Washington a passé le week-end dernier à faire pression sur ses alliés pour qu'ils intensifient les provocations et les menaces contre la Russie au sujet de l'Ukraine.
Vendredi, le président Barack Obama a parlé à la chancelière allemande Angela Merkel. Samedi, il a participé à des négociations avec le premier ministre britannique David Cameron, le président français François Hollande et le premier ministre italien Matteo Renzi. Il a également organisé une conférence téléphonique avec les présidents des ex-républiques soviétiques de Lettonie, Lituanie et Estonie – Andris Berzins, Dalia Brybauskaite et Toomas Lives, respectivement.
Un communiqué de la Maison Blanche mentionne un accord général « sur la nécessité que la Russie retire ses forces militaires et les renvoie dans leur caserne » et pour le « déploiement des observateurs internationaux et des inspecteurs des droits de l'Homme dans la péninsule de Crimée. »
Une posture encore plus menaçante a été adoptée par le ministre des Affaires étrangères John Kerry. D'après un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Kerry a prévenu le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov que « la poursuite de l'escalade militaire et des provocations en Crimée ou ailleurs en Ukraine, ainsi que les manœuvres pour annexer la Crimée à la Russie, fermeraient tout espace disponible pour la diplomatie... »
Jeudi dernier, le gouvernement régional de Crimée a annoncé un référendum pour le 16 mars sur la question de l'adhésion à la Russie. Le porte-parole d'Obama a qualifié ce référendum de « violation de la constitution de l'Ukraine » et de « violation du droit international. »
Le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague a déclaré à la BBC que l'Europe serait confrontée au « grave risque d'un véritable conflit armé » si les forces russes allaient au-delà de la Crimée et pénétraient en Ukraine orientale. Les pressions diplomatiques et les sanctions économiques ne feront pas partir les forces russes de Crimée, a-t-il déclaré dans le Andrew Marr Show. Quand il lui a été demandé si la Grande-Bretagne et l'Union européenne conseilleraient aux Ukrainiens de ne pas prendre les armes contre les Russes, il a répondu par la négative, disant, « Il n'est pas vraiment possible de passer en revue les différents scénarios avec les Ukrainiens et de dire : dans ces circonstances vous tirez et dans celles-là vous ne tirez pas. »
À Kiev, le premier ministre ukrainien imposé par les États-Unis, Arseniy Yatsenyuk, a promis que son gouvernement ne donnerait pas « un seul centimètre » du sol ukrainien à la Russie. Yatsenyuk doit se rendre à Washington mercredi pour des discussions à la Maison Blanche sur la situation militaire et financière, ont déclaré des responsables de la Maison Blanche à CNN.
Les menaces officielles d'action de représailles impliquent habituellement des sanctions économiques et politiques, mais les États-Unis se sont principalement activés à isoler la Russie par un renforcement soutenu de leurs forces armées dans la région en collaboration avec les Etats à la périphérie de l'Ukraine.
Vendredi dernier, l'USS Truxtun a pénétré en Mer noire par le Détroit du Bosphore contrôlé par la Turquie au cours de ce qui a été présenté comme un exercice d'entraînement « déjà prévu » conjointement avec les marines bulgares et roumaines. L'USS Truxtun est un destroyer avec un équipage de 300 hommes, équipé de missiles anti-navires. Il était stationné en Grèce dans le cadre d'un groupe d'intervention dont le navire de commandement était le porte-avions USS George W. Bush, le plus grand navire de guerre au monde, en remplacement de l'USS Taylor, qui s'est échoué dans le port turc de Samsun le mois dernier, une indication de la présence américaine permanente dans la région qui est maintenant renforcée.
Les États-Unis vont envoyer 12 chasseurs F-16, un Boeing KC-135 de ravitaillement et 300 personnels techniques en Pologne la semaine prochaine pour un exercice d'entraînement étendu. Quatre F-15 mènent actuellement des patrouilles aériennes au-dessus des Etats baltes dans le cadre d'une mission de l'OTAN qui dure depuis dix ans, et les États-Unis ont déjà une escadrille d'entraînement de F-16 et des Lockheed C-130 Hercules de transport en Pologne. L'OTAN a fait décoller en alerte des appareils 40 fois l'année dernière en réaction à l'approche des Etats baltes par des appareils russes.
Les Etats d'Europe de l'Est et baltes jouent un rôle de premier plan dans l'activation d'un climat de guerre contre la Russie ; ainsi, ils ont organisé une réunion de l'OTAN la semaine dernière pour discuter de leurs « craintes » de l'expansionnisme russe.
Reuters a noté que la Pologne réfléchit à moderniser son armée, notamment avec un projet de dépenser 45 milliards de dollars sur les dix prochaines années pour construire un nouveau système de défense anti-missile et remettre à niveau ses systèmes d'armement, dont les hélicoptères de transport et les chars.
Le ministre de la Défense lituanien Juozas Olekas a déclaré à Reuters : « Après ces événements en Ukraine, l'agression russe, la nécessité d'augmenter les dépenses sera mieux comprise du peuple lituanien, et il y aura davantage de gens favorables. »
Le vice-premier ministre suédois, Jan Bjorklund, a appelé la semaine dernière à un « changement de doctrine » dans la politique de défense suédoise dans le cadre de discussions sur une adhésion complète à l'OTAN.
Les manœuvres militaires prévues à l'avance ne sont qu'un élément dans une série d'« heureuses coïncidences » qui indiquent que les États-Unis avaient préparé cette crise censée avoir commencé par des manifestations « spontanées » en faveur de l'Union européenne après que le président ukrainien Viktor Yanukovitch a fait marche arrière sur un Accord d'association de l'UE, en novembre dernier.
Par exemple, les États-Unis ont pris le contrôle de la police de l'air au-dessus de l'Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, dans le cadre de l'OTAN, en janvier, succédant à la Belgique. D'après Fox News, un communiqué publié alors disait que cette mission « non seulement protège l'intégrité de l'espace aérien de l'OTAN, mais illustre les fonctions essentielles de défense collective de l'alliance. »
Les États-Unis ont passé les deux dernières décennies à tenter d'éliminer le tampon stratégique entre la Russie et l'Ouest constitué par l'Ukraine, en soutenant la « Révolution orange » de 2004 dans une tentative finalement ratée d'installer un gouvernement entièrement pro-occidental. Washington et ses alliés ont tenté de faire de même dans d'autres ex-Etats soviétiques en les intégrant dans les structures de l'OTAN et de l'Union européenne, encourageant la Géorgie, en particulier, et les ex-républiques soviétiques d'Asie centrale à prendre la voie de l'Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie.
Washington a envoyé de l'argent dans la région pendant des années et a maintenant ouvert les robinets en grand. Victoria Nulland, ministre déléguée aux affaires européennes et eurasiatiques, a reconnu en décembre que les États-Unis ont investi « plus de cinq milliards de dollars » pour « s'assurer une Ukraine sûre, prospère et démocratique. »
Les autres Etats impliqués dans les machinations américaines ne sont pas moins liés financièrement à Washington. Lundi dernier, la Commission européenne (CE) participait à des procédures pour demander que la Bulgarie abandonne un accord avec les États-Unis sur de l'aide économique, technique, et autres types d'aides, au motif que cet accord enfreint les directives de l'UE sur la concurrence libre et non faussée. Un rapport fait remarquer qu'entre 1990 et 2007, la Bulgarie a reçu 600 millions de dollars des États-Unis dans le cadre de cet accord. Sur cette somme, 99,14 pour cent sont allés à la défense.
Il n'est pas surprenant que Lavrov ait répondu à l'appel de Kerry en déclarant que la crise en Ukraine était « créée artificiellement pour des raisons purement géopolitiques. »
En Ukraine, le régime nouvellement installé s’appuie sur divers oligarques pour diriger le pays en alliance avec des groupes d'extrême-droite et fascistes. Ces derniers jours, plusieurs oligarques ont été nommés au gouvernement à des postes élevés, dont la direction des administrations régionales dans l'Est du pays qui ont été le cadre de manifestations et de conflits entre pro- et anti-gouvernement.
Ihor Kolomoyskyi a été nommé chef de l'administration régionale de Dnipropetrovsk, pendant que Sergey Taruta, le 16e homme le plus riche du pays, était nommé nouveau gouverneur régional du Donetsk. Kolomoiskyi, un magnat de la sidérurgie, des banques et des médias pesant 2,4 milliards de dollars, a déclaré à l'Associated Press que sa tâche serait de mettre fin aux troubles dans la région, qui sont, a-t-il affirmé, fomentés par des agents de Moscou.
Rinat Akhmetov, l'homme le plus riche d'Ukraine, dont la fortune est estimée à 15,4 milliards de dollars et qui jusque récemment était l'un des principaux soutiens du Parti des régions de Yanukovitch, s'est également prononcé en faveur de l'unité nationale.
L'ex-ambassadeur américain en Ukraine, John Edward Herbst, a déclaré sans complexe à l'AP : « Le fait que les oligarques prennent cette responsabilité est une preuve de leur engagement envers une Ukraine indépendante, souveraine et territorialement unie. »
Hier, ont eu lieu des rassemblements des forces pro-gouvernementales pour honorer la naissance il y a 200 ans du poète Taras Shevchenko, connu comme le père de la langue ukrainienne. Ces rassemblements ont entraîné des heurts avec des groupes pro-russes à Sébastopol en Crimée.
(Article original paru le 10 mars 2014)