Le gouvernement Hollande refuse de livrer à la date prévue un porte-hélicoptères Mistral à la Russie

Le ton entre la Russie et la France a brusquement monté la semaine dernière après que le gouvernement Hollande a refusé de livrer à la date prévue du 14 novembre un premier porte-hélicoptères Mistral au gouvernement Russe. Cela suivait la confirmation il y a quelques semaines que le gouvernement liait la vente ou non de ces navires de guerre à l’acceptation de conditions exigées de la Russie par l’OTAN et l’UE en Ukraine. 

Le gouvernement n’a pas donné à la société chargée de la construction des Mistrals la licence d’exportation. Le PDG du groupe de construction navale DCNS a démis de ses fonctions le directeur du projet de livraison des deux bâtiments de guerre pour avoir invité les représentants russes à assister à la livraison du premier de ces navires vendredi dernier. Cette semaine, les autorités françaises ont bloqué 550 marins russes qui essayaient de monter à bord d'un des Mistrals construits pour la Russie à St Nazaire. 

Le gouvernement russe avait fin octobre menacé de poursuivre la France en justice et d’exiger de fortes compensations en argent si le contrat n’était pas honoré. La livraison n’ayant pas eu lieu, il déclara qu’il laissait au gouvernement français jusqu’à la fin du mois de novembre pour livrer le premier navire déjà opérationnel, le Vladivostok, avant de prendre des mesures concrètes. La France a déjà reçu la moitié du coût des deux navires commandés selon le contrat signé en 2011, soit plus d’un demi-milliard d’euros. 

Le premier ministre Manuel Vals a réagi le 14 novembre à la pression du gouvernement russe par une tirade provocatrice et hystérique devant la presse : « La France honore ses engagements, mais la France est une nation qui compte, qui pèse dans le concert des nations et qui exige la paix en Ukraine. Et qui prend ses décisions de manière souveraine, sans que quiconque ne lui dicte sa conduite de l'extérieur ».

Le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis a apostrophé le président russe Poutine sur Europe1 disant : « Ce n'est pas comme cela que ça marche, M. Poutine, la France est un pays indépendant qui décide ce qu'elle fait de la livraison ou pas des Mistral. Si il y a une avancée démocratique et une paix en Ukraine, on peut voir ».

Depuis l’ouverture de la crise en Ukraine, déclenchée par le putsch sponsorisé par l’Occident et avec à sa tête des fascistes à Kiev, et la campagne belliciste des Etats-Unis et de l’Allemagne contre la Russie, la pression avait été de plus en plus forte sur le gouvernement Hollande, de part des Etats-Unis et au sein de l’OTAN et de l’UE pour qu’il abandonne la vente des Mistrals. 

En juin encore, le gouvernement avait maintenu cette vente face aux pressions de Washington, qui utilisait une action judiciaire contre la plus grande banque française BNP pour forcer la main au gouvernement Hollande. Celui-ci avait rejeté l’idée que la vente pouvait être annulée. Lorsque des sanctions furent imposées à la Russie par l’UE un peu plus tard, il avait obtenu que ces ventes en soient exclues. En septembre de cette année, le gouvernement avait « suspendu » la vente des Mistrals, sans pour autant l’annuler. 

A la mi-octobre, le gouvernement Hollande a définitivement lié la livraison du Vladivostok à la condition d’un cessez-le-feu « entièrement respecté » entre l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses, cessez le feu que le gouvernement ukrainien soutenu pas les Etats-Unis et l’Allemagne n’a pas respecté dans les faits. Outre qu’agir de la sorte constituait un véritable chantage, le gouvernement Hollande s’alignait dans ce cas sur la ligne agressive et belliciste des impérialismes américain et allemand. 

Le projet de construction des porte-hélicoptères date de 2008 et sa signature en 2011 avait été considérée comme le symbole d’une coopération renforcée entre la Russie et la France. On avait dit à l’époque qu’il s’agissait du début d’une longue collaboration entre les deux pays. 

Sur le plan économique la Russie apparaissait aussi comme un marché juteux de 600 milliards d’euros que le patronat français regardait avec convoitise. Le développement de la collaboration économique avait été conçu en rivalité directe avec les entreprises allemandes.

La construction de ces navires militaires à haute technologie au profit de la marine russe se décida alors que les tensions croissaient avec l’Allemagne au sein de l’UE suite à la crise boursière de 2008 et à la crise bancaire européenne. Ces tensions ont atteint un point de rupture au plus fort de la crise financière grecque en 2010 au point que Sarkozy avait menacé de sortir de l’euro.

L’impérialisme français a traditionnellement eu recours à l’alliance avec la Russie pour contrôler et contrecarrer l’impérialisme allemand en Europe. Ce fut le cas de la politique de Poincaré avec la Russie tsariste avant la Première guerre mondiale, ce fut encore le cas après la Deuxième Guerre mondiale dans la politique gaulliste avec la bureaucratie stalinienne et l’URSS. C’est dans le cadre d’une telle « alliance à revers » qu’entrait la signature du contrat pour les porte-avions Mistral. 

Depuis plusieurs semaines, le gouvernement allemand a changé de ton vis-à-vis de la Russie dans le conflit ukrainien et pris une attitude ouvertement belliciste. Dans ce contexte, la vente de navires de guerre à la Russie par la France était de moins en moins permissible. 

Des demandes de compensation de la part de la Russie pourraient entraîner, outre la perte d’un contrat de 1,2 milliards d’euros et le remboursement de l’argent déjà versé, des pénalités pouvant atteindre plusieurs milliards d’euros dans la situation d’un déficit commercial déjà hors de contrôle, l’annulation de nombreux contrats d’exportation d’armes. Le journal lOpinion citait ainsi en septembre « le patron d'une des grandes entreprises françaises d'armement, ‘en cas d’annulation par Paris, nos grands clients se sentiront à la merci d'une décision politique unilatérale de la France et, Ce qui est en jeu, c'est la crédibilité de la signature de l'EtatTous les regards se tournent vers lInde avec laquelle la France négocie la vente de 126 Rafale. » 

Un conflit économique avec la Russie toucherait douloureusement les centaines d’entreprises françaises produisant en Russie, et les banques françaises qui seraient à découvert de 35 milliards d’euros si les débiteurs russes faisaient défaut. 

L’affaire des Mistrals montre non seulement l’extrême exacerbation des tensions entre les pouvoirs impérialistes mais aussi les conflits à l’intérieur de l’establishment politique français. L’ex-conseiller de Sarkozy et député UMP des Yvelines Henri Guaino a dit le 14 novembre : « La France a pris des engagements…. Il est normal qu'elle livre ». « Si elle ne respecte pas sa parole sur ce marché, que vont en penser tous les autres? Que vaudra la parole de la France? », ajoutant qu’un renoncement coûterait «très, très cher» notamment « en matière de crédibilité ».

Le même jour, le leader du Parti de Gauche Jean-Luc Mélenchon disait que Hollande « ridiculisait la France en empêchant la livraison » du premier Mistral. 

Au sein de l’armée toutefois, une partie de la marine est hostile à la vente de porte hélicoptères à la Russie qu’elle craint pouvoir être utilisés contre elle. 

Selon une information de l’agence de presse Ria Novosti un sondage aurait montré que 58 pour cent de français étaient pour que le gouvernement maintienne ses engagements envers la Russie et seulement 42 pour cent contre.

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