L'OTAN a continué à envoyer des renforts à la frontière russe alors même que le ministre des Affaires étrangères américain John Kerry et son homologue russe Sergey Lavrov se rencontraient à Paris dimanche soir pour discuter du conflit avec l'Ukraine. Cette rencontre de quatre heures de négociations «franches» s'est terminée sans qu'il n'y ait de résolution et des conférences de presse séparées ont été tenues.
Les deux hommes se sont rencontrés après que le président russe Vladimir Poutine a indiqué qu'il était prêt à faire certaines concessions. Vendredi dernier, il a téléphoné au président américain Barack Obama en Arabie Saoudite pour discuter d'une «résolution diplomatique de la crise». Dimanche, Kerry a refusé la proposition de Lavrov d'une Ukraine fédérale qui ne ferait pas partie de l'OTAN, déclarant cyniquement que c'était «suivant la volonté des Ukrainiens» – c'est-à-dire, le régime dirigé par les fascistes à Kiev et soutenu par Washington.
Kerry a une fois de plus rejeté l'annexion de la Crimée en la qualifiant d'«illégale et illégitime» et a accusé la Russie de masser des troupes à ses frontières avec l'Ukraine. Les gouvernements occidentaux se servent des mouvements prétendus des troupes russes pour justifier le renforcement continuel de leur présence militaire dans les États baltes. Les ex-républiques soviétiques d'Estonie, de Lettonie et de Lituanie ont été admises dans l'OTAN en 2004, mais l'alliance militaire n'y avait pas encore déployé de troupes pour ne pas provoquer la Russie. Les trois États ont de petites armées, entre 5000 et 12.000 hommes chacune, sans chars ni avions de combat.
Mais la situation change. Les États-Unis ont déjà envoyé six avions de combat F-15C en Lituanie. La Grande-Bretagne a promis d'envoyer quatre appareils. D'autres membres de l'OTAN, dont l'Allemagne, ont également été contactés pour envoyer des avions, dont des appareils espions AWACS qui peuvent surveiller profondément le territoire russe et ukrainien.
La Pologne, qui a une frontière avec l'Ukraine, est également le théâtre d'un renforcement militaire: les États-Unis y ont envoyé 300 militaires et 12 avions de combat.
Les ministres des Affaires étrangères de l'OTAN qui se réunissent mardi à Bruxelles devraient décider de nouvelles mesures. Un porte-parole de l'OTAN a annoncé qu'ils cesseraient les collaborations de terrain avec la Russie dans le Conseil Russie-OTAN et qu'ils augmenteraient «considérablement» la collaboration militaire avec l'Ukraine.
Le secrétaire général de l'OTAN sur le départ, Anders Fogh Rasmussen, a déclaré dans la presse allemande que l'alliance envisageait de «réviser les plans militaires, organiser des manœuvres militaires et augmenter la présence des troupes de manière appropriée». Il a déclaré que l'entrée de l'OTAN de l'Europe de l'Est au cours des 15 dernières années avait été un grand succès et a proposé que de nouveaux pays soient admis dans l'alliance, dont la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, la Géorgie et le Monténégro. Il n'a pas mentionné l'Ukraine, mais a déclaré que le partenariat de l'OTAN avec ce pays se développe «toujours plus».
Ces développements confirment que la crise en Ukraine, qui fut l'oeuvre des États-Unis, de l'Allemagne et de leurs alliés européens, est utilisée pour encercler et intimider la Russie afin de la subordonner aux diktats de l'impérialisme occidental.
En Ukraine, une lutte d'influence se développe pour les élections présidentielles qui auront lieu le 25 mai. Vitali Klitschko, l'un des porte-parole des manifestations de Maïdan et chef du parti UDAR, a retiré sa candidature et annoncé qu'il soutiendrait l'homme d'affaires milliardaire Petro Poroshenko. Klitschko se présentera à la place pour un autre poste influent, celui de maire de Kiev, dont les élections auront lieu le même jour.
Avec une fortune de 1,8 milliard de dollars, Poroshenko est classé septième sur la liste Forbes des oligarques ukrainiens. Il a fait fortune dans les sucreries et le chocolat, la construction navale et l'industrie de l'armement. Il possède également la chaîne de télévision Canal 5, influente dans le pays.
Poroshenko a commencé sa carrière politique à la fin des années 1990 et a changé de camp à plusieurs reprises. Au départ, il soutenait le président Leonid Kuchma. Puis, avec le président récemment renversé Viktor Yanukovytch, il a fondé le Parti des régions. Peu après, il a rejoint le rival de Yanukovych, Viktor Yushchenko, et soutenu ce qui fut appelé la «Révolution orange». Après l'élection de Yushchenko au poste de président, Poroshenko est devenu ministre des Affaires étrangères. Lorsque Yanukovych est revenu au pouvoir, Poroshenko a brièvement été à la tête du ministère de l'Économie.
Poroshenko aurait apparemment décidé de soutenir les manifestations de la place Maïdan après que la Russie, pour tenter de faire pression sur le gouvernement Yanukovych, a interdit les importations de sa marque de chocolat, ce qui lui a coûté des millions en profits. Sa chaîné de télévision était présente en continu sur la place Maïdan, faisant de la propagande pour les manifestations.
Poroshenko a le soutien de l'Allemagne et des autres gouvernements européens. Avec Klitschko, qui a été fortement soutenu par Berlin, il a été invité à la conférence de Munich sur la sécurité en février. Poroshenko et Klitschko ont rencontrés durant les dernières semaines le premier ministre britannique David Cameron et le président français François Hollande.
D'après les sondages d'opinion, Poroshenko a le soutien de 25 pour cent des électeurs, bien plus que les autres candidats. Il est considéré comme une personnalité plus conciliante que sa principale rivale, Yulia Timoshenko, dont le nationalisme ukrainien fanatique menace de diviser le pays et de le plonger dans la guerre civile.
Kyryl Savin de la Fondation Heinrich Böll de Kiev affiliée au Parti des Verts a déclaré à Deutsche Welle: «Je ne pense pas qu'il va jouer la carte du nationalisme radical. Au contraire, il tentera, d'une manière ou d'une autre, de maintenir le pays uni.»
Manifestement, les gouvernements européens ont conclu que Tymoshenko est trop imprévisible et qu'ils ont besoin d'un agent plus sûr à Kiev pour veiller sur leurs intérêts. Ils voient aussi le milliardaire Poroshenko comme le candidat idéal pour appliquer les mesures d'austérité draconiennes et les licenciements de masse exigés par le Fonds monétaire international.
Le fait que l'un des oligarques les plus riches soit maintenant promu par les dirigeants de Maïdan et des puissances occidentales pour devenir le prochain président de l'Ukraine dément complètement les affirmations selon lesquelles les manifestations à Kiev représentaient une lutte pour la démocratie et contre la corruption. Le nouveau gouvernement a été installé suite à un coup d'État fasciste dont le but était de mettre au pouvoir un gouvernement pro-occidental, de subordonner encore plus le pays aux diktats des oligarques ukrainiens et au capital financier international, et de fournir une base à la campagne impérialiste occidentale qui vise à affaiblir et isoler la Russie.
(Article original paru le 31 mars 2014)