Le Musée historique Allemand (Deutsches Historisches Museum-DHM) de Berlin présente actuellement une exposition sur les horreurs et les crimes de la Première Guerre mondiale. Dans le même bâtiment a eu lieu une réunion la semaine dernière, qui proclamait la nécessité de nouvelles guerres et de nouveaux crimes de guerre.
Dans sa contribution à la réunion, Jörg Baberowski, doyen de la faculté d'Histoire de l'Europe de l'Est de l'Université Humboldt à Berlin, a prononcé les remarques suivantes se référant aux guerres de l'Otan et des Etats-Unis menées contre des forces telles que les Talibans en Afghanistan et l'Etat Islamique (EI) en Irak et en Syrie: « Et si l'on ne veut pas prendre des otages, brûler des villages, pendre les gens et semer la peur et la terreur, comme le font les terroristes, si l'on n'est pas prêt à faire de telles choses, alors on ne pourra jamais gagner ce genre de conflit et il vaut mieux rester complètement en dehors. »
Baberowski ne rejette pas du tout la participation de l'Allemagne dans de telles guerres. La précondition qu’il demande est cependant qu'il faille aller jusqu'au bout: « Donc: Oui, bien sûr, l'Allemagne devrait jouer un tel rôle et il est important que l'Allemagne en accepte la responsabilité, surtout dans les conflits qui la touchent. Mais il faut prendre en considération (a) pour quel genre de guerre on est prêt, et (b) si l'on peut la gagner. Et si l’on ne peut pas la gagner, alors on devrait la laisser tomber. Voilà mon opinion sur la question ».
Un peu plus tard il a ajouté: « Dans le cas d'une institution comme EI, l'armée peut rapidement s'occuper des décapiteurs. Ce n'est pas un problème. C'est faisable. Mais alors la question se pose: si les structures étatiques ont été détruites par une longue guerre civile et qu’il ne reste rien, alors la question se pose: OK, et quoi maintenant? »
Il faut « être conscient du fait que cela va coûter beaucoup beaucoup d'argent et que vous êtes obligés d'envoyer des soldats et des armes dans un vide du pouvoir. Dans un premier lieu afin de séparer les antagonistes les uns des autres. Et surtout, et voici la chose primordiale... il vous faudra la volonté politique et la stratégie politique et surtout, vous devrez dire que pour que cela fonctionne, nous y irons. Et il faut que cela vaille le coup. Cela coûte de l'argent. Il nous faudra envoyer des troupes. Des pays comme l'Irak, la Syrie et la Libye ne sont plus capables de résoudre ce problème tout seuls. »
Baberowski a fait ces déclarations remarquables le premier octobre, au cours du débat de la cour Schlüter (du nom de la cour intérieure couverte du DHM). Sous le thème: l'Allemagne force d'intervention? un groupe de personnalités universitaires et politiques en vue ont discuté la demande exprimée voilà un an par le Président Gauck que l'Allemagne mette un terme à sa politique de la ‘retenue militaire’ datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Assis à côté de Baberowski sur le podium se trouvait Horst Telschil, qui a joué un rôle central dans la réunification de l'Allemagne en tant que chef de la vice chancellerie pour Helmut Kohl (chancelier de 1982 à1998) et président de la Conférence sur la Sécurité de Munich entre 1999 et 2008. Parmi les autres intervenants il y avait les historiens militaires Sönke Neitzel et Michael Wolffsohn
Peter Voss, l'un des journalistes politiques de télévision les plus en vue a présenté le débat. Il a sa propre émission-débat télévisée, Voss fragt (Voss questionne).
Aucun des participants au débat n'a exprimé la moindre gêne face aux déclarations de Baberowski, qui évoquaient graphiquement le souvenir terrible des plus atroces crimes de guerre commis par les Nazis. Avant le début de l'assaut allemand contre l'Union Soviétique dans la Seconde Guerre mondiale, Hitler avait demandé « d'abord la rapide élimination des dirigeants bolcheviques » et l'utilisation des « méthodes les plus brutales » pour gagner la guerre.
L'exigence de Baberowski d'agir avec plus de brutalité que l'ennemi, et de ne pas avoir peur de prendre des otages, de brûler des villages, de pendre des gens, d’envoyer des « escadrons de la mort » et de semer « la peur et la terreur » correspond précisément à la logique d'une guerre d'extermination.
Teltschik a appelé à la formulation de buts de guerre clairs et à ce que plus de soldats soient envoyés dans des missions: « J'ai dit au ministre de la Défense à l'époque, dites au peuple allemand pourquoi l'Afrique est si importante pour nous. Avons-nous des intérêts stratégiques en Afrique et si c'est le cas....expliquez alors aux Allemands l'importance stratégique de l'Afrique pour l'Europe et l'Occident, et alors vous pouvez dire que c'est pour cela que nous envoyons actuellement l'armée allemande au Congo et au Mali. »
D'une manière cynique et arrogante, il a alors fait appel au gouvernement pour qu’il fasse moins attention à l'opinion publique. Il ne devrait pas « seulement regarder les sondages » et déclarer: « Oh! 70 pour cent des gens s'opposent à ce que l'armée allemande aille ici ou là. Alors vous pouvez désarmer et rester chez vous. C'est la même chose avec chaque intervention militaire, la majorité des Allemands, pour des raisons émotionnelles compréhensibles, dira, 'Non, nous n'avons pas vocation à aller là-bas. Nous ne voulons pas le faire'. Au contraire, dans la politique il faut prendre des décisions. »
Voss a suggéré que la nouvelle politique interventionniste soit inscrite dans la loi et a proposé un changement de la constitution. « Mais on n'est pas obligés au fond de dire, d’une façon générale, que quand les droits humains sont en danger dans le monde il faut intervenir militairement, » a-t-il dit, « et la majorité serait de votre côté, alors nous changerons la constitution avec une majorité des deux tiers et organiserons ce débat, pour que même ceux qui sont très gênés par cela, changent de position et se joignent aux autres. »
Ce plaidoyer en faveur du militarisme, de la guerre et de la dictature par un podium de discussion en plein centre de Berlin doit être pris comme un avertissement sérieux et une sonnette d'alarme. Cent ans après le déclenchement de la Première Guerre mondiale et 75 ans après le début de la Seconde Guerre mondiale, des politiques, des historiens et des journalistes minimisent et dissimulent systématiquement les crimes historiques de l'impérialisme allemand afin de préparer le terrain pour de nouveaux crimes.
Baberowski joue un rôle central dans cette campagne. En février dernier il a déclaré dans Der Spiegel: « Hitler n'était pas un psychopathe, il n'était pas cruel ». Dans le même article, il a défendu l'historien d'extrême droite Ernest Nolte, tout en déclarant que Nolte était « traité injustement. Du point de vue historique, il avait raison ».
Que veut dire Baberowski par là? Le numéro actuel du magazine The European contient une contribution de Nolte dans laquelle il cherche ouvertement à réhabiliter Hitler et le national-socialisme. Sous le titre « Rompons le tabou », Nolte se plaint de ce qu'après la défaite de l'Allemagne, Hitler ait été transformé » de « libérateur en 'mal absolu' » et il conclut ainsi: « Nous sommes toujours entravés par cette vision unilatérale aujourd'hui. »
Si nous prenons ce débat comme une indication des projets de la classe dirigeante, alors cette « vision unilatérale » est en passe de changer.