Le premier ministre Manuel Valls a rencontré lundi à Berlin la chancelière Angela Merkel pour obtenir son approbation du budget français. C’était le premier déplacement à l’étranger de Valls depuis le remaniement ministériel du mois dernier, provoqué par le renvoi de deux ministres, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, qui avaient publiquement critiqué l’Allemagne et réclamé un changement de la politique économique française.
Merkel a accordé un soutien mitigé au gouvernement PS (Parti socialiste) profondément impopulaire de Valls. Elle a fait remarquer que, bien que les coupes sociales appliquées par la France soient certes « impressionnantes », la France devait aussi se conformer au traité de Maastricht. Tout en approuvant les 50 milliards d’euros de coupes sociales dans le cadre du pacte de responsabilité du gouvernement français, Berlin continue de faire pression pour que Paris réduise davantage encore son déficit budgétaire en passant de 4,4 à moins de 3 pour cent du produit intérieur brut (PIB) comme le stipule le traité de Maastricht.
Mardi, Valls est intervenu devant les membres de la puissante fédération allemande de l’Industrie (BDI). Il a commencé son discours en allemand par les mots : « J’aime les entreprises » (Ich mag die Unternehmen!), sous les applaudissements des industriels rassemblés.
Valls a poursuivi, « si l’Allemagne a su faire des réformes avec succès, pourquoi la France ne pourrait-elle pas aussi réussir ? Bien sûr, il faut du temps. Mais, quand la volonté existe, quand les orientations sont claires, quand l’ensemble du pays est mobilisé, alors il n’y a pas de raison pour que les choses n’avancent pas. » Il a ensuite détaillé le programme des coupes sociales de Paris dont une grande partie est calquée sur les réformes de Hartz IV qui furent imposées il y a dix ans à la classe ouvrière allemande par le gouvernement social-démocrate du chancelier Gerhard Schroeder.
La flagornerie de Valls devant les intérêts des industriels allemands est un signe de plus montrant que le PS est un défenseur éhonté de l’austérité et du capitalisme de marché. Cela fait suite à une déclaration similaire faite lors d’une récente allocution devant le Mouvement des entreprises de France (Medef) où il promettait de défaire toutes les lois en matière de protection des emplois et des conditions de travail des travailleurs et de réduire drastiquement les cotisations sociales des employeurs français aux régimes sociaux.
Malgré la tentative de Valls et de Merkel de couvrir l’impact social dévastateur de leur politique et l’aggravation des tensions entre la France et l’Allemagne, pays qui se sont affrontés dans deux guerres mondiales, la faillite du capitalisme européen s'invite de plus en plus sur le devant de la scène.
Les travailleurs et les jeunes ont déjà pu voir comment l’austérité et les renflouements bancaires ont appauvri la classe ouvrière des pays européens, tels la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne tout en augmentant l’endettement de ces pays. Et pourtant, Berlin et Paris poursuivent tous deux leur politique, sapant ce faisant l’axe franco-allemand qui historiquement forme la base de l’Union européenne (UE).
En France, le Front national (FN) néofasciste ne cesse de gagner du terrain sur un programme prônant la sortie de la France de l’UE et de l’euro. Même au sein de l’UMP (Union pour un Mouvement populaire), parti de droite, des signes croissants de tension avec l’Allemagne se font jour.
L’ancien président Nicolas Sarkozy qui en 2010, dans un contexte de violents conflits sur le renflouement de la crise de l’endettement grec, avait menacé Merkel de vouloir sortir la France de l’euro, s’est montré peu enthousiaste à propos des relations franco-allemandes dans son interview de retour en politique de la semaine passée. Il a dit que l’Allemagne et la France étaient la première et la deuxième économie d’Europe et qu’« à nous deux [Allemagne et France], nous pesons cinquante pour cent du PIB de la richesse de la zone euro. L’Allemagne n’est pas un choix, c’est un fait. »
La politique d’austérité du gouvernement Valls conduit à une explosion sociale au sein de la classe ouvrière et chez les jeunes. Les principaux quotidiens bourgeois comme Le Figaro et Libération décrivent la situation du gouvernement Valls comme une « crise de régime. »
Cette situation en France et la crainte que toute attaque ouverte ne vienne renforcer davantage les gains électoraux du FN ont empêché Merkel de critiquer ouvertement Valls durant sa visite. Mais elle aussi est exposée à la pression venant de l’intérieur de l’Allemagne de ne rien concéder à la France en ce qui concerne la réduction de ses dettes ou le ralentissement du rythme de la politique d’austérité dévastatrice.
Au sein même de l’Allemagne, l’hostilité envers l’UE et l’état actuel des relations franco-allemandes est également en train de s'intensifier. Un nouveau parti vient d’apparaître en Allemagne, l’Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland, AfD), dont l’une des principales exigences, tout à l’image du FN, est l’éclatement de l’euro. Dans la région de Thuringe, dans l’Est de l’Allemagne, l’AfD a obtenu dernièrement 10,6 pour cent des voix et 12,2 pour cent dans le Land de Brandebourg qui entoure Berlin.
Dans une rubrique intitulée « La visite de la vallée des larmes, » Stefan Kornelius, commentateur du journal libéral allemand Süddeutsche Zeitung, dit à Valls d’être un meilleur « psychologue » et de plaider avec plus de vigueur pour que la population française adopte l’austérité. Il se plaint de ce que « Le pays est tellement râleur qu’il [Valls] n’ose même pas s’attribuer le mérite des petits succès de sa politique, l’historique réforme territoriale et l’assouplissement de la loi sur les 35 heures. » Il a reproché à Valls de n’avoir soi-disant pas franchement promu l’austérité, une décision qu’il a qualifiée de « bizarre. »
Mais les mesures d’austérité et les guerres impérialistes menées par la France, l’Allemagne et l’ensemble des puissances de l’OTAN ont surtout porté les tensions existant entre l’impérialisme français et allemand au point d’ébullition.
A part son soutien à l’imposition de mesures d’austérité brutales partout en Europe méridionale, la principale réaction stratégique de l’impérialisme français à la crise de l’endettement grec a été le lancement d’une série de guerres. Sarkozy en premier, puis Hollande ont lancé des guerres, en Libye, en Côte d’Ivoire et en Syrie sous Sarkozy, puis au Mali, en République centrafricaine, et actuellement en Irak sous Hollande, dans le but de consolider la position de l’impérialisme français par rapport à l’Allemagne et, sur le plan intérieur, pour détourner l’opposition à l’égard de la politique d’austérité.
En Allemagne, Merkel et l’establishment politique allemand sont en train de s’orienter vers une politique similaire en menant une guerre par procuration contre la Russie au sujet de l’Ukraine et en décidant de remilitariser la politique étrangère. Des sections des médias allemands cherchent à briser des « tabous » et à réhabiliter politiquement le dictateur nazi Adolf Hitler. (Voir : « An attempt to rehabilitate Hitler », en anglais.)
Paris et Berlin ont, bien sûr, demandé et largement obtenu l'un de l'autre une approbation publique et même un soutien pour ces guerres de pillage. Cependant, au fur et à mesure que les guerres se propagent et que la quantité de butin à se partager entre la France, l’Allemagne et les autres puissances de l’OTAN s’accroît, les tensions militaires entre eux reviennent sur le devant de la scène. En dépit des slogans creux émis par Valls et Merkel, ces derniers s’affrontent de plus en plus, chacun pour défendre ses propres intérêts impérialistes hostiles.
(Article original paru le 25 septembre 2014)