aux banques étrangères.
L’incitation du nationalisme russe par Poutine – comme dans son éloge faite de l’offensive « légendaire » du général tsariste Alexeï Broussilov au début de la Première Guerre mondiale et sa récente dénonciation des bolcheviks comme traitres à la Russie impériale – est totalement réactionnaire. Si le Kremlin compte sur sa force militaire en optant pour une confrontation avec l’OTAN, le risque d’une guerre nucléaire qui détruirait la planète entière est imminent.
Il n’y a pas solution nationale à la crise russe. L’oligarchie capitaliste elle-même est le plus grand obstacle à la défense de la classe ouvrière russe contre l’impérialisme. La tâche essentielle à laquelle est confrontée la classe ouvrière en Russie est de renouer ses liens avec les traditions de la Révolution d’Octobre et la lutte menée par Trotsky contre le stalinisme.
Il n’y a aucun moyen d’arrêter le pillage de la Russie et la poussée vers la guerre autre que par une intervention politique consciente de la classe ouvrière internationale qui est hostile à la fois au militarisme impérialiste et aux manœuvres du Kremlin. C’est pourquoi le Comité International de la Quatrième Internationale insiste sur la nécessité de construire un mouvement anti-guerre et anti-impérialiste international de la classe ouvrière, luttant pour la révolution socialiste mondiale.
(Article original paru le 18 décembre 2014)