Un document extraordinaire publié le 31 juillet sur les préparatifs militaires américains demande au Pentagone de se préparer à mener en même temps pas moins d'une demi douzaine de guerres, dont des guerres où l'adversaire dispose d'armes nucléaires.
Ce document intitulé “Ensuring a Strong Defense for the Future,” (Assurer une défense forte pour l'avenir) a été rédigé par le National Defense Panel, un groupe d'anciens haut responsables militaires et civils, chargés par le Congrès de fournir un examen critique du document officiel de préparatifs du Pentagone publié en début d'année, le Quadrennial Defense Review 2014.
Le National Defense Panel est dirigé conjointement par William Perry, ministre de la Défense du gouvernement Clinton et le général John Abizaid, ancien chef du commandement central américain. Parmi ses membres on compte quatre autres généraux à la retraite, ainsi que Michèle Flournoy, ancienne ministre adjoint à la Défense sous Obama et Eric Edelman, néoconservateur en vue et sous-secrétaire à la Défense dans le gouvernement de George W. Bush.
Ce groupe est donc bipartite et représente l'ensemble du spectre de l'élite responsable de la sécurité dans le Washington officiel. Son rapport est sorti sous les auspices d'une agence financée au niveau fédéral et qui se consacre à l'étude de la guerre et dont le nom, dans la plus pure logique orwellienne, est l' US Institute of Peace (l'Institut américain pour la Paix.)
Ce document met en garde contre les dangers confrontant les Etats-Unis, avec en premier lieu le pouvoir grandissant de la Chine et de la Russie, suivi par la Corée du Nord, l'Iran, l'Irak, la Syrie, l'ensemble du Moyen-Orient, puis l'Afrique. La Chine et la Russie sont ainsi placées en haut de la liste des cibles potentielles pour une action militaire américaine, devant les trois pays choisis par George W. Bush dans son fameux discours de 2002 sur « l'Axe du mal. »
Ce document fait remarquer que depuis les deux dernières décennies, depuis l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, la doctrine de défense des Etats-Unis exige qu'il soit possible de mener de front deux guerres majeures. Puis il exige que l'on procède à un changement radical dans cette doctrine:
« Etant donné que le climat de menace empire, nous estimons qu'une structure plus expansive des forces militaires, une qui soit différente de celle permettant de mener de front deux guerres, mais tout aussi puissante, est appropriée. »
Un peu plus loin des précisions sont apportées:
« Nous estimons … que la capacité à mener une guerre mondiale est la condition sine qua non d'une superpuissance et donc une condition essentielle à la crédibilité de la stratégie de sécurité nationale globale des Etats-Unis. Dans le climat actuel de menace, il serait possible que l'on fasse appel aux Etats-Unis pour dissuader ou combattre dans plusieurs régions durant des périodes qui se recoupent: sur la péninsule coréenne, en Mer de Chine orientale ou du Sud, au Moyen-Orient, en Asie du Sud et très probablement en Europe. Les Etats-Unis sont aussi confrontés à la perspective de combattre des adversaires disposant de l'arme nucléaire. De plus, la propagation d'Al Qaïda et de ses dérivés dans de nouvelles régions en Afrique et au Moyen-Orient signifie que l'armée américaine doit être capable de supporter des opérations de contre-terrorisme et de défendre la patrie américaine même lorsqu'elle est engagée dans des conflits régionaux à l'étranger. [caractères gras ajoutés]
Cette liste suggère que les Etats-Unis doivent se préparer à combattre cinq ou six guerres majeures simultanément. Ce n'est rien de moins que d'exiger que l'impérialisme américain commence à se préparer à mener une guerre mondiale qui menacerait d'extinction l'humanité entière.
Présenter la Chine et la Russie comme des cibles probables de l'action militaire américaine a des implications des plus sinistres, étant donné que ces deux pays disposent des deuxième et troisième plus importants arsenaux nucléaires de la planète, derrière les Etats-Unis.
Le rapport soutient la position du gouvernement Obama de « ré-équilibrage » des forces militaires américaines afin de confronter la Chine, décrivant cette initiative stratégique comme étant un effort visant à réaffirmer « la primauté de la région Asie-Pacifique parmi les intérêts sécuritaires des Etats-Unis. »
Quant à la probabilité qu'une telle guerre éclate, il faut faire remarquer que le National Defense Panel discute des détonateurs possibles pour une conflagration majeure, notamment en Extrême-Orient. Le langage est peut-être truffé de jargon mais il n'empêche que la perspective fait froid dans le dos.
« La prolifération de systèmes ne nécessitant pas de pilote et qui sont de plus en plus autonomes en Asie-Pacifique ainsi qu'au Moyen-Orient, par exemple, aura un impact préjudiciable sur la capacité à maintenir la stabilité lors d'une crise ou à gérer l'escalade si un conflit survenait. Ces systèmes, combinés à la prolifération d'armes offensives et défensives dans le cyberespace et l'espace lui-même, affecteront grandement la relation entre la capacité militaire offensive et défensive dans les régions clé, augmentant le risque qu'une crise ne se transforme rapidement en un conflit avant que les décideurs politiques et les commandants militaires n'aient le temps nécessaire pour réagir. »
Pour dire les choses simplement, une guerre majeure peut être déclenchée par l'interaction d'armes fixées sur des drones et de systèmes de riposte automatisés des deux côtés, sans même qu'il y ait d'intervention humaine.
Le rapport ne met pas ouvertement en question la professionnalisation de l'armée, mais se concentre sur son coût en augmentation et exige « des réformes des salaires et des prestations sociales qui soient significatives et permettent de réduire le coût » afin de le rendre plus abordable. La logique des pressions conjointes de l'augmentation des coûts et de l'expansion des déploiements militaires est cependant inexorable: cela veut dire que tôt ou tard, et cela viendra plus tôt qu'on ne le croit, la classe dirigeante américaine devra opter pour une forme de conscription qui aille encore plus loin que la conscription économique actuelle où les couches les plus pauvres de la classe ouvrière s'engagent dans l'armée de « volontaires » de façon disproportionnée.
Le rapport sur la défense exprime l'inquiétude de voir les préparatif de guerre du Pentagone être affectés par les contraintes financières sur l'impérialisme américain, notamment les limitations auto-imposées comme le blocage budgétaire (« sequester ») de certaines dépenses militaires choisies et imposées conformément à la Budget Control Act (loi de contrôle du budget) de 2011.
Les auteurs déplorent à maintes reprises les limites imposées sur les dépenses militaires des Etats-Unis du fait du fardeau des programmes sociaux dans le pays, en attirant l'attention sur « l'énorme fossé grandissant entre le montant collecté pour soutenir les programmes sociaux, notamment la sécurité sociale et les principaux programmes de santé, et l'argent dépensé pour ces programmes. »
Ils déclarent, « Les Etats-Unis doivent mettre de l'ordre dans leur fiscalité tout en finançant simultanément et de façon robuste les dépenses militaires. Une maîtrise agressive du coût des soins de santé doit certainement être poursuivie à la fois au sein du Département militaire [c'est à dire pour les soldats et leur famille] et plus largement dans tous les programmes du gouvernement. »
Il faut le répéter: Il s'agit d'un rapport bipartite. Démocrates et Républicains, libéraux et conservateurs ont approuvé les exigences exprimées dans ce rapport de réduire drastiquement les programmes sociaux dont dépendent les travailleurs afin de s'assurer que des milliers de milliards soient disponibles pour les déverser dans la gueule insatiable de la machine de guerre américaine.
Le caractère bipartite de ce document atteste de l'unité de toutes les sections de la classe dirigeante américaine sur le recours à une violence sans précédent pour sauvegarder sa richesse et sa domination sur de vastes régions du monde. Cela confirme que la lutte contre la guerre impérialiste ne peut être menée que par la classe ouvrière qui se libère du système politique existant au Etats-Unis et qui construise un mouvement politique de masse indépendant, fondé sur un programme socialiste révolutionnaire et internationaliste.
(Article original paru le 6 août 2014)