Le discours prononcé mercredi à Bruxelles par le président Barack Obama était un appel aux armes pour une confrontation des Etats-Unis et de l’OTAN contre la Russie. Par toute une série de mensonges et de faux-fuyants, Obama a présenté un monde à l’envers dans lequel les Etats-Unis et les impérialistes européens, qui ont soutenu le coup d’Etat en Ukraine mené par des forces fascistes, sont présentés comme les défenseurs de la démocratie et de la paix.
Il n'y avait pas grand-chose dans son discours qui aurait pu convaincre la population laborieuse d'Europe ou des Etats-Unis qu’une politique de conflit ouvert avec la Russie était dans leur intérêt. Ce n’était pas le but de l’allocution qui se résume à une série de mensonges de propagande, prononcés avec la certitude qu’ils ne feraient pas l’objet de critiques sérieuses et encore moins d’une opposition au sein des élites dirigeantes des Etats-Unis et de l’Europe ou de la part de leurs porte-parole dans les médias.
Obama cherchait à élaborer la base d'un tournant majeur de la politique étrangère américaine, ce que l’un de ses conseillers en politique étrangère a qualifié de « pivot stratégique » vers une confrontation avec la Russie, employant délibérément le même terme que celui utilisé par la Maison Blanche pour décrire sa politique systématiquement anti-chinoise en Extrême Orient.
L’un des objectifs de cette stratégie de confrontation est de fournir un nouvel axe politique à la structure militaire de l’OTAN, dominée par les Etats-Unis, et qui manifestement s’est bien effilochée en l’absence du vieux cadre de la Guerre froide.
L’essentiel du discours a été consacré à ressasser les affirmations depuis longtemps discréditées et selon lesquelles l’impérialisme américain et ses alliés européens représentent la démocratie, la paix et la volonté populaire. Obama a invoqué le conflit qui existe entre les idéaux démocratiques et la conception autoritaire que « l’ordre et le progrès ne sont possibles que si les individus cèdent leurs droits à un souverain tout puissant. »
Mais ces paroles sonnaient bien creux venant d’un président qui revendique un pouvoir absolu et échappant à tout contrôle pour ordonner, au moyen de missiles tirés par des drones, l’assassinat de qui bon lui semble partout dans le monde et dont le gouvernement s’arroge le droit de recueillir et de stocker les courriels, les sms et les appels téléphoniques de l’humanité entière.
Le thème central du discours a été une condamnation des actions russes en Crimée, qui a été annexée la semaine dernière, suite à un référendum populaire qui s'est tenu dans la région. « Les dirigeants de la Russie remettent en question des vérités qui, il y a seulement quelques semaines, semblaient aller de soi, » a déclaré Obama en ajoutant « qu’au 21ème siècle, les frontières de l’Europe ne peuvent pas être retracées par la force, que le droit international compte, que les gens et les nations peuvent prendre leurs propres décisions concernant leur avenir. »
Bien sûr, ce sont là précisément les principes que les gouvernements américains successifs ont bafoués : le bombardement de la Serbie en 1999 par les Etats-Unis et l’OTAN et qui a conduit au redécoupage par la force de ses frontières ainsi qu’à la sécession du Kosovo ; l’invasion en 2003 de l’Irak par les Etats-Unis en violation flagrante du droit international ; et d’innombrables autres cas où les Etats-Unis foulent au pied les droits « des gens et des nations » de « prendre leurs propres décisions » dès lors que ces décisions entrent en conflit avec les intérêts de l’impérialisme américain. »
Le gouvernement russe du président Vladimir Poutine a souligné l’hypocrisie de l’indignation des Etats-Unis et de l’Europe à propos de la Crimée en citant de nombreux exemples et Obama s’est efforcé de réfuter les arguments de Poutine en recourant au concept du grand mensonge.
Il a rejeté toute comparaison entre la Crimée et le Kosovo, niant que le Kosovo était un exemple de l’« ingérence de l’occident dans les affaires d’un petit pays. » Obama a affirmé que « l’OTAN n’était intervenue qu’après que les habitants du Kosovo eurent été systématiquement brutalisés et tués pendant des années, » ignorant la responsabilité des Etats-Unis et des puissances européennes, notamment celle de l’Allemagne, pour avoir fomenté l’éclatement de la Yougoslavie selon des critères ethniques. Les Etats-Unis avaient financé au Kosovo les bandits de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK) qui avaient commis des atrocités coup pour coup contre la population serbe et qui, actuellement au pouvoir, persécutent les Roms et d’autres minorités.
« La Russie a mentionné la décision de l’Amérique d’intervenir en Irak comme un exemple de l’hypocrisie occidentale, » a poursuivi Obama. « Il est vrai que la guerre en Irak a été un sujet de vif débat, et pas seulement dans le monde, mais également aux Etats-Unis. »
En fait, il n’y avait pas eu de débat significatif ni de discussion démocratique préalablement à l’invasion américaine en Irak. Cette guerre fut l’aboutissement d’une conspiration politique. Le gouvernement Bush partit en guerre sur la base de mensonges éhontés sur la soi-disant détention d’armes de destruction massive par l’Irak et sur son alliance inexistante avec al Qaïda. Les manifestations de masse qui démontraient l’opposition de millions d’Américains et de la majorité de la population mondiale, furent tout simplement ignorées.
Après avoir affirmé s'être opposé la guerre en Irak, Obama a cherché à justifier la conduite de la guerre et ses résultats en prétendant, « Même en Irak, l’Amérique a cherché à travailleur au sein du système international. Nous n’avons ni revendiqué, ni annexé le territoire de l’Irak. Nous n’avons pas saisi ses ressources pour notre propre gain. Au contraire, nous avons mis fin à notre guerre et nous avons laissé l’Irak à son peuple dans un Etat irakien pleinement souverain qui peut prendre des décisions sur son propre avenir. »
La vérité c’est que la guerre en Irak a été le plus grand crime commis – jusqu’ici – au 21ème siècle. Plus d’un million d’Irakiens ont perdu la vie du fait de l’invasion et de l’occupation américaines et la société irakienne a été détruite. Le gouvernement Bush avait ouvertement déclaré que les Conventions de Genève et le droit international ne s’appliquaient ni à la guerre en Irak ni à la conquête et à l’occupation précédentes de l’Afghanistan, une position que le gouvernement Obama continue de maintenir.
Obama cherche à obtenir le soutien du monde entier contre les supposés crimes de la Russie en Crimée lors desquels, au moment d’écrire ces lignes, deux personnes ont été tuées (un soldat ukrainien et un russe). Dans le même il refuse toutes poursuites des criminels de guerre américains responsables de l’immense bain de sang infligé à la population de l’Irak.
Au lieu de cela, le président américain a excusé les crimes monstrueux commis par son propre gouvernement en disant, « Bien entendu, ni les Etats-Unis ni l’Europe ne sont parfaits dans le respect de nos idéaux. Nous ne prétendons pas non plus être le seul arbitre de ce qui est bon ou mauvais dans le monde. »
En fait, c'est précisément ce rôle que le gouvernement américain revendique. Un gouvernement américain après l’autre a déclaré que les Etats-Unis étaient « la seule nation indispensable », la seule superpuissance, le pays dont l’appareil de renseignement militaire doit être le gendarme du monde et dont les dirigeants sont exonérés de toute responsabilité pour leurs actes.
Les arguments d’Obama n’étaient pas moins frauduleux lorsqu’il a abordé les aspects spécifiques de la situation en Ukraine. : « Oui, nous croyons à la démocratie, aux élections libres et justes, à une justice indépendante et des partis d’opposition, à la société civile et aux informations non censurées afin que chacun puisse faire ses choix librement, » a-t-il déclaré.
Mais en Ukraine, les Etats-Unis et l’Union européenne ont passé outre la souveraineté nationale en intervenant pour fomenter un coup d’Etat qui a renversé Viktor Ianoukovitch, un président élu, et installer au pouvoir non pas le « choix » de la population ukrainienne mais celui de Washington.
Ceci a été révélé par le fameux coup de téléphone passé entre la responsable du département d’Etat, Victoria Nuland, et l’ambassadeur américain, Geoffrey Pyatt, lors duquel ils avaient passé en revue les points positifs et négatifs de divers politiciens ukrainiens pour sélectionner « Iats », le premier ministre fantoche nouvellement nommé, Arseniy Iatseniouk, comme meilleure option.
Obama a rejeté l’accusation selon laquelle les Etats-Unis soutiennent les fascistes à Kiev en faisant une banale référence à son grand-père qui avait servi dans l’armée de Patton combattant les nazis durant la Deuxième Guerre mondiale, comme si ceci avait une quelconque signification. Depuis 1945, le gouvernement américain a soutenu de nombreux tueurs fascistes et autoritaires, à commencer par Franco en Espagne, en passant par le Shah d’Iran, Pinochet au Chili et jusqu’aux bouchers militaires égyptiens d’aujourd’hui, pour n’en citer que quelques-uns.
Dans son discours, Obama n’a pas mentionné l’Egypte, gardant un silence coupable sur l’appui accordé par les Etats-Unis à la junte qui vient tout juste de condamner à mort 529 partisans des Frères musulmans à l’issue d’un simulacre de procès qui a duré deux jours. C’était une omission délibérée et cynique car Obama a signalé les efforts démocratiques entrepris à « Tunis et à Tripoli » mais pas sur la place Tahrir au Caire.
Les accusations émises par la Russie et selon lesquelles les Etats-Unis collaborent avec les fascistes à Kiev sont vraies. Les responsables américains ont à maintes reprises rencontré des dirigeants comme Oleg Tiagnibok, chef du parti d’extrême-droite Svoboda, qui est un élément clé du gouvernement ukrainien ainsi que des responsables du Secteur droit néonazi qui a rempli le rôle de troupes de choc dans les combats pour renverser le gouvernement élu d’Ukraine. Depuis l’éclatement de l’Union soviétique, le département d’Etat américain et d'autres agences ont au total dépensé 5 milliards de dollars pour déstabiliser des gouvernements pro-russes en Ukraine.
Le discours prononcé par Obama à Bruxelles représente une tentative de justifier une politique agressive, provocatrice et infiniment dangereuse à l'encontre de la Russie. L’objectif réel des agissements américains dans cette crise a été suggéré dans la référence sarcastique faite mardi par le président américain à l’égard de la Russie, la qualifiant de simple « puissance régionale. »
Ce n’était évidemment pas le langage employé par Obama lorsqu’il cherchait à obtenir l’assistance de la Russie en vue de renverser le gouvernement Assad en Syrie, d'intimider l’Iran et d'isoler la Corée du Nord. Mais depuis l’effondrement de l’URSS, c'est l'objectif de l’impérialisme américain d'étendre son influence dans tout l'ancien bloc soviétique, d’abord dans les pays de l’Europe de l’Est, puis dans les anciennes républiques soviétiques des Etats baltes, du Caucase et d’Asie centrale et maintenant en Ukraine.
La Russie doit non seulement être réduite au statut de « puissance régionale » mais à un statut semi-colonial, démantelée et découpée par les grandes puissances impérialistes. Dans ce contexte, il est clair que lorsqu’Obama parle de diplomatie, il veut dire la capitulation du régime russe devant les exigences américaines et européennes.
Dans son discours, Obama a insisté sur le fait que le refus de la Russie d’accepter les nouvelles dispositions établies par l’impérialisme américain et européen en Europe de l’Est entraînera des sanctions économiques et un isolement politique toujours plus durs.
En poursuivant cette politique, Washington est en train de transformer en camp retranché les régions frontalières à la Russie occidentale, créant ainsi une situation où la moindre étincelle ou provocation risque de déclencher une conflagration militaire entre puissances nucléaires. Dans son discours, Obama a invoqué l’article Cinq de la charte de l’OTAN qui oblige tous les Etats membres de l’OTAN à défendre tout Etat membre en cas d’attaque, y compris les pays de l’ancien bloc de l’Est ou des républiques soviétiques comme la Pologne, les Etats baltes, la Roumanie et la Hongrie. Il s’agissait là d’une menace implicite de recours à la force militaire.
La lutte contre le militarisme impérialiste et la menace d’une intervention des Etats-Unis et de l’OTAN dans la crise ukrainienne requiert la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière sur une base internationale, en unissant dans une lutte commune les travailleurs d’Amérique du Nord, d'Europe et de l’ancienne Union soviétique.
(Article original paru le 27 mars 2014)