La commissaire à l’information du Canada, Suzanne Legault, a affirmé la semaine dernière qu’une enquête allait être menée sur les mesures que le gouvernement conservateur aurait imposées pour limiter les scientifiques dans leur partage de découvertes et d’idées avec les journalistes.
En février, Democracy Watch et l’University of Victoria Law Clinic ont porté plainte auprès de Legault, affirmant que le gouvernement avait transgressé la Loi sur l’accès à l’information en instituant «une politique pour forcer les scientifiques à se plier à diverses conditions avant de pouvoir s’adresser aux médias».
Ils soutiennent que le gouvernement manipule et musèle systématiquement la publication d’informations scientifiques en empêchant les scientifiques employés par l’État de parler librement aux médias, en refusant certaines demandes des médias et en préparant des réponses toutes faites qui seront répétées par les scientifiques lors des entrevues ou des présentations qui sont tolérées. De plus, lors des rares occasions où ces scientifiques ont droit de parole à des événements médiatisés, le gouvernement tente de les intimider en les faisant accompagner par des «gardiens» des communications et en demandant à des fonctionnaires d’enregistrer toutes leurs déclarations publiques.
Democracy Watch et l’University of Victoria Law Clinic ont présenté à Legault plusieurs exemples alarmants des accusations qu’ils portent contre le gouvernement. De nombreux cas soulevés concernent des enquêtes scientifiques sur des questions environnementales, dont le réchauffement climatique, l’épuisement des stocks de poissons et la prolifération des radiations (des inquiétudes avaient été suscitées à ce sujet dans la population suite aux défaillances de l’usine nucléaire de Fukushima au Japon en 2011). Les scientifiques recevaient l’ordre de ne pas parler aux médias et c’était routine pour ces derniers de ne pas obtenir l’autorisation de parler à des experts scientifiques.
Le bâillon qui est imposé à la communauté scientifique du pays coïncide avec un assaut croissant, de la part du gouvernement, sur la science en général.
Dans ses budgets 2012-2013 et 2014-2015, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a annoncé un énorme programme de coupes sociales dans lequel les dépenses discrétionnaires fédérales seront réduites de 9 milliards $ durant l’année financière 2013-2014 et de près de 60 milliards $ au cours des cinq prochaines années. Presque tous les programmes sont touchés, mais ceux liés à la recherche scientifique et environnementale le sont tout particulièrement.
En raison du nouveau processus gouvernemental «simplifié» d’examen du travail scientifique lié à l’environnement, 3000 études environnementales qui avaient été planifiées ont été annulées. Les stations de recherche dans les parcs nationaux du Canada sont fermées ou leur financement est réduit. Environnement Canada est amputé de 60 scientifiques et le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), de 100. Les coupes au CNRC font partie d’un recentrage de son mandat qui a été ordonné par le gouvernement. Le financement des projets en recherche fondamentale est réduit au profit de la recherche applicable à des fins commerciales.
Le gouvernement s’apprête à mettre un terme à des programmes de renommée mondiale, tels que l’Experimental Lakes Area (ELA) en Ontario. Situé dans une étendue sauvage de l’Ontario, l’ELA est constitué de 58 lacs et d’un laboratoire, et fournit un environnement unique pour tester l’impact de produits chimiques en milieu naturel. Ce programme a permis de recueillir des données précieuses sur les pluies acides et les effets des fertilisants sur la vie aquatique.
La réduction du financement consacré à la surveillance se fait aussi sentir. Une équipe de techniciens d’Environnement Canada – le seul groupe du pays qui est en mesure d’étudier les rejets, par les cheminées, de fumées cancérigènes – a été dissoute. En plus, une station hautement sophistiquée au Yukon, qui se consacre à l’étude de la réduction de la couche d’ozone, sera bientôt fermée et un projet d’étude sur l’impact des marées noires a été annulé.
Depuis qu’il a pris le pouvoir en 2006, le gouvernement Harper, dans le cadre de son programme plus général visant à favoriser la grande entreprise et ses profits aux dépens des travailleurs, a constamment cherché à affaiblir les organismes dédiés à la surveillance et à la protection de l’environnement. Déjà en 2008, il abolissait le poste de Conseiller national des sciences.
Tandis qu’ils tentent de faire du Canada une «superpuissance énergétique» par le développement rapide de la production de pétrole dans les sables bitumineux de l’Alberta, Harper et son gouvernement cherchent du même coup à minimiser, sinon nier, les dangers du réchauffement climatique.
Le Canada a été le premier pays à quitter le protocole de Kyoto portant sur les changements climatiques. Plus récemment, le gouvernement a entravé l’enquête publique sur le projet d’oléoduc Northern Gateway qui vise à acheminer le bitume de l’Alberta vers la côte pacifique, a calomnié des groupes environnementaux opposés au développement des sables bitumineux en les traitant de «radicaux» et de «non-Canadiens» et a menacé de leur retirer leur statut d’organisme de bienfaisance.
À la fin du mois dernier, le ministre des Affaires étrangères, John Baird, a annoncé que le Canada se retirait de la Convention de l’ONU sur la lutte contre la désertification – un organisme qui tente d’améliorer les conditions de sécheresse associées au réchauffement climatique.
Reprenant à son compte la rhétorique de la droite américaine, Harper s’oppose depuis longtemps à la recherche sur le réchauffement climatique, qu’il qualifie d’«expérimentale et contradictoire», et a caractérisé le protocole de Kyoto – une tentative vouée à l’échec de limiter le rejet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère – de «complot socialiste».
L’aversion du gouvernement Harper pour l’étude scientifique va beaucoup plus loin qu’une opposition aux règlementations environnementales. En 2010, il a aboli le format long du recensement national. Les données recueillies à l’aide de ce recensement long ont depuis longtemps servi d’arguments pour les groupes qui exigent le maintien et le développement des services publics.
Il y a aussi un autre aspect aux actions des conservateurs. L’assaut sur la science objective et sur la libre circulation de la pensée scientifique en général fait partie d’une campagne plus vaste visant à promouvoir l’ignorance et la réaction sociale.
Harper, un chrétien évangélique, et ses conservateurs n’ont pas osé mener un assaut frontal sur le droit des femmes à l’avortement, car ils savent que cela serait pour eux un suicide électoral. Mais ils tentent, par d’autres moyens, de défendre un programme de conservatisme social et d’obscurantisme religieux. L’attaque sur la science est une pièce maîtresse de ce projet et concorde avec d’autres changements effectués dans le financement d’organismes gouvernementaux et non gouvernementaux.
L’aide financière offerte par l’Agence canadienne de développement international (ACDI) à des organisations religieuses à but non lucratif a augmenté de 42 % entre 2005 et 2010. Durant la même période, les ONG laïques n’ont obtenu qu’une augmentation de 5 %. Et afin d’établir un lien plus direct entre la politique étrangère prédatrice du gouvernement et l’ACDI, cette organisation sera bientôt intégrée au ministère des Affaires étrangères. Les universités et les collèges chrétiens ont aussi profité d’une hausse considérable de leur financement durant les dernières années.
Récemment, le gouvernement Harper – tandis qu’il attaque les droits démocratiques des travailleurs en grève en décrétant des lois forçant le retour au travail, lance les forces répressives de l’État contre les activistes de mouvements sociaux et environnementaux (G20) et tente de masquer ses tactiques antivotes des dernières élections – a annoncé en grandes pompes la création du Bureau de la liberté de religion et un important financement pour ce dernier.
L’assaut sur la science, étroitement lié à la justification de l’obscurantisme religieux par l’État, obtient un appui considérable dans l’établissement politique et médiatique, car l’éloge de ces idéologies est l’un des principaux moyens par lesquels l’élite dirigeante tente de créer une base d’appui pour son programme antidémocratique et militariste de droite. À l’opposé, la promotion de la raison et de la science doit devenir le principe fondateur d’une lutte socialiste de la classe ouvrière pour la libération de l’humanité.
(Article original paru le 4 avril 2013)