Le 30 mai, au moins deux personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées par des forces de maintien de la paix à Bangui, la capitale de la République centrafricaine dans un contexte de montée de la violence sectaire, attisée par l'intervention des États-Unis et de la France dans le pays.
Des milliers de personnes ont manifesté ce jour-là pour demander la démission de la présidente par intérim Catherine Samba-Panza et le retrait des forces de maintien de paix de l'Union africaine qui opèrent dans le pays sous le contrôle des États-Unis et de la France. Des manifestants ont brûlé des pneus et monté des barricades dans les principales artères de la capitale Bangui, dénonçant une intervention étrangère qui n'a pas fait cesser la violence sectaire qui dure depuis un an.
La mission de maintien de la paix de l'Union africaine (MISCA) a accusé les manifestants d'avoir tiré sur les soldats. Le porte-parole de la MISCA, Francis Che, a déclaré : « il y avait des manifestants armés et ils ont attaqué la base des Burundais. Les Burundais ont répondu par des tirs à balles réelles et il y a eu deux morts et deux blessés parmi les assaillants. »
Cependant, les manifestants ont dénoncé cette affirmation, disant qu'ils n'étaient pas armés et qu'ils étaient venus pour négocier avec le chef de la mission de l'ONU à Bangui. Ils se sont rassemblés devant le quartier général, qui est proche de la base des Burundais, vendredi 30 mai au matin, demandant le retrait des troupes du Burundi, qu'ils accusent de favoriser les Musulmans.
Eric Sako, un homme d'affaires, a déclaré à Reuters TV : « Nous nous sommes rassemblés ici ce matin, avec des femmes et des enfants et sans armes, et les Burundais ont tué cinq personnes […] nous étions dans les bureaux de l'ONU tentant d'expliquer les choses, et ils ont ouverts le feu sur nous. »
Le meurtre des manifestants intervient après une escalade de la violence sectaire entre Musulmans et Chrétiens qui a entraîné la mort de plus d'une dizaine de gens à Bangui cette semaine. Mercredi, des insurgés musulmans de la milice de la Seleka ont lancé un raid contre l'Église Notre-Dame de Fatima à Bangui, où 6.000 personnes s'étaient réfugiées. Ils en ont tué au moins onze, dont le prêtre, avec des grenades et des tirs de mitrailleuse, et en ont enlevé d’autres. Il y eut aussi des dizaines de blessés.
Katie Harrison, une responsable de l'organisation caritative britannique Tearfund qui a visité l'église après l'attaque, a déclaré : « Il y a eu des fusillades horribles et un cerain nombre de personnes sont mortes […] Nous attendons toujours des nouvelles des autres gens que nous aidions. Nous ne savons pas ce qui leur est arrivé. »
L'attaque de cette église faisait suite à des violences ayant eu lieu dans la capitale au début de la semaine dernière, et au cours desquelles trois jeunes musulmans ont été tués brutalement. Les soupçons se portent sur les milices chrétiennes anti-balaka qui se rendaient à un match de football inter-communautaire de réconciliation.
Après l'attaque de l'église, les milices anti-balaka ont attaqué une mosquée dans le quartier de Lakouanga à Bangui. Un porte-parole de la communauté musulmane de Bangui, Ousmane Abakar, a déclaré à l'Associated Press : « Durant six mois, nous avons été les victimes de la violence et de la destruction de nos mosquées. »
Samba-Panza, qui a pris le pouvoir avec le soutien américain et français en janvier pour tenter d’endiguer la violence sectaire, a accusé les groupes armés de tenter de déstabiliser son gouvernement. Elle a dit, « la haine intercommunautaire est exploitée sans honte par les ennemis de la paix qui veulent l'arrivée d'un autre gouvernement de transition et qui ne s'épargnent aucun effort pour saper les actions des autorités transitoires actuelles en vue de réconcilier Chrétiens et Musulmans. »
En fait, la responsabilité de la violence sectaire en Centrafrique ne vient pas de l'opposition populaire à l'intervention américano-française, mais de l'intervention elle-même. Avec le soutien des États-Unis, la France a soutenu la Seleka musulmane pour tenter de faire tomber le président François Bozizé, de s'emparer du pays, et de faire reculer l'influence économique grandissante de la Chine en Centrafrique, y compris dans l'industrie pétrolière.
Déclarant son intention de mettre fin à la crise humanitaire en Centrafrique, le gouvernement du président français François Hollande (Parti socialiste) a lancé une intervention militaire en décembre dernier, déployant 2.000 soldats français soutenus par 6.000 africains. La tentative d'utiliser une milice musulmane pour diriger cette ancienne colonie française religieusement divisée, y compris la capitale Bangui à majorité chrétienne, a cependant vite entraîné une explosion de violence sectaire.
Les puissances impérialistes ont en fin de compte décidé de soutenir un retrait du chef d'état
installé par la Seleka, le président Michel Djotodia devant l’aggravation des violences, et de le remplacer par un prétendu régime « de transition » dirigé par Samba-Panza.
Sous le prétexte cynique de missions humanitaires, Paris a, depuis sa collaboration avec les États-Unis pour attaquer la Libye en 2011, lancé des guerres pour redessiner les frontières africaines et recoloniser le continent. Washington développe également sa présence militaire, dont le déploiement de forces spéciales pour entraîner des unités en Afrique du nord et de l'ouest.
La Centrafrique se trouve au centre d’une suite d'interventions impérialistes, de guerres civiles et de conflits ethnico-religieux prenant de l’ampleur en Afrique du nord et en Afrique centrale – depuis la Libye, le Niger et le Mali jusqu'au Nigeria, la Centrafrique et le Sud Soudan. Actuellement, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne coordonnent étroitement une intervention militaire au Nigeria, pays riche en pétrole, contre les militants islamistes du groupe Boko Haram.
Le résultat de l’ intervention fut un désastre pour la population centrafricaine. Depuis que Paris a soutenu le coup d'état, les violations des droits de l'Homme et les heurts ont fait que 2,2 millions de personnes sur les 4,5 millions d'habitants du pays ont besoin d'une aide humanitaire.
D'après le Haut commissariat de l'ONU aux réfugiés, « plus de 400 000 personnes seraient des réfugiés internes au pays, contre 94 000 au début de 2012. 65 000 personnes ont fui le pays vers la République démocratique du Congo, la République du Congo, le Tchad et le Cameroun, faisant monter le total des réfugiés venant de Centrafrique à près de 220 000. »
(Article original paru le 31 mai 2014)