Au cours de la semaine passée, des vagues d’explosions à la bombe et de fusillades ont déchiré l’Irak en faisant des victimes dans le pays tout entier.
Hier, 14 personnes au moins ont été tuées dans trois attaques différentes. Deux bombes placées en bordure de route dans la ville de Tuz-Khurmato, à 100 miles au nord de Bagdad, ont entraîné la mort de neuf personnes. Vingt-quatre ont été blessées. Plus au nord, dans la ville de Hawaji, deux maisons voisines ont été prises d’assaut par des militants qui ont abattu six membres d’une même famille avant de faire exploser les bâtiments et de s’enfuir.
Les chiites d’Irak et des pays avoisinants sont en train d’effectuer un pèlerinage annuel vers la ville irakienne de Karbala pour Arbaïn, un jour saint pour les musulmans chiites et qui marque le quarantième jour de deuil de la mort du petit-fils du prophète Mahomet et qui tombe cette année le 23 décembre. Les pèlerins représentent des cibles faciles d'attentats suicides qui visent les chiites, et la sécurité renforcée par le gouvernement n’a guère diminué l’effusion de sang.
La veille, 46 personnes au moins ont été tuées et 100 autres blessées dans des attaques perpétrées partout en Irak. Un ancien journaliste de Reuters qui travaille pour les médias irakiens a également été tué jeudi ainsi que son fils dans une explosion qui a tué au moins 16 personnes et blessé 31 autres dans la banlieue sud de Bagdad. Mohanad Mohammed est le dixième journaliste en moins de trois mois à être tué dans le pays.
Deux autres attaques visant des régions chiites au sud de Bagdad ont fait au moins 16 morts et 18 blessés dont des enfants et une femme âgée qui, le visage couvert de sang, a été emmenée d’urgence à l’Hôpital Yarmuk de Bagdad.
Jeudi, dans une autre attaque, des militants en uniforme, auraient tué par balles un milicien Sahwa, ses trois enfants, sa femme et son beau-frère, après s’être introduits dans leur maison à Abou Ghraïb, à l’ouest de Bagdad.
La milice Sahwa a été financée par l’armée américaine et le gouvernement irakien. Elle se compose de membres de tribus sunnites. Depuis 2006, elle patrouille les quartiers et combat d’autre insurgés et membres sunnites d’al Qaïda. Les membres de la milice Sahwa sont actuellement la cible fréquente d’autres militants sunnites qui les considèrent comme des traîtres. Hier, quatre autres membres de la milice ont été blessés dans deux attaques distinctes dans la région de Sharqat, au nord de Bagdad.
Au total, plus de 8.000 personnes ont été tuées cette année suite à des violences sectaires en Irak – un niveau jamais vu depuis 2008 et la fin de la « montée en puissance » des troupes d’occupation américaines dans le pays. En novembre, 948 personnes ont été tuées dans des attaques violentes perpétrées à travers l’Irak ; quatre-vingt-dix pour cent des victimes, soit 852 personnes, étaient des civils.
Dix ans après que Washington a envahi l’Irak, sur la base de mensonges selon lesquels l’Irak menaçait le monde car elle possédait des armes de destruction massive, et a mené une guerre qui a eu pour conséquence la mort de centaines de milliers de personnes, les conflits sectaires attisés par l’occupation américaine de l’Irak et la dévastation qui s’en est suivie dans le pays continuent d’avoir des conséquences tragiques.
Lorsque les Etats-Unis ont finalement soutenu en Irak un gouvernement chiite appuyé par l’Iran, ce dernier s’est heurté à une opposition grandissante non seulement de la part des couches sunnites qui gravitent autour de ce qui reste du vieux parti baasiste de Saddam Hussein, mais aussi des combattants islamistes sunnites. Selon une étude réalisée en 2007, 60 pour cent des combattant et des instigateurs d’attentats suicides en Irak émanent, via la Syrie, de pays à prédominance sunnite, à savoir l’Arabie saoudite et la Libye.
L’accroissement cette année de la violence sectaire en Irak est avant tout le résultat de la politique américaine consistant à attiser une guerre par procuration en Syrie voisine où les Etats-Unis ont armé des rebelles sunnites alliés à al Qaïda en tentant de renverser le régime du président Bachar al Assad.
En octobre, durant sa visite cette année à Washington, le premier ministre Maliki avait souligné le rôle que joue al Qaïda dans l’accroissement de l’instabilité du pays en disant, « Les terroristes sont revenus en Irak au moment où la situation, voire le conflit a débuté en Syrie. »
Le petit groupe d’al Qaïda appelé l’Etat islamique en Irak et al Sham (ISIS) a notamment obtenu le soutien d’alliés des Etats-Unis et a constitué des bastions de part et d’autre de la frontière entre l’Irak et la Syrie.
ISIS s’efforce d'établir le contrôle sur plusieurs provinces irakiennes en revendiquant de vastes parties du désert occidental de l’Irak. Al Qaïda achemine des militants et du matériel et franchit sans entrave la frontière entre la Syrie et l’Irak. Sa base d’appui est en train de prendre de l’ampleur au sein de la communauté sunnite irakienne suite à la répression gouvernementale. En Irak, le groupe a aussi réussi à organiser avec succès plusieurs évasions de prison, dont une attaque contre la prison d’Abou Ghraïb qui a libéré des centaines de prisonniers.
Les tensions entre les éléments sunnites et le gouvernement à dominance chiite du premier ministre Nouri al-Maliki, et qui a été mis en place par Washington, avaient provoqué des protestations en Irak à la fin de l’année dernière. Des milliers de personnes étaient descendues dans la rue et avaient été réprimées par le gouvernement qui, redoutant une guerre civile selon le schéma syrien, avait puni des quartiers sunnites entiers.
La conséquence en a été une escalade de la violence dans les deux camps. En avril, l’armée a tué par balle 53 manifestants à Hawija. Le régime irakien a exécuté cette année plus 160 personnes pour actes de terrorisme.
Le bain de sang en Irak se poursuit encore alors même que, pour le moment du moins, les tactiques régionales américaines prévoyant une attaque militaire directe contre la Syrie ont été délaissées au profit de la conclusion d’un accord avec l’Iran et la Syrie, alors qu’en Irak les forces sunnites islamistes qui regorgent d’armes et d’argent fournis par les alliés des Etats-Unis continuent de lancer des assauts contre les forces chiites et gouvernementales.
(Article original paru le 21 décembre 2013)