L'accueil chaleureux réservé par le récent congrès de la FTQ (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec) à Gabriel Nadeau-Dubois met en lumière une des leçons essentielles à tirer de la grève étudiante québécoise de 2012.
La direction de la CLASSE, la plus militante des trois fédérations étudiantes, dont Nadeau-Dubois était le principal porte-parole, a aidé la bureaucratie syndicale à isoler les étudiants et à détourner le mouvement d'opposition derrière le Parti québécois. Elle s'est opposée à un tournant vers les travailleurs et à une lutte pour lier le rejet d'une hausse des frais de scolarité à une mobilisation de la classe ouvrière contre tout le programme d'austérité de la classe dirigeante.
L'invitation faite à Nadeau-Dubois de prendre la parole devant les délégués de la FTQ réunis fin novembre à Québec pour leur congrès triennal, était sa récompense pour avoir gardé le silence sur le rôle traitre que les dirigeants syndicaux, et ceux de la FTQ en particulier, ont joué pour saboter la grève étudiante de 2012.
Devant le congrès, comme durant la grève, Nadeau-Dubois n’a pas dit un mot sur l'intervention de Michel Arsenault, alors président de la FTQ, pour pousser les associations étudiantes à accepter une entente pourrie au début de mai 2012 au nom de la paix sociale. Suite aux fortes pressions d'Arsenault et d'autres chefs syndicaux, les associations étudiantes ont accepté une hausse des frais de scolarité de 82 pour cent sur sept ans et une participation conjointe avec les syndicats à un organisme chargé de superviser les coupes budgétaires dans les universités. Bien que signée par toutes les associations étudiantes, l'entente a été rejetée massivement par les étudiants.
Nadeau-Dubois a omis de mentionner qu’après le passage de la loi 78 criminalisant les manifestations au Québec et forçant les enseignants à devenir des briseurs de grève, les dirigeants syndicaux ont déclaré que leurs organisations s’y conformeraient entièrement. Ça faisait partie de leurs efforts pour tuer dans l'oeuf un mouvement naissant des travailleurs qui sortaient spontanément dans la rue sur une base quotidienne pour protester contre la loi 78. La haine de la classe ouvrière pour le gouvernement libéral de Jean Charest et son programme d’austérité menaçait de transformer la grève étudiante en un large mouvement de la classe ouvrière dont les revendications auraient dépassé la simple abolition de la hausse des frais de scolarité.
L’ancien représentant étudiant est demeuré silencieux sur une lettre envoyée précisément à ce moment critique, fin mai 2012, par Michel Arsenault aux syndicats hors-Québec pour leur demander de ne pas participer aux manifestations étudiantes ni d'offrir le moindre soutien matériel aux grévistes.
Pas un mot non plus sur la campagne qu'a ensuite lancée la FTQ, sous le slogan «après la rue, les urnes», pour détourner la lutte étudiante derrière le Parti québécois. L’élection du PQ a d'ailleurs été accueillie avec enthousiasme par la CLASSE. Une fois au pouvoir, le gouvernement péquiste dirigée par Pauline Marois a imposé une politique d’austérité encore plus dure que celle du gouvernement libéral précédent, y compris des compressions budgétaires de 250 millions sur deux ans aux universités. Quelques mois plus tard, le PQ tenait son Sommet sur l’enseignement supérieur où le principe d’une hausse permanente des frais de scolarité était décrétée.
Malgré les mesures anti-ouvrières dévastatrices adoptées par le PQ, Nadeau-Dubois continue de maintenir la fiction que la grève était un succès. «C’est une victoire, une vraie victoire», a-t-il déclaré devant le congrès de la FTQ.
Les propos de Nadeau-Dubois ont été chaudement reçus parce qu’ils servaient à camoufler le sabotage de la grève étudiante de 2012 par les centrales syndicales. De plus, les critiques acerbes dirigées contre lui par le gouvernement et les grands médias pour justifier une massive opération policière contre les étudiants grévistes, ont valu à l'ancien porte-parole de la CLASSE une image de «radical» que la bureaucratie syndicale cherche à exploiter pour redorer sa propre image de plus en plus ternie auprès des travailleurs.
Nadeau-Dubois, tout en faisant l'éloge du rôle progressiste de la FTQ, a dû admettre que les «jeunes se désintéressent du mouvement syndical» et les travailleurs «préfèrent ne pas être syndiqués». Il a offert ses services à la bureaucratie syndicale pour l'aider à préserver sa crédibilité auprès des travailleurs, affirmant de manière démagogique: «Si l'élite économique continue à nous attaquer, il n'y a qu'une seule réponse», y compris «dans la rue».
La présence de Nadeau-Dubois, et ses propos calculés contre les «attaques de la droite» dirigées aujourd'hui contre la FTQ, s'inscrivaient dans une campagne de relations publiques associée au thème principal du congrès: la défense du Fonds de solidarité, en tant qu'outil corporatiste cimentant les liens étroits des dirigeants de la FTQ avec la grande entreprise, et comme source de privilèges spéciaux.
Ce fonds d'investissement bénéficie de généreuses subventions tant du gouvernement provincial québécois que du gouvernement fédéral canadien. Il fait partie des ligues majeures des institutions financières du Québec avec plus de 9 milliards d’actifs et des investissements dans plus de 2200 compagnies au Québec. Le président de la FTQ est nommé d’office président du conseil d’administration du Fonds de solidarité et plusieurs autres postes importants reviennent à des bureaucrates syndicaux.
En dénonçant les «attaques de la droite» dans ce congrès, les dirigeants de la FTQ visaient surtout la campagne d’une section de la bourgeoisie pour diminuer le rôle que joue la bureaucratie au Fonds de solidarité. Plusieurs institutions financières sont enragées de l’avantage concurrentiel que procurent aux fonds d'investissement syndicaux les généreux crédits d’impôts offerts par les gouvernements.
Au Québec comme ailleurs dans le monde depuis plus de 30 ans, les appareils syndicaux se sont transformés en agences de gestion du personnel. Universellement, ils organisent la démobilisation des travailleurs et font accepter des reculs sur les salaires et les conditions de travail en échange de meilleures positions et d’autres privilèges pour les bureaucrates syndicaux. Avec leur contrôle de fonds d'investissement valant plusieurs milliards, ils ont acquis en outre un puissant incitatif financier à intensifier l'exploitation des travailleurs. Le Fonds de solidarité incarne cette conception corporatiste que les syndicats doivent aider les compagnies à devenir concurrentielles et rentables.
Le rôle joué par l'ex-dirigeant de la CLASSE pendant la grève et devant le congrès de la FTQ est typique de toute une couche des classes moyennes supposément «progressistes», regroupées notamment dans Québec solidaire dont Nadeau-Dubois est très proche politiquement. Il consiste à donner une couverture de gauche à une bureaucratie syndicale privilégiée, pro-capitaliste et franchement hostile aux intérêts des travailleurs.