Des rapports récents témoignent du renversement historique survenu dans les salaires et les conditions de vie des travailleurs industriels aux États-Unis, un phénomène qui s'est accéléré à la suite du krach économique mondial de 2008. Ces rapports mettent en lumière la réalité derrière la «reprise économique» d'Obama et les profits accumulés par les sociétés et les institutions financières américaines.
L'offensive impitoyable de la classe dirigeante contre la classe ouvrière qui dure depuis des décennies trouve l'une de ses expressions les plus fortes dans l'appauvrissement du Michigan, centre historique de la fabrication automobile américaine et l'un des États les plus prospères du pays pendant les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Selon le US Bureau of Economic Analysis (Bureau américain d'analyse économique), l'État du Michigan se classe maintenant dans le dernier tiers des États américains en ce qui a trait au revenu par habitant.
Après près de 40 années de fermetures d'usines, de licenciements massifs et de réductions des salaires, le revenu par habitant au Michigan est maintenant au 38e rang des 50 États et Washington, DC. Ces chiffres sont encore plus choquants lorsque l'on exclut les transferts gouvernementaux des programmes de sécurité sociale, de Medicare, des coupons alimentaires, d'aide sociale et de prestations pour anciens combattants, faisant reculer le Michigan au 42e rang aux États-Unis.
Seule une poignée d'autres États plus arriérés économiquement tels l'Arkansas, l'Alabama, le Mississippi et la Virginie occidentale, sont pires. C'est une ironie de l'histoire que ce soit en grande partie ces États que des centaines de milliers de mineurs du charbon et de métayers pauvres ont fuis pour trouver une vie meilleure dans les usines d'automobiles et les aciéries du Michigan lors des six premières décennies du siècle dernier.
Le coût humain de cette situation a été révélé dans un rapport publié plus tôt cette année par Centraide, révélant que 40 % des ménages au Michigan – au nombre de 1,54 million dans l'État – n'ont pas assez d'argent pour satisfaire leurs besoins de base. Dans 73 % des villes du Michigan recherchées, 30 % des ménages ne pouvaient payer pour leur loyer, la garde de leurs enfants, leur nourriture, leurs besoins de transports ou des soins de santé, même s'ils travaillaient.
La situation dans le Michigan s'inscrit dans une tendance nationale. La semaine dernière, le National Employment Law Project publiait un rapport intitulé Manufacturing Low Pay: Declining Wages in the Jobs that Built America’s Middle Class (La fabrication des bas salaires: la baisse des salaires dans les emplois qui ont façonné la classe moyenne aux États-Unis).
Parmi les révélations de ce rapport:
* Sur les 6,2 millions de travailleurs de la production aux États-Unis, plus de 600.000 gagnent un salaire horaire de 9,60 $ ou moins, et plus de 1,5 million de 11,91 $ ou moins. De plus en plus, les travailleurs sont employés par des agences de travail temporaire et de dotation, qui paient des salaires encore plus bas.
* Depuis 2003, les salaires réels pour les travailleurs de la fabrication ont diminué de 4 % – soit un dollar l'heure – se traduisant par une perte de revenu annuelle de 2000$ pour un travailleur industriel travaillant 40 heures par semaine à raison de 52 semaines par année.
* Dans le secteur des pièces automobiles – qui représente désormais les 3/4 de tous les emplois dans l'industrie de l'auto – l'effondrement des salaires est encore plus stupéfiant. Entre 2003 et 2013, les salaires réels dans l'industrie pour les équipes de monteurs ont chuté de 1,47 $ l'heure (9,2 %), tandis que les salaires dans la production des pièces automobiles ont chuté de 2,77 $ l'heure (15 %).
De plus en plus, des sociétés comme General Motors, Ford, Caterpillar, Boeing, Airbus et le fabricant chinois d'ordinateurs Lenovo ramènent aux États-Unis la production faite au Mexique, en Chine et dans d'autres pays à bas salaires. L'écart salarial entre les travailleurs chinois et américains devrait être réduit à 7 $ l'heure d'ici 2015, alors qu'il était de 17 $ l'heure en 2006.
La chute des salaires des travailleurs industriels est allée de pair avec le démantèlement d'une grande partie de la base industrielle du pays et la dépendance croissante de l'économie américaine sur la spéculation et le parasitisme financier. Les États-Unis ont perdu la moitié de leurs emplois dans la fabrication entre 2000 et 2009, et seulement 500.000 des 6 millions d'emplois manufacturiers perdus sont revenus.
L'attaque sur les salaires industriels s'est accélérée avec l'administration Obama lors de la faillite forcée de General Motors et de Chrysler en 2009, où les salaires des travailleurs nouvellement embauchés ont été réduits de 50 %. Le résultat a été des bénéfices record pour les constructeurs automobiles.
Pendant la majeure partie de la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, le Michigan se classait parmi les 10 premiers États en ce qui avait trait au revenu par habitant, Detroit affichant même en 1960 le revenu par habitant le plus élevé de n'importe quelle ville aux États-Unis. Ce n'était pas là l'accomplissement d'employeurs ayant l'esprit libéral ou de politiciens comme Franklin Roosevelt, mais bien des luttes de masse explosives des années 1930 qui ont vu la création des syndicats industriels. Ces batailles de classe étaient dirigées par des militants de gauche et des travailleurs inspirés par le socialisme et la Révolution russe de 1917.
Craignant le danger que les États-Unis aient leur «propre révolution de 1917», la classe dirigeante américaine, ayant le luxe de posséder une puissante industrie et d'immenses richesses, a accordé des concessions à la classe ouvrière. Au cours des décennies qui ont suivi, les travailleurs industriels du Michigan et d'autres États se sont battus pour obtenir des salaires et des soins de santé payés par l'employeur, des pensions et des congés, permettant à beaucoup de s'acheter une maison, d'envoyer leurs enfants à l'université et de vivre plus sainement et longuement.
La classe dirigeante américaine n'a jamais digéré le mode de vie de la supposée «classe moyenne» acquis par les travailleurs. Et pourtant, elle n'a pas pu renverser ses réalisations sans la collaboration des syndicats.
À la fin des années 1970 et au début des années 1980, le Syndicat des travailleurs unis de l'automobile (TUA) et d'autres syndicats ont renoncé à toute défense de la classe ouvrière et, au nom de la défense de la «compétitivité» et des bénéfices des sociétés américaines sur la scène mondiale, ils ont collaboré à la destruction de millions d'emplois industriels et à l'appauvrissement des communautés ouvrières de Detroit, de Flint et d'ailleurs.
Lors de la restructuration de l'industrie de l'automobile en 2009, les TUA ont accepté des milliards de dollars en actions de GM et de Chrysler à titre de paiement pour leur collaboration dans la réduction des salaires, la fin du paiement des heures supplémentaires après huit heures de travail et l'embauche de milliers de travailleurs temporaires. Le syndicat des TUA s'est transformé il y a des décennies en une entité commerciale, valant maintenant plus d'un milliard de dollars et administrée par une équipe de cadres grassement payés dont les intérêts sont diamétralement opposés à ceux des travailleurs qu'ils prétendent faussement représenter.
Les conditions de vie expérimentées au quotidien par des millions de travailleurs au Michigan et dans le reste des États-Unis sont la preuve de l'échec complet d'un mouvement ouvrier basé sur la défense du capitalisme, du nationalisme économique et de la subordination de la classe ouvrière au Parti démocrate.
Les gains auparavant acquis par les travailleurs l'ont été par des luttes de masse. L'opposition de la classe ouvrière n'a pas disparu dans les années 1980 ou par la suite. Elle a été sabotée et désorganisée par les TUA et les autres syndicats qui ont chassé de leurs rangs les militants de gauche dans les années 1940 et 1950 et se sont consolidés sur la base de l'anticommunisme et la défense des intérêts mondiaux de l'impérialisme américain.
Ce phénomène n'est pas uniquement américain. Face à la mondialisation de la production capitaliste, tous les syndicats basés à l'échelle nationale sont devenus dans tous les pays des organisations anti-ouvrières qui ont supprimé la lutte de classe et aidé à faire baisser les salaires.
La voie de l'avant est le développement de nouvelles organisations démocratiques de lutte, indépendantes des syndicats, dans le cadre d'un puissant mouvement politique de la classe ouvrière, présent tant aux États-Unis qu'à l'échelle internationale, et basé sur un programme révolutionnaire pour remplacer le système capitaliste par le socialisme.
(Article paru d’abord en anglais le 25 novembre 2014)