L'habeas corpus, le droit au silence, et le droit de contester ses accusateurs, tous des principes juridiques démocratiques fondamentaux ont été niés au nom de la lutte contre le terrorisme dans une nouvelle loi votée à toutes vapeurs par le gouvernement conservateur du Canada.
La Loi sur la lutte contre le terrorisme réintroduit deux mesures qui étaient auparavant incluses dans la loi antiterroriste de décembre 2001 : la détention préventive et les audiences d'investigation. Elles étaient devenues inopérantes en 2007 à cause d’une «clause crépusculaire» . La nouvelle loi augmente la sévérité des sentences pour les personnes qui refusent de coopérer avec des audiences d'investigation et criminalise le voyage à l'étranger ou la tentative de quitter le Canada pour commettre des actes terroristes.
Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et la force de police nationale du Canada, la Gendarmerie royale du Canada (GRC), ainsi que Stephen Harper et ses conservateurs, ont pendant longtemps fait pression pour faire réintroduire la détention préventive et les audiences d'investigation.
La Chambre des communes devait débattre de la loi sur la lutte contre le terrorisme plus tard cette année. Mais le vendredi 19 avril — le même jour où les autorités des États-Unis ont placé Boston sous état de siège utilisant le prétexte de la poursuite d'un terroriste de 19 ans — le gouvernement a annoncé que le dernier débat sur la loi commencerait le lundi suivant. Ensuite, lundi le 22, dans ce qui était manifestent un spectacle politiquement orchestré de manière à favoriser un passage rapide de la loi antiterroriste du gouvernement, la GRC a annoncé l'arrestation de deux terroristes réputés associés à Al Qaeda. On a appris par la suite que la police les suivait depuis 8 mois et qu'il n'y avait aucune menace d'attentat imminente. (Voir en anglais : Canadian government unveils “terror plot” as it adopts draconian new law)
Adoptée de façon accélérée par le gouvernement libéral de Jean Chrétien dans les jours qui ont suivi les attaques du 11 septembre 2001, la Loi antiterroriste a créé une nouvelle catégorie de crimes motivés politiquement ou idéologiquement, sujette à de peines plus sévères, et a donné le pouvoir à la police de mettre de côté des libertés civiles vieilles de plusieurs siècles.
Les critiques de cette loi ont soulevé qu'elle donnait une définition très large du «terrorisme», une définition si floue que l'État pourrait l'appliquer à des actes d'opposition et de désobéissance civile ou à des grèves politiques.
Par contre, avant que la Loi antiterroriste de 2001 des libéraux soit adoptée, elle avait principalement été critiquée pour permettre la détention préventive (c'est-à-dire, l'arrestation sans motif d'accusation) et les audiences d'investigation. Concédant que ces deux nouveaux pouvoirs constituaient une rupture avec la pratique de la démocratie, le gouvernement a ultimement accepté de les soumettre à une «clause crépusculaire» selon laquelle elles expireraient après cinq ans sauf si le parlement votait expressément pour leur prolongation.
Ce sont ces pouvoirs, pouvoirs qui d'après le gouvernement n'ont jamais été utilisés pendant les cinq années durant lesquelles ils faisaient partie de l'arsenal de l'État, que les conservateurs ont maintenant réintroduits. «Nous donnons à la police les outils dont elle a besoin, outils qu'elle a demandés » a dit Candice Berge, la secrétaire parlementaire au ministre de la Sûreté publique, pour justifier la Loi sur la lutte contre le terrorisme.
La détention préventive donne à la police le pouvoir d'arrêter et de retenir des individus sans motif d'accusation pendant trois jours si elle pense qu'ils sont impliqués ou ont connaissance d'un futur acte terroriste. Si la police n'a toujours pas de preuves qui lui permettraient d'incriminer l'individu détenu à la conclusion des trois jours, elle peut aller devant un juge et demander l'imposition de «l'engagement assorti de conditions». Ces conditions, qui peuvent être imposées pendant un an, sont pratiquement arbitraires. Elles peuvent inclure de sévères restrictions sur la liberté de mouvement et de communication d'un individu jusqu'à l'exigence de rester régulièrement en contact avec la police pour l'informer de ses activités.
Toute personne soumise à une détention préventive n'a pas la possibilité de faire face à ses accusateurs ou de contester les preuves retenues contre elle. Tout non-respect des conditions imposées peut résulter en un an d'emprisonnement.
Alors que la détention préventive ne tient aucunement compte de l'habeas corpus, les audiences d'investigation, elles, nient complètement le droit au silence.
En vertu de la Loi sur la lutte contre le terrorisme des conservateurs, comme c'était le cas précédemment sous la Loi antiterroriste des libéraux, la police et la Couronne peuvent demander à la cour de convoquer une audience d'investigation afin de forcer des individus dont ils pensent qu'ils détiennent des informations concernant un acte terroriste planifié ou commis à répondre à leurs questions. Un individu convoqué devant une audience d'investigation ne peut pas contester les raisons pour lesquelles il a été convoqué. S'il refuse de comparaître devant la cour, ou s'il refuse de répondre à une question qu'on lui pose, il peut être emprisonné pendant un an.
Lors d'un échange révélateur en novembre dernier, en réponse à une question d'un député néo-démocrate, Donald Piragoff, un haut fonctionnaire du ministère de la Justice, a dit qu'une personne qui avait refusé de répondre à des questions lors d'une audience d'investigation, et qui avait été emprisonnée pendant un an, pouvait être convoquée à nouveau après sa libération et réemprisonnée si elle refusait toujours de «coopérer». «Essentiellement», a conclu Randall Garrison du NPD, «elle pourrait être détenue en prison indéfiniment… sans être reconnue coupable de quoi que ce soit.»
Quelques voix se sont élevées contre la Loi sur la lutte contre le terrorisme, mais l'écrasante majorité de l'élite du Canada appuie le piétinement de protections fondamentales contre un pouvoir étatique arbitraire. Le Globe and Mail, la voix traditionnelle de Bay Street et le journal le plus influent du pays, a fortement appuyé la loi, tout comme l'ont fait la plupart des journaux du pays. Les libéraux, l’autre parti formant traditionnellement le gouvernement canadien, se sont joints aux conservateurs pour voter en faveur de la loi. L'opposition officielle, le NPD, a voté contre, mais a clairement signalé que c'était à contrecoeur. Mike Sullivan, un député du NPD de Toronto, s’est plaint : «Tout le long, nous avons suggéré que nous pourrions appuyer le projet de loi si certaines des libertés enlevées par le gouvernement étaient restituées ou protégées d'une autre manière.» Pour sa part, Garrison mentionné ci-dessus s'est plaint des coupes dans les services frontaliers et d'autres secteurs de l'appareil de sécurité nationale. «Alors,» a déclaré Sullivan, «si nous allons vraiment nous attaquer au terrorisme, trouvons le bon point d'équilibre entre les ressources dont nous avons besoin et les lois existantes.»
Dans une lettre qu’elle a fait parvenir au Comité de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes signifiant son opposition à la loi, la Section nationale de la justice criminelle de l'Association du Barreau canadien a souligné que ses dispositions cruciales représentent «un abandon de règles légales établies». Elle avertit que bien qu'en ce moment, les défenseurs de cette loi la justifient comme une exception pour traiter du «terrorisme,» elle pourrait bientôt devenir la norme. «Si ces sections deviennent une partie intégrante acceptée du tissu normal du droit criminel, la justification exceptionnelle originelle peut très bien être oubliée. L'explication générale, à savoir qu'elles rendent l'application des lois plus efficace, peut facilement être utilisée pour justifier leur extension au-delà de leurs limites présentes.»
Dans une déclaration publiée le 28 novembre 2012, l'Association canadienne des libertés civiles (ACLC) a averti en des termes encore plus tranchants que la loi «normalise des pouvoirs exceptionnels qui sont contraires aux principes démocratiques établis et menacent des libertés civiles durement acquises.»
La déclaration de l'ACLC dit qu’«une personne pourrait être contrainte de témoigner devant un tribunal, arrêtée, détenue ou assujettie à des conditions de mise en liberté, tout ceci sans accusation. Un individu n’aurait alors aucune possibilité de contester la base sur laquelle il est contraint de participer à des audiences d’investigation.»
Ces commentaires, bien qu’ils ne soient qu’une simple énonciation de principes démocratiques, sont une exception.
Imposant un programme impopulaire et socialement régressif d'austérité, de guerre impérialiste et de criminalisation de luttes ouvrières, la classe dirigeante du Canada est toujours plus indifférente et hostile aux droits démocratiques fondamentaux.