La médaille d’or pour la catégorie «service public» du prix Pulitzer a été remise lundi dernier à deux journaux qui ont publié la majeure partie des reportages sur l’espionnage illégal et anticonstitutionnel fait par l’Agence de sécurité nationale américaine (NSA). Ces reportages étaient fondés sur les documents divulgués par Edward Snowden, dénonciateur et ancien contractuel de la NSA.
Même si le prix a été remis au Guardian US et au Washington Post, ainsi qu’aux quatre journalistes qui ont produit les articles – Glenn Greenwald, Laura Poitras, Ewan MacAskill et Barton Gellman – il n’y a pas de doute que la personne vraiment mise à l’honneur était Snowden lui-même. En ce moment, ce jeune de 30 ans est en exil en Russie et est recherché pour des accusations d’espionnage par les États-Unis, ce qui pourrait lui valoir un emprisonnement à vie ou même la peine de mort.
Depuis qu’un comité de 19 journalistes et rédacteurs, commandité par l’Université Columbia, a voté pour le lauréat du prix Pulitzer, l’administration Obama et l’appareil de renseignements américain ont maintenu un silence presque total, après avoir dénoncé Snowden pendant près d'un an et déclaré que les documents qu’il avait divulgués ont causé des dommages incalculables à la sécurité nationale américaine.
Les médias américains sont aussi, dans une large mesure, restés silencieux. Il n’y a eu que peu de discussion à propos de la signification du prix Pulitzer pour les divulgations de Snowden. Aucun journaliste n’a soulevé la question lors des points de presse animés par l’attaché de presse de la Maison-Blanche, Jay Carney, ou lors de la conférence de presse d’Obama de jeudi dernier.
Un article paru dans le Wall Street Journal constitue une exception digne de mention. Cet article a été écrit par Liam Fox, un membre du Parti conservateur du parlement britannique et ancien secrétaire d’État à la Défense. Ses commentaires vicieux et hystériques reflètent avec justesse les sentiments qui dominent les cercles dirigeants et l’establishment politique aux États-Unis et en Grande-Bretagne. (Le gouvernement britannique est allé jusqu’à forcer le Guardian à détruire ses disques durs contenant les documents fournis par Snowden et a par la suite détenu le partenaire de Greenwald, David Miranda, en se servant de lois anti-terroristes.)
Dans son article («Snowden et ses complices»), Fox écrit: «Edward Snowden se voit comme un guerrier de l’ère informatique, mais il est en réalité un narcissique qui cherche à se faire connaître.» Fox conclut: «Pour une fois, disons clairement les choses. Appelons la trahison par son nom.»
Snowden est menacé de poursuite et possiblement d'assassinat. Les agents des renseignements américains ont régulièrement menacé de le tuer et les démocrates et les républicains au Congrès veulent aussi sa peau. Il n’y a eu aucune référence à ces menaces de mort dans la couverture médiatique des prix Pulitzer et cette question n’a jamais été soulevée publiquement par la Maison-Blanche.
Ce silence montre qu’il n’y a aucun répit dans l’espionnage de la planète entière – incluant toute la population américaine – par le gouvernement des États-Unis ou dans la persécution officielle de ceux qui exposent ces opérations illégales et anticonstitutionnelles.
Snowden a révélé que la NSA intercepte et enregistre systématiquement la navigation sur internet et les télécommunications de toute la planète, s’infiltrant dans tout ce réseau à l’aide d’une série de programmes sophistiqués pour analyser les habitudes d’appels et tracer le réseautage des associations. La NSA peut examiner le contenu de tout courriel, message texte, message sur les médias sociaux, recherche sur internet ou appel téléphonique. De plus, elle crée et exploite systématiquement les failles sur internet afin d’obtenir l’accès à des ordinateurs partout sur la planète.
Ces opérations ont permis à l’appareil américain de renseignements de créer de vastes bases de données sur les positions et les activités politiques de milliards de gens. Le but n’est pas de débusquer une poignée de terroristes islamiques fondamentalistes, mais plutôt de créer une infrastructure pour gouverner de manière dictatoriale. La NSA peut fournir des dossiers et des listes de personnes à arrêter en vue d’une répression par l’État d’une opposition politique au système capitaliste. Elle peut le faire pour n'importe quel pays du monde et particulièrement aux États-Unis.
C’est parce qu’ils sentent la nature largement antidémocratique et dictatoriale de cette surveillance de masse que la vaste majorité de la population mondiale, incluant la population américaine, est hostile à ces mesures et appuie Snowden. Les sondages ont montré qu’une majorité claire aux États-Unis – malgré la propagande sans fin du gouvernement et des médias – appuie les gestes de Snowden et ses révélations des actions de la NSA.
Le prix Pulitzer est une reconnaissance de ce sentiment populaire et cela met l’administration Obama et l’appareil des renseignements dans l'embarras.
La plupart des médailles d’or du prix Pulitzer ont été données à des journaux qui avaient mis en lumière la corruption dans des gouvernements municipaux ou des forces policières. D’autres médailles d’or ont aussi été remises pour l’exposition d’abus particulièrement flagrants de travailleurs ou de l’environnement dans des industries comme les mines de charbon, l’agroalimentaire et les maisons de retraite. Mais à quelques rares occasions, la médaille d’or a une importance politique plus large. Par exemple, en 1972, elle fut remise au New York Times pour la publication des «papiers du Pentagone» et, en 1973, au Washington Post pour son enquête dans l’affaire du Watergate.
Edward Snowden a fait une déclaration suite à la remise du prix: «Cette décision nous rappelle que ce qu’aucune conscience individuelle ne peut changer, une presse libre peut le faire. Mes efforts auraient été vains si ce n’était du dévouement, de la passion et des compétences de ces journaux. Ils ont ma reconnaissance et mon respect pour le service extraordinaire qu'ils ont rendu à notre société. Leur travail nous offre un meilleur avenir et une démocratie plus responsable.»
Il n’y a pas de doute que le point de vue de Snowden, pour lequel il a déjà sacrifié énormément, est sincère. Mais les révélations qu’il a faites doivent être vues comme une impulsion importante à la lutte pour la défense des droits démocratiques. La question centrale est d’identifier la cause fondamentale du développement de formes de gouvernance autoritaires: le gouffre social béant entre l’aristocratie financière et la vaste majorité des travailleurs. En dernière analyse, la démocratie est incompatible avec une société aux prises avec d'aussi vastes inégalités sociales qui augmentent sans cesse.
Les inégalités sociales sont le produit du capitalisme, tout comme la mise en place des pouvoirs répressifs de l’État pour défendre l’oligarchie économique et financière contre la résistance sociale de masse de la classe ouvrière. La défense des droits démocratiques requiert la mobilisation indépendante et politique de la classe ouvrière pour mettre un terme au système de profit et pour établir une véritable égalité et démocratie. Autrement dit, il faut créer une société socialiste.
(Article original paru le 18 avril 2014)