Le gouvernement conservateur du Canada et ses services de renseignement défendent obstinément le pouvoir que s'est attribué l'État d'espionner les communications électroniques des citoyens canadiens.
Pendant des mois, ils ont cherché à cacher le fait que le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC) enregistre et analyse les métadonnées d'appels téléphoniques, de messages textes et d'usage internet de Canadiens au moins depuis 2005, en l'enfouissant sous une montagne de désinformation, de demi-vérités, et de mensonges.
Mais le mois dernier, ils ont changé d'approche après que la CBC (Société Radio-Canada), se basant sur un document dévoilé par le dénonciateur de la NSA Edward Snowden, ait exposé le programme pilote CSTC-NSA d'interception de métadonnées. En 2012, le CSTC a intercepté toutes les communications Wi-Fi dans un aéroport canadien et a ensuite espionné l'utilisation d'ordinateurs et de téléphones cellulaires des personnes dont ils avaient intercepté les données pendant deux semaines.
En réponse à la réaction publique provoquée par le rapport de la CBC, le gouvernement conservateur et l'appareil de sécurité nationale canadien ont effrontément prétendu que l'État avait le droit inconditionnel de faire la collecte et l'analyse des métadonnées des Canadiens. De telles activités d'espionnage représentent un viol flagrant des droits à la vie privée protégés par la constitution, mais le gouvernement, citant des directives top-secrètes émises par le ministre de la Défense, affirme qu'elles sont «légales».
Le gouvernement et les représentants du CSTC en ont profité pour sauvagement dénoncer Edward Snowden et la CBC, affirmant que leurs révélations «illégales» et «non-autorisées» d'informations secrètes mettaient la sécurité de Canadiens en péril.
Lors d'une réunion du comité du Sénat sur la sécurité et le renseignement le 3 février, le conseiller en matière de sécurité nationale du premier ministre, Stephen Rigby, a dit qu'il «est bien connu» que le CSTC espionne les métadonnées de Canadiens. «Ça ne … compromet pas les communications privées, a-t-il affirmé. Ce sont des données sur des données et donc bien à l'intérieur des limites des opérations du CSTC.»
Le commentaire de Rigby sur les «données de données» articule le prétexte pseudo-juridique du gouvernement et de l'appareil de sécurité nationale canadien qui été inventé pour contourner les barrières constitutionnelles sur l'espionnage des communications électroniques des Canadiens. Ils prétendent que les métadonnées générées par toute communication électronique sont séparées de leur contenu et peuvent ainsi être scrutées par l'État à volonté, c'est-à-dire sans suspicion de méfait criminel et sans autorisation légale.
Comme de nombreuses personnes l'ont fait remarquer, à travers la collection et l'analyse de métadonnées (ce qui inclut des signaux émis régulièrement par des unités électroniques mobiles), l'État peut rapidement établir le profil détaillé d'un individu ou d'une organisation. Cela inclut l'identification de comportements quotidiens récurrents, amis et associés, lieux de travail et opinions politiques.
Le programme que le CSTC utilise pour l'espionnage Wi-Fi d'aéroport pourrait par exemple être utilisé pour identifier et tracer les déplacements subséquents de quiconque aurait participé à une manifestation ou un rassemblement anti-gouvernement.
S'adressant au même comité du Sénat que Rigby, le directeur du CSTC, John Forster, a invoqué des arguments purement sémantiques prétendant que le CSTC, avec son programme d'espionnage d'aéroport aurait agit légalement. Il a prétendu que CSTC n'avait pas «ciblé» ou «suivi» des Canadiens; il avait uniquement suivi la trace de leurs appareils électroniques!
Soutenant que le CSTC aurait besoin du pouvoir sans restrictions de faire la collecte de métadonnées des communications des Canadiens, Forster a aussi malhonnêtement prétendu que les métadonnées des Canadiens était un outil important afin de permettre à l'agence de «s'assurer que nos services de renseignement se consacrent à des cibles étrangères».
Forster a affirmé que le CSTC n'utilisait pas les métadonnées afin de bâtir des «profils» des Canadiens. Aux côtés de Forster, le chef du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Michel Coulombe, a dit au comité du Sénat que son organisation, l'autre principal service de renseignement du pays, ne pratique pas l'«espionnage de masse».
Ces garanties n'ont aucune valeur. Comme le prouvent leurs déclarations selon lesquelles les métadonnées n'ont pas de protection constitutionnelle, et l'affirmation de Forster selon laquelle le CSTC n'aurait pas «ciblé» ou «suivi» des Canadiens dont l'utilisation Wi-Fi a été espionnée pendant deux semaines, les chefs des services de renseignement du Canada déforment constamment le sens des mots, leur attribuant une signification qui sert leur cause.
Le CSTC, faut-il le rappeler, a une longue histoire bien documentée de mensonges au public et aux tribunaux.
En ce qui concerne le CSTC, qui fonctionne sous l'autorité de directives ministérielles qui ne sont que connues par une poignée de ministres et une cabale d'agents des services de renseignement, il est l'un des partenaires les plus proches du NSA et de ses opérations illégales d'espionnage mondial. En fait, le mot «partenaire» ne fait pas justice à l'intégration du CSTC au NSA. Les deux agences d'espionnage ne s'échangent pas seulement constamment des informations, ils partagent des programmes et du personnel et la NSA confie des opérations au CSTC.
Commentant l'audition au Sénat, Thomas Walkom du Toronto Star écrit, «le ton adopté lors du questionnement était terriblement respectueux, même quand les chefs de l'espionnage admettaient se sentir libre d'espionner les communications de tous les Canadiens et que, dans un certain nombre de cas, c'est exactement ce qu'ils faisaient».
Lors d'un débat à la Chambre des communes, le gouvernement conservateur a mené une défense du CSTC et de son espionnage de métadonnées. Le gouvernement a rejeté tout questionnement du droit de l'État à accéder aux métadonnées des canadiens: cela est «légal» parce que les directives ministérielles qui datent de 2005 ont statué qu'il en était ainsi, et parce que le commissaire du CSTC (le responsable désigné par le gouvernement pour apparemment s'assurer que le CSTC ne transgressent pas les droits des Canadiens) est d'accord.
Les conservateurs n'ont pas hésité à suggérer que des directives ministérielles, que personne n'a vu, qui ne sont pas approuvées par le parlement ou testées en cour, peuvent simplement avoir priorité sur les droits démocratiques fondamentaux des citoyens.
Ils n'ont cessé d'accuser l'opposition d'être «molle» sur la question du terrorisme et de la sécurité publique à cause d'affirmations qui suggèrent que le CSTC est coupable d'«activités illégales», et ont dénoncé leurs opposants politiques de la grande entreprise comme étant des alarmistes qui minent la confiance publique envers les institutions clés de l'État.
Le discours du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, Chris Alexander, était typique à cet égard. En réponse au député libéral qui avait manifesté son inquiétude par rapport au fait qu'il aurait pu être ciblé par les activités d'espionnage en passant par l'aéroport d'Ottawa, le ministre a déclaré, «s'il ne veut pas être surveillé, il n'a qu'à laisser son téléphone à la maison». Alexander, tout comme de nombreux participants conservateurs au débat du 4 février, se sont moqués de l'affirmation des libéraux que la collecte de données du CSTC est illégale, car c'est un gouvernement libéral qui l'a d'abord autorisé en 2005. Il a conclu sa tirade en attaquant l'opposition pour sa critique du CSTC basé sur des documents rendus accessibles par Edward Snowden, «invité» du président russe Poutine, et «fugitif de la justice américaine».
Le gouvernement a insisté sur l'idée que le nuage impénétrable de secret qui entoure le CSTC, le protégeant de toute supervision parlementaire, pour ne pas dire du public, ne doit pas être dissipé. Les conservateurs ont accusé les partis d'opposition de vouloir obstruer le CSTC et le SCRS avec des mesures bureaucratiques qui rendraient leurs activités le sujet de «partisanerie politique».
L'opposition officielle, le NPD appuyé par les syndicats et les libéraux, a fait tout ce qu'elle a pu pour affirmer publiquement son appui au travail «important» des services de renseignement du Canada. Elle a aussi soutenu que sa proposition pour un comité spécial de la Chambre des communes, composé de députés approuvés par le SCRS et tenus au silence pour recevoir des rapports de renseignements top-secrets, visait à rétablir la confiance en l'appareil de sécurité nationale. L'exemple des comités de renseignement du Congrès américain a été invoqué en tant que modèle à suivre. Ces comités ont approuvé les opérations d'espionnage de la NSA, incluant son espionnage systématique et illégal des communications des Américains.
En juin 2013, les activités de collecte et l'analyse systématique des métadonnées des communications électroniques des Canadiens a été révélée au public. Mais jusqu'à tout récemment, les partis d'opposition, ce qui inclut le Bloc québécois et les Verts, ont refusé d'en faire un débat. Le mécontentement public face au programme d'espionnage d'aéroport NSA-CSTC les a forcés à découvrir malgré eux que la collecte de métadonnées est illégale et une menace pour les droits fondamentaux des Canadiens. Mais ils continuent à appuyer le gouvernement et l'État en cachant le vaste développement des pouvoirs et de l'appareil des services de renseignement qui prend place depuis 2001 au nom de «la guerre contre le terrorisme» ainsi que le fait que sa cible réelle est la classe ouvrière. C'est pourquoi, lors du récent début sur le CSTC, pratiquement personne n'a mentionné le partenariat avec le NSA et les opérations illégales que ces organisations ont menées ensemble dans le monde.
(Article original paru le 6 février 2014)