La grève des pilotes d’Air France contre la délocalisation des emplois s’est poursuivie hier malgré les tentatives de la direction et du gouvernement français de mettre un terme à la grève.
Plus de 58 pour cent des pilotes font grève, et seuls 48 pour cent des vols sont assurés. La participation à la grève aurait été particulièrement suivie dans les aéroports du Sud de la France. Le SNPL (Syndicat national des pilotes de ligne) et le SPAF (Syndicat des pilotes d’Air France) se sont engagés à reconduire la grève jusqu’au 30 septembre tout en se réservant le droit de poursuivre au-delà de cette date.
La grève a donné lieu hier soir à une attaque publique hors du commun de la part du premier ministre Manuel Valls. Valls s’en est pris aux pilotes grévistes, les accusant d’être « égoïstes » et a qualifié leur revendication en faveur d’un contrat de travail unique dans toutes les filiales de la compagnie de « contraire » aux conditions de développement du low cost, c’est-à-dire contraire aux projets d’Air France et du gouvernement PS d’imposer aux pilotes des réductions de salaire drastiques.
« Nous avons laissé le dialogue s’instaurer et se poursuivre dans des conditions difficiles, » a ajouté Valls. « Mais nous le disons très clairement, une nouvelle fois, cette grève doit s’arrêter. »
Les commentaires de Valls sont un avertissement que le Parti socialiste (PS) au pouvoir en France est de plus en plus désespéré face à la sympathie grandissante que la grève rencontre dans l’opinion publique. En coulisses, le gouvernement est en train d’envisager des mesures agressives pour obliger les pilotes à reprendre le travail.
Cela fait maintenant deux jours que le gouvernement Valls fait pression sur Air France-KLM pour que soit remisé le projet de créer une filiale low cost, Transavia Europe. L’intention de la compagnie était d’établir cette filiale dans un pays, tel le Portugal, où des salaires bas et un code du travail faible permettraient de recruter des pilotes sous-payés ainsi que d’autres personnels qui auraient aussi des durées de travail plus longues et des protections sociales moindres. Les pilotes d’Air France craignent, à juste titre, que les emplois soient alors transférés en masse vers la main-d’œuvre plus fortement exploitée de Transavia Europe.
Les pilotes poursuivent leur grève parce qu’ils redoutent maintenant qu’un danger similaire ne provienne d’une filiale low cost qui existe déjà, Transavia France, après que le PDG d’Air France, Alexandre de Juniac, a menacé de mettre au rebut des accords régissant le travail des pilotes d’Air France chez Transavia France. Les travailleurs y perçoivent des salaires plus bas et les pilotes touchent jusqu'à présent une prime d’Air France lorsqu'ils travaillent pour Transavia France afin de compenser la différence. Cependant, les menaces de Valls et de Juniac ont clairement montré que leur but ultime est d’imposer aux pilotes une réduction de salaire significative.
L’attaque contre les pilotes d’Air France fait partie d’une offensive menée à travers toute l’Europe pour imposer des compagnies low cost et des emplois à bas salaires comme modèle prédominant dans le transport aérien. Les compagnies aériennes américaines ont imposé à leurs salariés, au cours de ces trente dernières années, un modèle similaire en ayant recours à la dérèglementation, aux fusions et aux faillites d’entreprises dans le but de faire baisser les salaires et les retraites.
Cette attaque contre la classe ouvrière est poursuivie impitoyablement partout en Europe, notamment en France où les activités low cost sont, pour le moment, moins répandues que dans d’autres pays européens. En Grande-Bretagne, un petit transporteur, la société Monarch Airlines, vient d’imposer une diminution de salaire de 30 pour cent à tous les membres du personnel et a licencié 900 employés.
Lufthansa, la plus grosse compagnie aérienne européenne, exige que 5.400 pilotes renoncent à leur droit à la retraite anticipée en relevant l’âge de départ à la retraite anticipée de 55 à 60 ans. Lufthansa jouit de la duplicité du syndicat allemand de pilotes Cockpit, qui avait déjà accepté en 2010 une réduction de 20 pour cent des coûts sur le court-courrier et qui est actuellement en train de limiter la lutte des pilotes sur la question de la retraite à des grèves de courte durée.
L’incapacité d’Air France et du gouvernement PS à imposer immédiatement aux pilotes l'opération Transavia-Europe a provoqué une crise politique considérable. Une énorme colère est en train de gronder parmi les travailleurs et les jeunes contre la politique d’austérité sans fin appliquée par le président François Hollande qui, en début d’année, a mis Valls au poste de premier ministre. Hollande, le président le plus impopulaire de l’histoire de la France, avec seulement 13 pour cent d’opinions favorables, est largement considéré avec colère et mépris.
L’élite dirigeante et le gouvernement craignent que tout mouvement, telle la grève des pilotes, puisse provoquer un mouvement de masse contre le programme d’austérité du PS. C’est la raison pour laquelle Valls exhorte Air France à faire des concessions aux pilotes dans l’espoir d’arrêter la grève avant d’attirer d’autres couches de travailleurs dans une lutte qui serait susceptible de rapidement faire chuter le gouvernement.
Tout en s’efforçant de mettre fin à la grève, Air France et Valls recherchent tout de même le moyen d’imposer des coupes aux travailleurs d’Air France afin de mettre ainsi leurs conditions aux normes de celles des autres compagnies low cost européennes, soit en les contraignant à travailler pour des bas salaires chez Transavia France, soit en rachetant une autre compagnie low cost tel Wizzair. Juniac espère rompre les négociations et mettre fin à la grève sans consentir aux revendications des pilotes en faveur d'un contrat de travail unique pour l’ensemble du groupe Air France-KLM.
Dans leur lutte pour la défense des conditions de travail, les pilotes d’Air France sont confrontés à une lutte politique contre le programme d’austérité du PS et de l’ensemble de l’Union européenne (UE), et plus particulièrement contre les serviteurs de ces derniers au sein de la bureaucratie syndicale qui ont totalement isolé la grève.
Tout comme dans les autres pays européens, Air France-KLM se sert des syndicats pour imposer ses attaques contre les travailleurs. Les syndicats représentant d'autres sections de salariés, comme le personnel de cabine et le personnel au sol, arrivent en tête dans les efforts entrepris par les médias pour dénoncer la grève.
C’est ainsi que Béatrice Lestic, secrétaire générale du syndicat CFDT (Confédération française démocratique du travail) d’Air France, s’est plainte : « Plus la grève dure, plus la facture s’alourdit, et tous les salariés vont devoir la payer. On a fait deux ans d’efforts et tout est balayé en dix jours. »
Cette diatribe réactionnaire est caractéristique de la perspective des crapules patronales anti-ouvrières qui peuplent les bureaucraties syndicales en France. La principale préoccupation de Lestic est que toute tentative des travailleurs visant à défendre leurs conditions de travail ne vienne contrecarrer les bénéfices qu’elle a obtenus pour Air France en imposant des attaques contre les travailleurs que la CFDT prétend faussement représenter.
Lestic a aidé à négocier une réduction de 15 pour cent du personnel d’Air France, principalement du personnel de cabine et du personnel au sol ; une augmentation des jours travaillés ; et d’autres hausses de productivité lors des précédentes séries de réduction des coûts chez Air France, baptisées plan « Transform 2015. »
(Article original paru le 27 septembre 2014)