Le président français François Hollande s’est rendu en Arabie saoudite pour y rencontrer dimanche et lundi des responsables saoudites et libanais. Il était accompagné de 30 hommes d’affaires et quatre ministres de haut rang, dont le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius et le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian.
Hollande s’est entretenu en aparté avec le prince héritier Salman bin Abdulaziz, le monarque saoudien Abdullah ibn Abd al-Aziz Saoud, l’ancien premier ministre Saad Hariri et le dirigeant de l’opposition syrienne, Ahmed Jarba.
Le principal objectif de la visite de Hollande était de soutenir la poursuite de la guerre sectaire menée par les forces d’opposition contre le régime du président syrien Bachar al-Assad en armant jusqu’aux dents les forces sunnites du Liban voisin. Il a signé un contrat d’armement avec l’Arabie saoudite qui promet d’octroyer une aide royale de 3 milliards de dollars pour l’achat d’armes françaises destinées à l’armée libanaise. L’aide représente deux fois le budget militaire total du Liban qui, comme la Syrie, est une ancienne colonie française.
Suite à l’assassinat vendredi dernier de l’ancien ministre libanais des Finances, Mohammad Chatah, dans un attentat à la voiture piégée, la situation au Liban occupait une place prioritaire sur l’ordre du jour. Les deux dirigeants ont exprimé leurs inquiétudes quant au rôle que joue l’Iran dans la région. Les autres sujets concernaient la guerre civile en Syrie, le conflit israélo-palestinien, la situation en Egypte et la multiplication des liens commerciaux entre l’Arabie saoudite et la France.
Lors d’une conférence de presse à l’ambassade de France à Riyadh, Hollande a promis son « soutien à la coalition nationale syrienne. » Il a dit que les deux pays partageaient « la volonté d’œuvrer pour la paix, la sécurité et la stabilité au Moyen-Orient. »
Hollande a aussi eu dimanche, en compagnie de son ministre des Affaires étrangères, un entretien de 40 minutes avec l’ancien premier ministre libanais, le milliardaire Saad Hariri du mouvement libanais, Courant du Futur. Avant la rencontre, Fabius avait dit que le message de Hollande serait de réitérer que Paris « amie des Libanais et du Liban, plaide pour l’intégrité et l’indépendance » du Liban.
Hariri a salué la volonté de la France d’armer l’armée libanaise et a remercié le roi Abdullah pour l’« aide historique sans précédent » du contrat d’armement.
Hollande et son ministre de la Défense ont également rencontré Ahmed Jarba, président de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution syrienne (CNFOR).
Fabius a dit à Jarba qu’il approuvait la participation de l’opposition à la conférence Genève-2 prévue pour le 22 janvier. Il a promis que la France soutiendrait l’« opposition modérée et en aucun cas les mouvances terroristes qui font paradoxalement le jeu » d’Assad qui a-il-prétendu recourait à la menace des « extrémistes… pour faire pression sur l’opposition modérée. »
Ceci est une esquive cynique visant à dissimuler le fait qu’en Syrie, la France, avec l’Arabie saoudite, les Etats-Unis et leurs alliés ont soutenu un assortiment de milices sunnites islamistes et de bandes criminelles liées à al Qaïda.
La France qui, l’année dernière, avait énergiquement demandé des frappes aériennes contre la Syrie, avant que les Etats-Unis ne changent leur politique en entamant des négociations avec l’Iran, allié clé la Syrie, continue de fournir de l’aide aux « rebelles » syriens réactionnaires. Hollande persiste à dire qu’une solution politique laissant Bachar al Assad au pouvoir est inacceptable.
Les énormes livraisons d’armes françaises vers le Liban, qui sont financées par la famille royale saoudienne, représentent une intervention renouvelée de l’impérialisme français dans son ancienne colonie.
Les références faites par Hollande et Fabius à la stabilité régionale et à l’indépendance libanaise visent à masquer le caractère de la visite. En fait, cette vente d’armes sans précédent représente une intensification du rôle joué par la France dans le conflit soutenu par l’impérialisme en Syrie et au Liban, tous deux d’anciennes colonies françaises.
L’industrie de l’armement française est censée bénéficier d’une relance de ses profits aux dépens de la population saoudienne. Bien que recélant les plus riches réserves pétrolières du monde, la société saoudienne est caractérisée par d'énormes inégalités. Un quart de la population vit dans la pauvreté, le chômage des jeunes atteint 30 pour cent et une importante main-d’œuvre de travailleurs migrants travaille dans des conditions épouvantables sur les champs pétroliers et les chantiers de construction du pays.
D’autre part, la famille royale corrompue et ultra-riche monopolise des dizaines de milliards de dollars a ses propres fins réactionnaires. Les dépêches de WikiLeaks avaient révélé qu’une poignée de princes saoudiens avaient engrangé dans les années 1990 des revenus allant jusqu’à 1 million de barils de pétrole par jour tandis que des milliers d’autres membres de la famille royale recevaient des rémunérations plus petites.
La monarchie saoudienne se sert d’une autre portion des bénéfices du pays pour faire valoir son influence dans la région, en devenant un instrument des ambitions des Etats-Unis, de la France et d’autres puissances impérialistes.
Les Etats-Unis ont maintenant changé leur tactique régionale en faveur de négociations directes avec l’Iran mais les conséquences de leur politique subsistent sous la forme d’un conflit qui menace de précipiter toute la région dans une guerre civile entre des sectes rivales et des groupes tribaux.
L’Arabie saoudite continue de soutenir l’opposition en Syrie en jetant de l’huile sur le feu d’un conflit qui s'est propagé l’année dernière à l’Irak et au Liban. La monarchie saoudienne considère le changement de politique des Etats-Unis comme une grave menace envers sa propre position économique et politique et a refusé d’être liée par un quelconque accord occidental avec l’Iran et la Syrie.
« La monarchie saoudienne ne peut pas concevoir le fait qu’Assad puisse survivre à cette crise pour ensuite se retourner contre elle, » a dit à l’Associated Press Ali al-Ahmet, directeur de l’Institut pour les affaires du Golfe à Washington. « Elle rejette cette éventualité et est prête à faire tout son possible pour faire partir Assad. »
Le Hezbollah, qui se trouve dans le camp opposé dans le conflit syrien, insiste en disant être la principale cible du contrat d’armement franco-saoudien. Une source au sein de l’Alliance du 8 Mars, qui est dirigée par le Hezbollah, a dit au journal An Nahar que « l’aide saoudienne est liée à une prolongation du mandat de Suleiman vu que l’Arabie saoudite vise à contrôler l’armée dans le but d’affronter [Hezbollah]. »
Un éditorial caustique du rédacteur en chef d’Al-Akhbar, Ibrahim al-Amin, est consacré au président Michel Suleiman, l’accusant de se plier aux caprices de la France et de l’Arabie saoudite. « Lors de votre dernière visite à Riyadh, celui qui a offert de l’aide vous a dit que le devoir de l’armée était de lutter contre le Hezbollah, de le désarmer et d’empêcher qu’il n’aille en Syrie. Il vous a dit que c’était la condition préalable à un soutien de l’armée, » a écrit al-Amin.
Un autre article paru dans Al-Akhbar affirme que le don de 3 milliards de dollars était conditionnel à la formation d’un gouvernement excluant le Hezbollah. Il subordonne le don à une annonce précédente de Suleiman d’avoir l’intention de former un « gouvernement neutre » excluant le Hezbollah la première semaine de janvier.
Les représentants de l'Alliance du 8 mars ont dit à Al-Akhbar que « la décision de former un gouvernement de facto fait partie de la guerre que l’Arabie saoudite est en train de mener dans la région, de la Syrie et de l’Irak, au Liban et à Bahrein. » Ils ont menacé de prendre d'assaut le siège du premier ministre s’ils sont exclus du gouvernement.
(Article original paru le 3 janvier 2014)