La grève des pilotes d'Air France s'est durcie hier, malgré l'annonce mercredi soir par Air France du retrait immédiat de son projet pour une nouvelle filiale low cost, Transavia-Europe, sous la pression du gouvernement. Selon Air France, près de six vols sur dix étaient annulés.
Les pilotes s'étaient résolument opposés à la création de la filiale Transavia-Europe au Portugal, qui aurait provoqué des délocalisations d'emplois et cassé la caisse de retraites des pilotes.
Une fois le retrait annoncé, la direction et le gouvernement ont appelé les pilotes à une « reprise immédiate » du travail. Les pilotes sont restés en grève, comprenant que le retrait du projet Transavia Europe n'est qu'une tactique pour remettre à un moment plus propice les attaques contre les travailleurs d'Air France.
Selon un bulletin de grève publié par le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) mercredi soir, « A cette heure, devant l'absence de garanties contre les menaces qui pèsent sur les contrats de travail français, ainsi que sur l'avenir de Transavia France, le SNPL Air France confirme que le mouvement de grève continue ... La mobilisation est toujours aussi forte, avec près de 80 pour cent de grévistes ce jour et un taux prévu encore supérieur demain jeudi. C’est maintenant que tout se joue et qu’il faut maintenir la pression ».
Le fait que le pouvoir ait dû faire retirer le projet de Transavia Europe signale une crise politique majeure en France. Le gouvernement PS, profondément impopulaire du fait de l'austérité brutale qu'il mène contre les travailleurs, s'est senti obligé de lâcher du lest devant le premier mouvement d'ampleur des salariés contre sa politique de régression sociale.
Selon Le Monde, « Au gouvernement, on craint par ailleurs que l'opinion ne se retourne. Au départ, le conflit des pilotes était considéré comme une grève de nantis, un mouvement corporatiste. »
Dans les bureaucraties syndicales tout comme au PS, on craint un mouvement qui pourrait embraser les aéroports, stopper tout trafic aérien en France, et signer le début d'une lutte ouverte entre le prolétariat et le gouvernement réactionnaire du président François Hollande.
Les principales confédérations syndicales continuent à isoler la grève des pilotes, qu'ils ont tout fait pour salir auprès de l'opinion publique. Force Ouvrière (FO) avait considéré que la grève « pourrait mettre en péril les emplois de l'entreprise» et clamé que la grève sapait les efforts réalisés par les diverses restructurations imposées aux salariés d'Air France.
La CGT stalinienne, très implantée parmi les salariés au sol, dont beaucoup sont mal payés et ont vu leurs conditions de travail empirer, avait déclaré qu'elle «ne condamne pas ce mouvement de grève sans pour autant soutenir le contenu ultracorporatiste de ses revendications».
A présent, la CGT s'est vue obligée de signer un communiqué aux côtés de l'Unac, de l'Unsa et du SNPNC-FO, les trois premiers syndicats d'hôtesses et stewards, et SUD-aérien, demandant «le retrait sans condition du projet Transavia Europe, synonyme de délocalisation de nos emplois». La CGT n'appelle toujours pas ces travailleurs à la grève, continuant ainsi à isoler les pilotes.
La méfiance des pilotes à l'égard des promesses de la direction et des bureaucraties syndicales est bien fondée. L'Etat et la direction d'Air France indiquent clairement qu'Air France compte mener bientôt un autre assaut contre les retraites et les salaires des pilotes, en créant une autre filiale low cost basée dans un pays à bas coûts.
Hier matin, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a déclaré sur Radio Classique : « Il faut que cette grèves'arrête maintenant ... Là, on est bloqué sur un projet qui, stratégiquement, est important pour l'entreprise : il faut trouver les voies et les moyens qu'Air France puisse avoir ce prolongement de son activité sur les vols low cost ».
Selon Le Monde, Air France pourrait également acheter une autre compagnie aérienne low cost, « comme l'a fait par exemple British Airways en achetant Vueling ... Air France aurait notamment des vues sur la low cost Wizzair, d'origine polono-hongroise. "Wizzair reste une option", fait-on savoir chez Air France. »
La lutte des pilotes contre cette perspective de délocalisation et de surexploitation du travail est le premier mouvement d'ampleur des travailleurs sous le gouvernement détesté de Hollande, qui est actuellement à 13 pour cent dans les sondages. C'est cette faiblesse politique du gouvernement, et la crainte d'un mouvement plus large, qui a poussé le PS à insister sur le retrait temporaire des projets low cost d'Air France.
Hollande n'a pu continuer ses autres attaques sociales si longtemps que du fait du rôle réactionnaire des bureaucraties syndicales et des partis de pseudo-gauche, tels le Nouveau parti anticapitaliste. Ils ont tout fait pour étouffer l'opposition ouvrière à Hollande, qu'ils ont soutenu aux élections de 2012.
Objectivement, les pilotes se sont engagés dans une lutte politique contre Hollande et le programme d'austérité mené par toute l'Union européenne. Cette lutte est d'une importance capitale pour toute la classe ouvrière. Elle ne peut être menée que sur une perspective politique de mobilisation de la classe ouvrière contre le capitalisme européen, où les travailleurs prennent leur lutte en main et ne la laissent pas à la bureaucratie syndicale et à leurs alliés de la pseudo-gauche.
Le SNPL lui-même se plaignait au début de la grève qu'il aurait préféré obtenir un accord avec le PDG d'Air France-KLM, Alexandre de Juniac, et que ce dernier avait été maladroit en présentant sa stratégie pour attaquer les pilotes. « S'il avait joué cartes sur table, tout se serait mieux passé, mais nous apprenons bribe par bribe ses projets sur le low cost en Europe. Il a tenté de passer en force », a fait savoir un représentant du syndicat.
Le gouvernement s'est également montré critique de la manière dont le PDG d'Air France a géré le conflit avec les pilotes. Dans un entretien au Monde, lundi, de Juniac avait, d'un côté, annoncé la suspension jusqu'à la fin de l'année de Transavia Europe. Mais de l'autre, il avait menacé de dénoncer l'accord signé avec les pilotes pour encadrer la création de Transavia France en 2007, si les navigants n'acceptaient pas de porter de 14 à 37 avions la flotte de la filiale à bas coût.
Le Parisien rapporte que les pilotes étaient « ulcérés par la mise en garde [du PDG d'Air-France] d'Alexandre de Juniac, qui a prévenu qu'en cas de refus de syndicats, il serait 'contraint de dénoncer l'accord de création de Transavia France', qui limite la flotte de la low cost et encadre le détachement des pilotes volontaires d'Air France (avec l'octroi de primes). »
Le gouvernement, tout comme la bureaucratie syndicale, a jugé extrêmement maladroite cette double utilisation du bâton et de la carotte qui a forcé la direction du SNPL à revendiquer le retrait pur et simple du projet Transavia Europe pour maintenir son contrôle de la grève.