Perspective

Le scandale de l'espionnage contre l'Associated Press et la crise de la démocratie américaine

La saisie effectuée en secret par le gouvernement Obama des relevés de téléphone des journalistes de l'Associated Press (AP) est la dernière attaque en date contre les droits démocratiques fondamentaux aux États-Unis.

La semaine dernière, le ministère de la Justice a admis avoir obtenu un mandat en février de cette année pour requérir des compagnies de télécommunications deux mois de relevés téléphoniques sur une vingtaine de lignes utilisées par l'AP. Ce mandat faisait partie d'une enquête sur des allégations de fuites d'informations confidentielles qui auraient eu lieu l'année précédente.

Il est probable que bien d'autres organes de presse ont été ciblés de la même manière, et le gouvernement a refusé de répondre aux demandes de révéler quels autres relevés ont été saisis. Toute personne qui s'exprime auprès des médias sur un sujet quelconque peut partir du principe que ses numéros de téléphone et les informations sur ses contacts ont été ou pourraient être mis à la disposition du gouvernement par la décision secrète d'un magistrat.

Il pourrait difficilement y avoir une violation plus claire de la garantie de la liberté de la presse figurant dans le premier amendement.

Jeudi, Obama a fait ses premières remarques sur cette affaire dans une conférence de presse à la Maison blanche. Ses remarques révèlent que le président, qui a prêté serment de défendre la constitution, est entièrement indifférent aux principes démocratiques qu'elle proclame et qu'il les ignore.

Obama a affirmé que la liberté de la presse, droit garanti par le Premier amendement de la constitution, doit respecter un « équilibre » avec les prérogatives et les intérêts de l'appareil militaire et des services de renseignement. Cet argument qui revient pratiquement à annuler la déclaration claire contenue dans le Premier amendement selon laquelle aucune loi ne devra être promulguée « restreignant la liberté d'expression ou de la presse… » Mais d'après Obama, cette garantie constitutionnelle des droits du peuple peut être mise de côté quand elle interfère avec les opérations et les intérêts de l'Etat.

Dans une autre déclaration qui a révélé le cynisme du président et son indifférence envers les principes démocratiques articulés dans le Bill of Rights, Obama a affirmé que « la liberté de la presse, la liberté d'expression et la libre circulation de l'information contribuent à me faire répondre de mes actes […] et contribuent à faire fonctionner notre démocratie. »

Ainsi, pour Obama, qui d'après son CV officiel a enseigné le droit constitutionnel à l'Université de Chicago, la liberté de la presse et la liberté d'expression ne font que « contribu[er] à faire fonctionner notre démocratie. » Par ces mots, Obama affirme implicitement que la liberté de la presse et d'expression sont, en quelque sorte, extérieures à la démocratie, et qu'il peut y avoir une démocratie sans ces droits ! Elles peuvent simplement être utiles comme moyen de procédure, contribuant à la « démocratie. » Pourtant la « démocratie, » sans ces droits, est un mot creux. Quand des droits constitutionnels entrent en conflit avec les opérations menées par le Pentagone et la CIA, alors, d'après Obama, le gouvernement peut et doit les violer.

C'est l'antithèse de la démocratie. Obama a également été interrogé lors de cette conférence de presse sur son sentiment à propos des comparaisons faites entre les scandales qui fleurissent dans son gouvernement et ceux qu'il y avait eu sous Nixon. Le Président a écarté la question, disant au journaliste, « tirez vos propres conclusions. » En fait, Obama a mené des opérations qui vont bien plus loin que les délits et les méfaits pour lesquels Nixon a été contraint à démissionner en 1974.

Une mise en garde urgente est nécessaire : l'assaut contre les droits démocratiques est plus avancé que n'en a conscience le peuple américain. Chacun des droits démocratiques fondamentaux figurant dans le Bill of Rights – liberté de la presse, liberté d'association, liberté d'expression, protection contre les fouilles et les saisies sans mandat, le respect des procédures, le droit à un procès devant un jury et à un avocat, l'interdiction de la torture – a été systématiquement sapé.

Le scandale de l'AP est dans la droite ligne de la politique et des pratiques du gouvernement Obama, qui est le plus antidémocratique de l'histoire des États-Unis. Obama a attaqué en justice six responsables actuels ou passés du gouvernement pour avoir divulgué des informations confidentielles, soit deux fois plus que tous les autres présidents réunis.

Le gouvernement a déclaré le droit d'assassiner quiconque, n'importe où, y compris des citoyens américains, sans avoir à respecter aucune procédure. Au début de l'année, le ministre de la Justice Eric Holder a déclaré que le président a le droit d'ordonner l'assassinat d'un citoyen américain sur le sol des États-Unis.

Parallèlement, le gouvernement augmente ses opérations d'espionnage sur le peuple américain. Le gouvernement se prépare à faire passer une nouvelle loi qui lui permettra de se renseigner directement auprès de Facebook, Google, et d'autres compagnies d'internet, ce qui est une extension majeure des efforts du gouvernement pour obtenir l'accès à toutes les communications informatiques.

De plus, les révélations de l'AP interviennent tout juste un mois après les attentats du marathon de Boston, qui a été suivi de la fermeture militaro-policière de toute la ville. Ce précédent a été établi pour répondre à tout événement de la sorte par ce qui équivaut à la loi martiale et à l'abrogation des protections constitutionnelles contre les fouilles sans mandat.

Deux facteurs essentiels sous-tendent la destruction de la démocratie américaine : la concentration sans précédent de richesses entre les mains d'une minuscule fraction de la population et l'expansion sans fin de l'impérialisme américain à l'étranger.

Ces deux facteurs sont ancrés dans la crise du capitalisme américain et dans la nature de la classe dirigeante américaine. Écrivant en 1916, Lénine notait, « L'impérialisme est l'époque du capital financier et des monopoles, qui provoquent partout des tendances à la domination et non à la liberté. Réaction sur toute la ligne, quel que soit le régime politique, aggravation extrême des antagonismes dans ce domaine : tel est le résultat de ces tendances. »

L'aristocratie financière américaine « aspire à la domination, » aux États-Unis et partout dans le monde. Dirigée par Obama, la classe dirigeante s'est lancée dans un processus sans fin de pillage qui n'a fait que s'aggraver depuis le crash de 2008. Des milliers de milliards de dollars sont donnés aux banques, pendant que les services sociaux de base sont privés de ressources et qu'on enfonce la classe ouvrière toujours plus profondément dans la pauvreté.

Dans le même temps, il n'y a pas un endroit au monde où l'armée américaine et l'appareil des services de renseignement ne sont pas engagés dans un nœud incessant d'intrigues, des bombardements par drones, ou de véritables guerres et occupations. Lors de la même conférence de presse où il a défendu l'espionnage contre l'AP, Obama, se tenant aux côtés du premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, a lancé de nouvelles menaces encore plus belliqueuses contre la Syrie. Les États-Unis et leurs alliés européens préparent une intensification de la campagne contre le président syrien Bashar el-Assad, risquant de déclencher une guerre dans la région qui aura des conséquences désastreuses.

L'élite patronale et financière américaine, menant une politique profondément impopulaire à l'intérieur du pays comme à l'extérieur, est irrémédiablement en conflit avec les formes de gouvernement démocratiques. La défense de la démocratie est, par conséquent, une lutte contre la classe dirigeante et le système capitaliste sur lequel elle s'appuie.

(Article original paru le 17 mai 2013)

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