Perspective

Le dépeçage de Detroit

Detroit, ancienne capitale mondiale de l’automobile, est arrivée au stade ultime d’une procédure de faillite qui fut, dès le départ, un complot des banques contre la population laborieuse de la ville. Les réquisitoires et les plaidoiries, formalité judiciaire devant précéder l’approbation par le juge d’un plan brutal de restructuration, débuteront la semaine prochaine devant le tribunal des faillites.

Ce soi-disant « Plan d’ajustement » videra de leur contenu les retraites et l’assurance santé de plus de 30.000 travailleurs et retraités de la ville, il approuvera le bradage des biens municipaux et fournira une feuille de vigne juridique à la coupure de l’eau et d’autres services vitaux pour des quartiers ouvriers tout entiers.

Environ 200 banquiers d’affaires venus des quatre coins des Etats-Unis s’étaient rassemblés la semaine passée au Center for Venture Capital and Private Equity Finance de l’Université du Michigan pour discuter des opportunités d’affaires que présentait le dépeçage de Detroit.

Parmi les principaux orateurs à la conférence de capital-investissement tenue à l’université, il y avait Kevyn Orr, le syndic de faillite du cabinet d’avocats Jones Day, qui fut installé il y a un an et demi comme ‘gestionnaire d’urgence’, non élu, afin de diriger ce qui était de fait une dictature des banquiers. A également pris la parole Kenneth Buckfire, l’ancien vice-président de Lehman Brothers et co-fondateur de la société d’investissement Miller Buckfire sise à New York.

Tous deux furent des acteurs-clés dans le complot qui a mis Detroit en faillite et a créé un précédent à l’échelle nationale, passant outre les constitutions des Etats (comme celle du Michigan) qui garantissent les retraites des travailleurs municipaux. Orr a versé à la firme de Buckfire 8 millions de dollars pour servir de « conseil » à la ville durant la faillite.

Après un souper somptueux, les riches investisseurs présents à la conférence furent invités à goûter un menu d’un autre genre. Orr et Buckfire leur dirent que la ville de Detroit était à prendre et qu’ils pouvaient se servir.

Dans la liste des opportunités lucratives présentée par les deux hommes il y avait les « faibles coûts d’achat de l’immobilier et des entreprises » ou encore « 44.000 parcelles de terrain » disponibles « pour être réaménagées. » La situation de la ville près des Grands Lacs permettait l’accès à de l’eau propre, cruciale pour les entreprises, vu que le Sud-Ouest de l’Amérique s’était asséché, a fait remarquer Buckfire.

Les perspectives « semblent être plus grandes que celles que j’ai constatées à Miami, New York et Washington DC, » s’est enthousiasmé Orr. Les deux hommes soulignèrent le récent accord conclu avec l’assureur d’obligations Finance Guaranty Insurance Co. (FGIC) de Wall Street pour rassurer tout investisseur hésitant.

Afin de régler une créance de FGCI, on lui octroya 161 millions de dollars en crédits et autres paiements, ainsi que 8,6 acres (environ 34.800 m2) de propriétés de premier choix au centre-ville, sur les rives de la rivière Detroit. La salle omnisport Joe Louis Arena qui appartient à la ville et se trouve sur ce terrain sera démolie aux frais du contribuable pour que FGCI puisse y construire des logements haut de gamme, un hôtel, un centre commercial et de congrès qui lui assureront des rentrées à hauteur de nombreux millions dans les prochaines années.

Le paiement fait à FGIC dépasse un marché précédent conclu avec l’assureur Syncora à qui on donna la moitié du tunnel autoroutier Detroit-Windsor, des millions en espèces et en crédits, en plus de plusieurs parkings appartenant à la ville. L’assureur d’obligations fut payé afin qu’il puisse couvrir les créances de grandes banques de Wall Street, impliquant ainsi la ville dans des mécanismes financiers catastrophiques qu’on a largement reconnus comme illégaux.

Après avoir créé à Detroit une catastrophe par le démantèlement de la base industrielle automobile de la ville tout en extorquant des milliards de dollars en cadeaux fiscaux, la mafia financière exploite cette crise qu’elle a elle-même produite pour jeter les travailleurs de la ville dans la pauvreté et pour s’enrichir encore plus.

En vertu du plan de restructuration, les dépenses consacrées aux services sociaux de la ville, longtemps négligés, seront limitées à 140 millions de dollar par an. Un comité de surveillance des opérations financières désigné par l’Etat aura le pouvoir de rejeter de nouveaux emprunts ou des dépenses « extravagantes », le tout au bénéfice des actionnaires de la ville. Les coupes profondes faites dans les retraites et la suppression des paiements de soins de santé aux travailleurs à la retraite de la ville, en plus du ‘dégraissage’ de la municipalité, garantira qu’une part plus grande des recettes de la ville atterrira dans les caisses de Wall Street.

Buckfire (qui possède des résidences valant plusieurs millions de dollars sur Park Avenue à New York et dans l’enclave des super riches à Greenwich, Connecticut) a dit lors de la conférence que les résidents de Detroit n’« avaient plus d’excuse » pour ne pas payer leurs factures. 

Ce pillage impudent donne un nouveau sens à l’expression « capitalisme-vautour ». Il illustre la cupidité et l’avarice de l’aristocratie financière et son mépris pour le bien-être de la grande majorité de la population américaine.

La faillite de Detroit jouit du plein appui de toutes les institutions de l’establishment politique – les tribunaux, les Démocrates et Républicains, le gouvernement Obama, les médias, les organisations de défense des « droits civiques » et les syndicats.

Loin de s’opposer aux assauts menés contre la classe ouvrière, le syndicat des ouvriers de l’automobile (United Auto Workers, UAW), le syndicat américain des fonctionnaires administratifs (American Federation of State, County and Municipal Employees, AFSCME) et les autres syndicats soutiennent la faillite. Tout ce qu’ils veulent est leur propre part du butin. 

Aux côtés des représentants de Blackstone et de Credit Suisse se trouvait aussi à cette conférence de capital-investissement de l’Université du Michigan, Brian Gimotty, un représentant du Fonds d’assurance médicale des retraités du syndicat UAW – un fonds d’investissement de 55 milliards de dollars pour les hommes d’affaires qui dirigent l’UAW.

Les événements se déroulant à Detroit confirment les avertissements lancés par le World Socialist Web Site. Le 23 juillet 2013 nous écrivions dans un article de Perspective « La faillite de Detroit »:

« Tout comme la Grèce est devenue le modèle des attaques contre les travailleurs dans toute l'Europe et au-delà, la faillite de Detroit – qui va bien au-delà même des mesures brutales appliquées en Grèce – va établir un mode opératoire pour la prochaine étape des attaques contre la classe ouvrière aux États-Unis et partout ailleurs. Ce qui est en jeu ce sont toutes les avancées obtenues sur plus d'un siècle par la classe ouvrière au prix de luttes et de sacrifices immenses et souvent sanglants. »

La seule force politique qui s’y oppose est le Parti de l’Egalité socialiste (Socialist Equality Party, SEP). Dans la lutte contre les organisations de la pseudo-gauche qui sont liées au Parti démocrate et aux syndicats, le SEP insiste pour que les travailleurs n’accordent aucune confiance au Tribunal des faillites ou à n’importe quelle autre institution de l’Etat capitaliste. Seul le SEP lutte pour la mobilisation indépendante de la classe ouvrière contre le complot de la Faillite.

La lutte pour la défense des droits sociaux les plus élémentaires des travailleurs et des jeunes requiert la construction d’un mouvement politique de masse de la classe ouvrière pour le renversement de l’ordre économique et politique capitaliste. Les banques et les principaux groupes doivent être retirés des mains de personnes privées et placés sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière. Les dettes dues aux parasites de Wall Street doivent être annulées et les fortunes obtenues par la fraude et l’attaque des emplois et du niveau de vie doivent être confisquées pour servir à la reconstruction de Detroit et des villes dans tout le pays.

(Article original paru le 23 octobre 2014)

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