Profitant de la levée depuis le 1er janvier des contrôles temporaires sur la circulation des Roumains et des Bulgares en quête de travail en Europe, les médias et l’establishment politique britanniques ont intensifié leur dénonciation des migrants.
Ces contrôles, mis en place pour la Roumanie et la Bulgarie lorsque ces pays ont rejoint l’Union européenne (UE) en 2007, ont également été levés dans huit autres pays qui les avaient imposés à l’époque, notamment l’Allemagne et la France.
Dans une atmosphère de sinistres insinuations selon lesquelles des hordes d’étrangers descendaient sur la Grande-Bretagne pour venir prendre les emplois et réclamer de l’aide sociale comme «touristes de prestations», le gouvernement a rapidement imposé des changements draconiens aux prestations d’aide sociale dès la mi-décembre. Ces changements empêchent les immigrés de demander des allocations de chômage pendant trois mois et les menacent de coupure de tout soutien après six mois sans travail. En l’absence d’emploi, les migrants peuvent être bannis du pays pendant un an.
Ces mesures sont arrivées dans le sillage de mouvements pour faire payer les migrants utilisant les services de soins de santé, y compris les soins d’urgence. Les immigrants qui cherchent à accéder aux soins d’un médecin généraliste seront appelés à contribuer financièrement.
Cette campagne a été menée par les éléments les plus à droite du Parti conservateur au pouvoir, ainsi que par l’UKIP, le United Kingdom Independence Party (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni). Quatre-vingt-dix députés conservateurs d’arrière-ban ont exhorté le premier ministre David Cameron à maintenir les contrôles de la Grande-Bretagne sur les travailleurs migrants venant de Bulgarie et de Roumanie en vertu d’une disposition de l’UE qui permet d’imposer des restrictions à la liberté de mouvement dans le but d’empêcher d’importantes perturbations sur le marché du travail.
Cameron a indiqué qu’un réexamen du droit de libre circulation des personnes pourrait être effectué par son gouvernement dans le cadre de la renégociation des relations de la Grande-Bretagne avec l’UE. Il a suggéré que l’immigration sans restriction provenant des autres États de l’UE ne devrait être autorisée que si ceux-ci avaient atteint un niveau économique similaire au Royaume-Uni, et que des restrictions devraient rester en place pour les autres pays.
Les immigrants sont pris comme boucs émissaires dans tout le continent. En Allemagne, la chancelière conservatrice Angela Merkel a annoncé la création d’une commission d’enquête interministérielle pour étudier la question de l’immigration, après qu’un accord ait été conclu entre son parti, les chrétiens-démocrates (CDU), et les partenaires de sa coalition, les sociaux-démocrates. Le débat en Allemagne était tout aussi hostile. Elmar Brok, membre dirigeant de la CDU au Parlement européen, a demandé que l’on prenne les empreintes digitales de tous les immigrants en provenance de Roumanie et de Bulgarie, et que tous ceux qui viennent demander des prestations d’aide sociale «soient rapidement renvoyés dans leur pays».
La question de l’immigration est utilisée par le gouvernement conservateur-libéral-démocrate britannique pour aller de l’avant avec de nouvelles attaques contre le système de protection sociale, les services publics et les salaires. Des propositions ont été faites pour réformer les prestations selon un système contributif, en vertu duquel il serait nécessaire de payer des impôts avant de recevoir de l’aide sociale. Cela n’aurait pas seulement une incidence sur les nouveaux migrants, mais aussi sur de nombreux travailleurs, en particulier les jeunes, qui ont peu de possibilité d’obtenir un véritable emploi en raison de la plus grave crise économique depuis les années 1930 et du plan de sauvetage de l’élite financière.
Un article du Daily Telegraph sur cette question se lisait comme suit : «Le Royaume-Uni doit réformer son système de protection sociale pour le rendre moins facile à exploiter. Cela n’a aucun sens que les contribuables qui ont payé toute leur vie soutiennent généreusement ceux qui viennent d’arriver.»
De la même façon pour les soins de santé, le gouvernement fait pression pour que le service de santé national devienne une filiale virtuelle de l’Agence des services frontaliers du Royaume-Uni, en imposant des droits et des taxes punitives sur toute personne jugée inadmissible à recevoir des soins gratuits.
Au printemps, des mesures doivent être mises en place pour contraindre les locateurs à signaler le statut d’immigration de leurs locataires. Des amendes seront infligées à ceux qui ne parviennent pas à fournir au gouvernement les renseignements nécessaires, ou qui louent un logement à des immigrants «illégaux».
Bien que le cadre réactionnaire du «débat» sur l’immigration ait été accepté par l’ensemble de l’establishment politique, des préoccupations ont été émises au sujet du langage extrême et agressif utilisé par certains politiciens et l’impact que la répression sur l’immigration pourrait avoir sur la réputation et la compétitivité internationales de la Grande-Bretagne contre ses rivaux économiques. Des sections de la bourgeoisie ont souligné la précieuse source de main-d’œuvre à bon marché que produit l’immigration en provenance des pays d’Europe de l’Est où l’appauvrissement de l’ensemble de la classe ouvrière a été imposé grâce à la pleine collaboration des syndicats.
Le rôle le plus méprisable a été joué par le Parti travailliste et ses alliés dans ce qui passe pour être l’establishment des médias dits libéraux et de gauche. Le Parti travailliste a entièrement adopté le langage nationaliste et chauvin de droite dominant le discours public, cherchant même à surpasser les conservateurs en prenant des engagements pour lutter contre l’immigration excessive.
Le leader travailliste Ed Miliband a déclaré à plusieurs reprises que le dernier gouvernement travailliste a laissé l’immigration devenir «hors de contrôle» et que la même erreur ne sera pas répétée. En décembre, il a accusé le gouvernement d’être «à moitié préparé» sur la question de l’immigration.
L’objectif de longue date de Miliband est d’imposer un brusque virage à droite au Parti travailliste afin d’assumer un «conservatisme national unanime». Il a engagé le Parti à imposer des restrictions strictes contre l’immigration et à renforcer l’exigence que les immigrants parlent anglais.
Écrivant dans le Sunday Independent la fin de semaine dernière, Miliband a attaqué les immigrants, les désignant comme à la source de la crise sociale que les travailleurs confrontent, déclarant : «À moins d’agir pour changer notre économie, l’arrivée d’immigrants peu qualifiés risque de rendre le problème de la crise du coût de la vie encore pire pour ceux qui éprouvent des difficultés.»
Dans une entrevue accordée le 1er janvier, alors que les premiers nouveaux arrivants en provenance de Roumanie et de Bulgarie faisaient les manchettes, David Hanson, porte-parole travailliste en matière d’immigration, dénonçait l’échec du gouvernement à «protéger» les travailleurs britanniques.
Sa position a été soutenue par Yvette Cooper, secrétaire d'État à l'Intérieur du cabinet fantôme, qui a affirmé que le principal problème des travailleurs britanniques était de voir l’abaissement de leurs salaires à cause des immigrants, et que la réponse à cela devait être une application plus stricte du maigre salaire minimum actuel aux travailleurs britanniques.
Le Guardian a assumé la tâche de dissimuler le caractère explicitement de droite des travaillistes sur la question de l’immigration. Dans son article intitulé «Le Parti travailliste peut mettre fin à l’hostilité contre l’immigration venant de la gauche» («Labour can end the hostility to immigration on the left»), Peter Wilby cherche à travestir la réalité en blâmant les travailleurs pour le chauvinisme anti-immigrés qui est alimenté par l’élite dirigeante au Royaume-Uni.
Selon Wilby, la direction du Parti travailliste représente les quelques éclairés qui ont embrassé le multiculturalisme et les avantages de l’immigration. Mais ils sont freinés par les vues arriérées de la classe ouvrière. Wilby affirme que «Le Parti travailliste a toujours été une alliance précaire de libéraux de la classe moyenne, détenant généralement la plupart des postes de direction, et les partisans de la classe ouvrière qui, s’ils ne sont pas toujours réactionnaires, ont tendance à ne pas répondre aux normes exigeantes des tables à dîner de Hampstead ou Islington.»
Montrant un mépris total pour l’expérience de millions de travailleurs avec le Parti travailliste au cours des dernières décennies, Wilby a affirmé: «La direction libérale s’en tire avec des limitations minimales sur l’immigration, les lois contre le racisme, l’abolition de la peine capitale, la réforme des lois à l’égard des homosexuels et autres politiques qui (du moins au début) n’ont pas une oreille attentive dans les masses, tant qu’elle offre des salaires plus élevés, de meilleurs services publics et l’amélioration des conditions de travail.»
De tels arguments reflètent le mépris à l’égard de la classe ouvrière que nourrissent les membres des couches privilégiées de la classe moyenne comme Wilby. Attribuer des sentiments anti-immigrants à la classe ouvrière est le pain quotidien de nombreux politiciens du Parti travailliste et de leurs apologistes. C’est là un moyen pour justifier leurs mesures pour diviser les travailleurs et détourner leur attention de la véritable source de l’aggravation de la crise économique et sociale qui découle des attaques sociales brutales de l’élite dirigeante qui veut faire payer les travailleurs pour la crise du capitalisme qui ne cesse de s’aggraver.
(Article original paru le 7 janvier 2014)