Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont intensifié jeudi la pression sur le gouvernement ukrainien alors que de nouveaux affrontements entre manifestants et policiers ont fait des dizaines de morts. Des estimations portent le nombre de morts entre 25 et 100 et la majorité des articles de presse parlent d’environ 70 tués, faisant de jeudi la journée la plus meurtrière depuis le début des affrontements qui ont lieu entre des manifestants armés et la police anti-émeute.
Hier, lors d’une réunion d’urgence à Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères se sont mis d’accord pour imposer des sanctions à l’Ukraine, parmi lesquelles la privation de visas, le gel des avoirs et une restriction des licences d’exportation pour le matériel antiémeute. Cette décision de l’UE vient après que les Etats-Unis ont exercé une pression énorme sur les puissances européennes pour qu’ils prennent des mesures punitives contre le régime ukrainien. Washington a déjà imposé une interdiction de voyage à l’égard de 20 politiciens ukrainiens influents.
Jeudi 20 février, les ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne, de la France et de la Pologne s’étaient rendus à Kiev pour s’entretenir avec le gouvernement et l’opposition dans le but de contraindre le président Ianoukovitch à démissionner.
Dans une déclaration rendue publique avant la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE, le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov avait dénoncé toute nouvelle sanction contre l’Ukraine. « Les sanctions américaines encouragent les émeutiers, » a dit Lavrov en ajoutant que de nouvelles sanctions de la part de l’UE correspondaient à du « chantage. » Il a conclu en disant : « « Nous nous inquiétons de ce que les capitales occidentales sont en train d’influencer la situation dans le pays. »
Le gouvernement Obama, le gouvernement allemand et les autorités de l’UE portent la principale responsabilité de la récente escalade de la violence à Kiev et dans d’autres villes partout en Ukraine.
Après les affrontements survenus mardi entre la police et les manifestants et qui ont fait 26 morts et des centaines de blessés, le président Ianoukovitch a publié mercredi soir un communiqué acceptant une trêve et l’ouverture de négociations visant à mettre un terme au bain de sang et à stabiliser la situation dans le pays.
La volonté d’Ianoukovitch d’appeler à une trêve a été confirmée par le dirigeant du parti droitier Patrie, Arseniy Iatseniouk, qui a dit que le but de l’amnistie était d’assurer que « la prise d’assaut de la place Maidan (Place de l’Indépendance) planifiée par les autorités n’aurait pas lieu. »
L’organisation fasciste Secteur droit qui, avec le parti d’extrême droite et antisémite Svoboda, joue un rôle de premier plan dans les batailles de rue, a publié mercredi soir un communiqué déclarant ne pas avoir signé la trêve gouvernementale et qu’il n’y avait « rien à négocier ».
Selon les comptes rendus des médias, l’éclatement de violentes confrontations jeudi avait débuté tôt le matin lorsque des manifestants armés de haches, de couteaux, de gourdins et de boucliers en tôle ondulée ont lancé une attaque contre les forces de police anti-émeute rassemblées autour de la Place de l’Indépendance.
En l’espace d’une heure, la zone située autour de l’hôtel Ukraine, qui se trouvait sous le contrôle de la police anti-émeute, est tombée aux mains des manifestants. Après une série d’attaques contre des bâtiments gouvernementaux et des postes de police, dont l’incendie des principaux locaux syndicaux en ville, des éléments droitiers ont confisqué une quantité d’armes et de munitions. Des images vidéo des combats menés jeudi montrent des protestataires armés de fusils tirant dans les rangs des policiers.
Pour repousser les émeutiers, le régime généralement détesté d’Ianoukovitch a réagi en mobilisant des unités supplémentaires de ses forces spéciales, les Berkout. Ianoukovitch, qui avait provoqué la colère des Etats-Unis, de l’Allemagne et de l’Union européenne en revenant sur une proposition d’accord passée avec l’UE en novembre dernier pour avoir décidé d’entretenir plutôt des liens étroits avec Moscou, représente des factions d’oligarques ukrainiens différentes de celles orientées vers l’Occident et qui sont soutenues par l’opposition.
Des forces nationalistes de droite sont également passées à l’offensive dans un certain nombre de villes de l’ouest du pays. Mercredi, 19 février, les bâtiments administratifs centraux avaient été pris d’assaut et occupés par les manifestants à Khmelnytskyi, Ivano-Frankivsk, Uzhhorod et Ternopil. A Lviv, la plus grande ville de l’ouest, les protestataires se sont emparés des locaux du procureur et ont saccagé les commissariats de police. Ils ont ensuite proclamé l’autonomie politique de la ville face à l’administration centrale de Kiev. Les partisans du mouvement autonome ont érigé des barricades près de la frontière polonaise, empêchant le trafic de se rendre dans la région.
Alors que les tensions s’embrasaient près de la frontière de l’Ukraine avec la Pologne, le premier ministre polonais, Donald Tusk, a déclaré à la télévision polonaise qu’il avait ordonné aux hôpitaux de s’apprêter à recevoir des réfugiés ukrainiens.
Tusk a dit que la Hongrie et la Slovaquie étaient en train de prendre des dispositions identiques en ajoutant, « Ce qui se passe actuellement ce n’est pas une guerre mais la situation pourrait à n’importe quel moment échapper à tout contrôle… Nous sommes prêts pour le cas de figure le plus pessimiste. »
Les provocations des groupes et des voyous d’extrême droite ont été accueillies avec un silence assourdissant de la part des politiciens et des médias occidentaux qui ont uniformément attribué la responsabilité de la crise en Ukraine au régime d’Ianoukovitch et à la Russie.
La Maison Blanche et la bureaucratie de l’UE à Bruxelles sont tout à fait disposées à permettre que ces forces déstabilisent l’Etat grâce à la violence dans les rues tandis qu’elles mènent une campagne pour obliger le gouvernement d’Ianoukovitch à quitter le pouvoir. Les Etats-Unis et les puissances de l’UE s’efforcent d’imposer un régime marionnette en Ukraine qui s’engage à appliquer la politique d’austérité exigée par le Fonds monétaire International et adopte une attitude bien plus conflictuelle à l’égard de la Russie.
Durant son voyage au Mexique, le président américain Obama avait publiquement critiqué le rôle joué par le gouvernement russe en Ukraine. « M. Poutine a un avis différent sur un grand nombre de ces questions [les libertés fondamentales de la population] et je ne pense pas qu’il y ait en rien un secret à ce sujet, » a dit Obama.
« Aux Etats-Unis, notre approche est de ne pas les considérer comme un échiquier de la guerre froide dans laquelle nous sommes en concurrence avec la Russie, » a-t-il poursuivi. « Notre objectif est de garantir qu’en Ukraine les gens soient eux-mêmes en mesure de prendre des décisions quant à leur avenir. »
En fait, la politique agressive menée par le gouvernement Obama en Europe centrale est la continuation de celle du gouvernement Bush, qui avait cherché à miner l’influence exercée par la Russie sur les anciennes républiques soviétiques et les anciens alliés du bloc de l’est en Europe, ainsi que les anciennes républiques soviétiques en Asie. Le véritable contenu se cachant derrière la fanfaronnade d’Obama au sujet des aspirations démocratiques a été on ne peut plus clairement illustré par les récents commentaires faits par Victoria Nuland, la sous-secrétaire d’Etat américaine aux Affaires européennes et asiatiques.
Lors d’une conversation téléphonique rendue publique avec l’ambassadeur américain en Ukraine, Nuland, l’épouse du néo-conservateur partisan de la guerre froide Robert Kagan, avait présenté son cas de figure préféré en faveur d’un futur gouvernement ukrainien, en rejetant l’opinion des dirigeants européens par la phrase « Fuck the EU » [que l’UE aille se faire foutre].
Nuland avait précédemment souligné l’importance géostratégique de l’Ukraine pour les Etats-Unis et dit lors d’une conférence internationale d’affaires que les Etats-Unis avaient investi 5 milliards de dollars dans les ONG et autres organisations opposées au régime d’Ianoukovitch.
En Libye et en Syrie, le gouvernement Obama et ses alliés européens ont été prêts à recourir aux forces politiques les plus réactionnaires pour entraîner un changement de régime. A présent, ils soutiennent en Ukraine les groupes d’extrême-droite pour obtenir l’éviction du gouvernement élu d’Ianoukovitch. En faisant cela, ils plongent le pays dans la guerre civile et provoquent son éclatement.
(Article original paru le 21 février 2014)