Un tribunal militaire d’urgence a prononcé des condamnations à mort pour 683 accusés – des membres et des partisans présumés des Frères musulmans (FM) – au bout d’un procès qui n’a duré que cinq minutes et durant lequel ne juge ne permit pas que le moindre mot soit prononcé ou le moindre élément de preuve apporté à la défense des hommes condamnés, et dont la plupart n’étaient même pas présents au procès.
Le procès de masse et son verdict et ses sentences fixés d’avance font suite à un identique simulacre de justice qui eut lieu le mois dernier et durant lequel 529 personnes furent condamnées à mort par le même juge, Saed Youssef. Lors d’une décision distincte rendue lundi, Youssef a confirmé 37 de ces condamnations à mort et a commué toutes les autres en prison à vie.
A l’extérieur du tribunal lourdement gardé dans la ville de Minya, à environ 200 kilomètres au Sud du Caire, les proches des accusés en pleurs hurlaient leur indignation à l’égard de la junte dirigeante et de son dirigeant de fait, l’ancien patron des services de renseignement militaire sous Moubarak, le général Abdel Fattah al Sissi.
Les accusations portées contre 1.200 prévenus – tous risquant soit la potence soit la prison à perpétuité dans les prisons égyptiennes connues pour leur brutalité – découlent de la mort d’un seul policier durant les protestations organisées par les Frères musulmans contre le coup d’Etat militaire qui a renversé le président élu d’Egypte et membre des FM Mohamed Morsi. Durant cette même période, les forces de sécurité égyptiennes ont massacré jusqu’à 2.000 manifestants, dont un millier dans la même journée.
Comme le montre très clairement la parodie de justice de Minya, ce règne de terreur n’a fait que continuer en s’institutionnalisant encore plus fermement sous Sissi qui a démissionné dernièrement pour devenir candidat dans ce qui sera inévitablement des élections présidentielles truquées.
Outre les quelque 2.000 personnes tuées par la junte de Sissi, 21.000 autres ont été emprisonnées. Des milliers d’autres ont disparu dans un réseau de « sites noirs », des centres secrets de détention et de torture.
L’objectif de cette vaste machine de répression ne sont pas seulement les Frères musulmans, mais aussi les protestataires impliqués dans les manifestations qui ont entraîné en février 2011 la chute de l’ancien dictateur Hosni Moubarak. Trois d’entre eux – Ahmed Maher et Mohammed Adel, les dirigeants du Mouvement du 6-avril qui a maintenant été interdit sur la base d’accusations fictives d’espionnage et de diffamation envers l’Etat, et Ahmed Douma – ont été condamnés à trois ans de travaux forcés et à 7.000 dollars d’amende pour avoir contrevenu un décret interdisant toutes les protestations non autorisées. Ils ont déclaré être régulièrement passés à tabac par leurs geôliers.
Toute cette répression féroce cible la classe ouvrière égyptienne, la force sociale qui a été le principal acteur, de par ses grèves et ses protestations de masse, dans l’éviction du régime de Moubarak. Ces grèves se sont poursuivies, par la cessation du travail dans le secteur du textile, de l’acier, des transports publics, le débrayage des postiers et des travailleurs portuaires, y compris ceux du stratégique Canal de Suez. Dans des conditions où la junte dirigeante est prête à adopter les drastiques mesures d’austérité dictées par le FMI, y compris la suppression des subventions sur le pain, l’électricité et le gaz, elle cherche désespérément à intimider les travailleurs égyptiens en appliquant la violence de l’Etat.
Rien que l’ampleur des procès et des condamnations à mort de masse en Egypte est sans précédent dans l’histoire récente, et rappelle le genre d’atrocités commises sous les nazis. De par ses paroles ambiguës et ses actes concrets, Washington se retrouve exposé comme le complice direct de ce crime, le président Barack Obama faisant tout ce qui est possible pour le faciliter.
Dans une déclaration débordant de cynisme, la Maison Blanche a dit lundi qu’Obama était « profondément préoccupé » par les condamnations à mort de masse en Egypte.
« Alors que l’indépendance des juges est un élément vital de la démocratie, ce verdict n’est pas conciliable avec les obligations de l’Egypte en vertu du droit international des droits de l’homme, » pouvait-on lire dans le communiqué de la Maison Blanche. Il lance un appel à Sissi et à ses collègues de la junte militaire de « prendre position contre cette action illogique. »
De qui se moquent-ils? Les subtilités de « l’indépendance des juges » ne jouent pratiquement aucun rôle en Egypte. Youssef, le juge de la mort – communément appelé « le boucher » – a été nommé par la junte à un tribunal spécial pour faire exactement ce qu’il est en train de faire. De plus, les sentences draconiennes rendues ont une logique très précise : elles sont un acte de terreur d’Etat visant à intimider les masses égyptiennes.
Le communiqué poursuit en disant: « Depuis la Révolution du 25 janvier, le peuple égyptien aspire à être représenté par un gouvernement qui gouverne équitablement, préserve sa dignité et offre des possibilités économiques. Les Etats-Unis soutiennent ces aspirations et veulent le succès de la transition de l’Egypte. »
Rien que des mensonges empilés les uns sur les autres. La réalité est que le gouvernement Obama a fait tout son possible pour garder au pouvoir son « fidèle allié » Moubarak en écrasant la Révolution du 25 janvier et en envoyant au dictateur égyptien les munitions pour le faire.
Après avoir échoué, il a cherché à assurer le transfert du pouvoir à Omar Suleiman, le chef des renseignements de Moubarak et une « ressource » de la CIA. A défaut de cela, il a soutenu l’arrivée au pouvoir du Conseil suprême des forces armées. Après avoir brièvement essayé d’utiliser le gouvernement de droite des Frères musulmans de Morsi pour sauvegarder ses intérêts en Egypte et dans la région, il a tranquillement soutenu le coup d’Etat militaire qui l’a renversé en juillet dernier en refusant d’appeler ce coup d’Etat un coup d’Etat de façon à pouvoir continuer à verser l’aide militaire.
Il est impossible de faire plus en fait de pur cynisme que la phrase disant qu’on « veut le succès de la transition égyptienne ». La « transition » aidée et soutenue par Washington s’est révélée être une dictature plus sanglante et plus répressive que celle même du détesté Moubarak déjà soutenu par les Etats-Unis.
Ce n’est pas par hasard que l’imposition en masse de la peine de mort a eu lieu quelques jours seulement après que Washington a approuvé la livraison de 10 hélicoptères d’attaque Apache, en plus de quelque 650 millions de dollars d’aide militaire à la junte égyptienne déjà autorisée pour le présent exercice. C’est la moitié de ce que le gouvernement voulait fournir aux forces répressives du pays, l’autre moitié étant retenue par les lois limitant l’aide à des régimes amenés au pouvoir par des coups d’Etat.
L’achat des hélicoptères a été correctement interprété par la junte égyptienne comme étant le feu vert à l’escalade de sa brutale répression.
Rien ne pourrait mettre plus à nu la fraude hypocrite de la politique étrangère du gouvernement Obama en matière de « droits de l’homme ». Durant ces derniers mois, il s’est présenté comme le champion de la démocratie et des droits humains en Ukraine. Il s’est servi de ce qui représentait, par rapport à l’Egypte, un nombre relativement restreint de meurtres – dont les auteurs restent un sujet de débat – pour justifier un coup d’Etat mené par des fascistes et une politique de provocations antirusse continues qui risque de précipiter le monde dans une troisième guerre mondiale nucléaire.
De la même manière, au Venezuela, la mort, de 41 personnes dans de violentes manifestations – dont la cause reste contestée – a fait que le secrétaire d’Etat John Kerry dénonce le gouvernement pour mener une « campagne de terreur contre ses propres citoyens. » Aucune terreur de ce genre n’avait été perçue dans les massacres de milliers de personnes en août dernier dans les rues du Caire ou dans les condamnations à mort de masse rendues au cours de ces deux derniers mois.
L’Egypte révèle le véritable visage de la politique impérialiste américaine qui utilise la sanglante violence d’Etat et le militarisme pour poursuivre les intérêts de la couche dirigeante financière et patronale de l’Amérique en réprimant aux quatre coins du monde les luttes sociales et les aspirations démocratiques de la population laborieuse.
(Article original paru le 29 avril 2014)