Par Joseph Kishore
12 décembre 2014
Il y a quatre mois aujourd’hui, Michael Brown, un adolescent non armé, mourait sous les balles tirées par un policier à Ferguson, Missouri. La colère populaire face à ce meurtre policier, un de plus, aux Etats-Unis n’a fait que s’intensifier depuis, alimentée par la décision de grands jurys hautement manipulés de n’inculper ni le policier qui tua Brown ni celui qui étrangla Eric Garner à Staten Island en juillet dernier.
La réponse de la classe dirigeante à ces évènements s’est faite sur deux axes interconnectés. D’une part, les manifestations ont été utilisées comme une occasion d’augmenter plus encore l’appareil répressif, dont la déclaration d’un état d’urgence préventif à Ferguson le mois dernier et le déploiement de la Garde nationale contre des manifestants.
D’autre part, l’élite dirigeante a mobilisé les professionnels de la politique identitaire dont la tâche est de dire avec insistance que la mort de Brown et Garner et la relaxe des policiers qui les ont tués, sont entièrement le résultat du racisme. L’objectif est d’obscurcir les questions fondamentales de classe qui sous-tendent ces événements et de maintenir l’autorité politique de ce même appareil, responsable de la répression et de la violence dans tout le pays.
Obama a lui-même pris la tête de cette campagne dans une interview diffusée hier sur la Black Entertainment Television (‘Télévision de divertissement noir’). En feignant de compatir avec les manifestants, Obama incita à « la patience » et à « la persistance ». Le racisme dit-il, « est profondément enraciné dans notre société, c’est profondément enraciné dans notre histoire. »
Cherchant à tirer profit du fait qu’il est le premier président afro-américain du pays, Obama a dit que la question « n‘était pas seulement personnelle pour moi, du fait de qui je suis et de qui est Michelle et tous les membres de notre famille et de ce que représente notre expérience, mais en tant que président, je considère que celle-ci est l’une des questions les plus importantes auxquelles nous sommes confrontés. » Il continua, « l’Amérique fonctionne quand tout le monde a le sentiment d’être traité équitablement. »
Obama ajouta que l’issue de l’affaire Garner, notamment, « nous donne l’occasion de tenir la conversation [sur la question de race] qu’on attend depuis longtemps. »
Comme d’habitude, les commentaires du président regorgèrent d’hypocrisie et de tromperie. Le sermon sur « le traitement équitable » pour tous fut prononcé par un président qui a fait en sorte qu’aucune punition ne soit infligée aux escrocs financiers qui ont précipité le krach de Wall Street ou les responsables du gouvernement Bush et de la CIA qui ont supervisé et appliqué la torture.
Quant à sa prétendue inquiétude à propos des brutalités policières, Obama exprima sa position de façon tout à fait claire la semaine dernière quand la Maison Blanche annonça qu’il n’y aurait aucun répit dans les programmes destinés à approvisionner les polices locales du pays en équipements militaires à hauteur de milliards de dollars.
En se présentant comme un partisan de ceux qui s’opposent à la violence policière, Obama cherche à exploiter son profil racial, effort renforcé par tout un réseau de scélérats politiques superbement rémunérés tel Al Sharpton, le multimillionnaire et ancien indicateur du FBI qui s’auto choisit invariablement pour diriger chaque mouvement de protestation contre la brutalité policière. Après avoir rencontré le président la semaine dernière, Sharpton a appelé à une marche à Washington la semaine prochaine, conçue pour canaliser la colère populaire contre la violence policière dans la filière inoffensive des supplications au Congrès et au gouvernement d’Obama.
Ces manœuvres ont été accompagnées d’une série d’articles dans les médias dits « de gauche » qui insistent pour dire que la question principale dans les meurtres de Brown et Garner est celle de « la suprématie blanche » (dans les termes d’un article de Rolling Stone), « le privilège blanc » et l’oppression raciale.
L’un des articles les plus infects fut écrit par le professeur Britney Cooper de l’université de Rutgers publié sur Salom.com. Dans « White America’s scary delusion : Why its sense of black humanity is so skewed, (La délusion effarante de l’Amérique blanche : Pourquoi sa perception de l’humanité noire est si faussée), Cooper dénonce « l’ignorance et le manque d’empathie » des « gens blancs, » qui profitent de « la violence au cœur de l’idéologie blanche. »
Quant à l’International Socialist Organisation (ISO), son thème de base est le même. Dans « When racism wears a badge, » (Quand le racisme porte un badge), Keeanga-Yamahtta Taylor de l’ISO écrit sur le « terrorisme qui imprègne les communautés noires et de couleur », et d’un système raciste qui a « criminalisé et appauvri les Afro-américains. » Alors que l’article de Taylor fait référence au « noir » et à « l’afro-américain » plus de 30 fois, le mot « classe » n’y figure pas. En ce qui concerne Obama, il est seulement mentionné comme étant insuffisamment focalisé sur les questions de race.
Ces gens sont guidés par une arrière-pensée. C’est celle d’encourager les divisions ethniques dans la classe ouvrière. Selon leurs dires, le problème de base n’est pas le capitalisme, un système fondé sur l’exploitation de classe et l’oppression, dont la discrimination raciale est une expression parmi d’autres, mais plutôt la haine des noirs qui, de quelque manière, est incorporée au code génétique des blancs. Sur cette base c’est une progression naturelle et inévitable que de soutenir les Démocrates noirs et leurs alliés bourgeois et de s’opposer à un mouvement uni et indépendant de la classe ouvrière contre l’ensemble de l’establishment politique.
Ceci ne veut pas dire nier l’existence du racisme, lequel est encouragé parmi les couches les plus arriérées recrutées dans la police. Pourtant la violence dirigée contre Brown, Garner et d’innombrables travailleurs et jeunes est bien plus une question de classe socio-économique que de race. Si les Afro-américains sont d’une façon disproportionnée les cibles de meurtres policiers, les travailleurs blancs et jeunes blancs représentent la majorité des victimes. C’est souvent des commissaires noirs et des maires noirs – ou même des présidents noirs – qui président à l’oppression des jeunes venant des minorités.
L’insistance à la limite de l’hystérie avec laquelle les forces politiques proches du Parti démocrate clament que la race est la catégorie sociale fondamentale en Amérique est proportionnelle au degré de discrédit de cette marque politique – notamment à travers l’expérience faite avec le gouvernement Obama lui-même.
Obama, loué il y a six ans par des journaux tels Nation, ou des organisations telle que l’ISO comme le « candidat transformatif », a présidé à un retour en arrière de proportions historiques des conditions de vie des travailleurs de toutes les races. Alors que la supposée « reprise économique » du gouvernement Obama est bien avancée, l’inégalité sociale aux Etats-Unis est plus élevée qu’à toute autre époque depuis la Grande dépression des années 1930, grâce au transfert massif des richesses vers Wall Street, que le gouvernement d’Obama a orchestré.
C’est parmi les Afro-américains et d’autres minorités ethniques que la polarisation sociale a le plus augmenté. Une grande majorité d’entre eux souffre du déclin du niveau de vie alors qu’une élite minoritaire s’enrichit, bénéficiant de programmes tels que la ‘discrimination positive’ et de leur intégration dans l’élite du monde des affaires et de la politique. En fait, Obama est l’incarnation même de cette couche sociale corrompue et réactionnaire.
A Détroit, une ville majoritairement Afro-américaine, un gestionnaire d’urgence Afro-américain, en proche liaison avec le gouvernement d’Obama, a supervisé le pillage de la ville en faveur de l’aristocratie financière. Ce pillage comporte d’énormes réductions dans les retraites et les prestations de santé des travailleurs actifs ou retraités de la ville. Les salaires de la classe ouvrière toute entière, surtout ceux des travailleurs industriels, ont fortement chuté. Les écoles publiques et l’infrastructure sociale ont été attaquées sans relâche.
Tout ceci a un impact sur la conscience populaire, encourageant la compréhension que c’est la classe, pas la race, qui détermine la politique gouvernementale. La politique identitaire qui est devenue un pilier de la gouvernance bourgeoise aux Etats-Unis pendant les quatre dernières décennies a subi un coup sévère. Les personnes du genre de Jesse Jackson et Al Sharpton, et les organisations politiques ancrées dans la politique identitaire et s’appuyant sur les couches prospères de la classe moyenne, sont elles-mêmes de plus en plus méprisées.
La force motrice derrière l’éruption de violence policière aux Etats-Unis est l’oppression de classe. La combinaison de guerre impérialiste à l’étranger et de contre-révolution sociale à l’intérieur s’exprime politiquement dans la construction d’un appareil d’état policier dirigé de plus en plus ouvertement contre l’opposition sociale et politique à l’intérieur des Etats-Unis
Le conflit entre l’aristocratie financière et la classe ouvrière est la source fondamentale de la brutalité et la violence de l’Etat. Le même conflit crée la fondation objective d’un mouvement politique qui peut mettre fin à cette brutalité : un mouvement indépendant et uni de la classe ouvrière entière, en opposition au capitalisme et à tous ses défenseurs.