La National Security Agency (NSA) espionne des centaines de millions d'utilisateurs de Google et Yahoo, selon un article du Washington Post paru le 30 octobre et s'appuyant sur les documents internes fournis par l'ex-agent Edward Snowden.
La NSA a pénétré les principaux canaux de communication qui relient les serveurs de Yahoo et Google sur toute la planète dans le cadre d'un programme intitulé « MUSCULAR » établi en partenariat avec le GCHQ (Government Communications Headquarters) britannique. Ces agences collectent et passent en revue toutes les communications – qu'elles concernent des citoyens américains ou non – entre ces serveurs.
En raison du caractère indiscriminé de cette collecte de données, la NSA décrit cette opération comme une « prise complète, » un « accès total » et de « gros volume. » Une fois les communications collectées, elles sont explorées en s'appuyant sur des critères qu'elle ne divulgue pas, et l'essentiel est stocké de manière permanente dans des sites de la NSA.
Ce reportage dément totalement les affirmations du gouvernement Obama et des députés américains selon lesquelles les agences américaines respectent la vie privée et opèrent sous supervision stricte de la loi. Les témoignages des chefs des agences de renseignements devant la Commission de la Chambre des députés mercredi, qui visaient à désamorcer la crise diplomatique sur les révélations d’espionnage par les Etats-Unis de la Chancelière allemande Angela Merkel et de centaines de millions d'appels téléphoniques et de SMS en Europe, étaient de la désinformation et du mensonge.
Un document top secret de la NSA montre que durant la période d'un mois précédant le 9 janvier 2013, le programme MUSCULAR a expédié plus de 181 millions de nouveaux enregistrements pour archivage au quartier général de la NSA à Fort Meade, dans le Maryland. Ces données comprennent à la fois des « metadonnées » - comme l'identité ou l'emplacement de l'expéditeur et du destinataire des messages – et le contenu des communications, qu'elles soient en texte, audio ou vidéo.
Google et Yahoo gèrent d'énormes centres de traitement des données sur toute la planète, qui conservent les données des utilisateurs en plusieurs endroits en cas de perte accidentelle des données ou de coupure du système. Ils expédient également des sauvegardes d'archives entières – contenant des années d'emails et de fichiers joints – d'un serveur à l'autre, que la NSA collecte dans leur ensemble. Les documents de la NSA affirment que cela permet à l'agence non seulement d'intercepter des communications sur le vif, mais aussi d'avoir « une vue rétrospective de l'activité de la cible. »
Les ingénieurs de Google qui ont parlé au Post sous le couvert de l'anonymat « ont proféré un flot d'injures » quand les journalistes leur ont montré les diagrammes de la NSA sur l'« exploitation du cloud de Google, » qui révèlent comment la NSA a brisé le cryptage de Google.
« L'objectif clair de la NSA n'est pas simplement de collecter tout cela, mais de le conserver aussi longtemps qu'ils peuvent, » a déclaré le journaliste Glenn Greenwald au quotidien espagnol El Mundo. « Donc ils peuvent désigner à n'importe quel moment un citoyen espagnol ou de n'importe où ailleurs et savoir ce qu'il a fait, avec qui il a communiqué. »
Les responsables de la NSA contactés par le Post et Politico ont refusé de nier le rapport du Post ou d'expliquer les caractéristiques du programme MUSCULAR. Une porte-parole de la NSA a déclaré à Politico, « la NSA est une agence de renseignements extérieurs. Et nous nous concentrons sur la découverte et le développement de renseignements sur des cibles valides pour les renseignements extérieurs uniquement. »
Les affirmations de la NSA n'ont cependant aucune crédibilité. Des documents du tribunal FISA (Foreign Intelligence Surveillance) montrent que les agences américaines de renseignements ont déjà collecté une énorme masse de données sur les citoyens américains et ont menti à ce sujet devant ce tribunal. (Lire en anglais : FISA records document “daily violations” by government spy agencies).
Les responsables de Google et Yahoo, qui confient déjà des données sur leurs utilisateurs au gouvernement américain dans le cadre du programme PRISM de la NSA, ont déclaré qu'ils n'étaient pas au courant de cette infiltration supplémentaire dans leurs Centres de traitement des données. Google a publié une déclaration disant qu'ils sont « troublés par les allégations sur l'interception par le gouvernement du trafic entre nos centres de traitement des données, et [qu’ils ne sont] pas au courant de cette activité. »
Cet article est une indication de plus de la manière dont le complexe militaro-secret américain a développé, par des moyens illégaux, l'infrastructure de surveillance dont aurait besoin un état policier mondial.
L'ampleur des opérations et le fait qu'elles visent des chefs d'états européens démentent les affirmations selon lesquelles ces programmes sont conçus pour lutter contre Al Qaïda dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». Ils visent toute personne considérée comme une menace potentielle pour les intérêts stratégiques de la classe dirigeante américaine, non seulement les gouvernements européens, mais, surtout, la population des États-Unis, d'Europe et du monde.
Cette activité a été menée durant des années en violation manifeste du droit des États-Unis, ce que même le tribunal FISA, un tribunal secret qui fonctionne sans rendre de comptes au public et sans possibilité d'appel, a reconnu. En 2011, quand il a découvert que des méthodes similaires étaient utilisées à une plus petite échelle pour espionner les flux d'informations aux États-Unis, le juge John D. Bates de ce tribunal a rendu une décision qui affirmait que ce programme n'était « pas conforme » au quatrième amendement de la constitution américaine.
La tentative du gouvernement de rassurer le public sur ces programmes a consisté en des séances de désinformation. L'audience de mercredi a été l'occasion d'une déclaration conjointe minutieusement élaborée par James Clapper, directeur des renseignements nationaux, le général Keith Alexander, directeur de la NSA, et James Cole, adjoint du ministre de la justice.
Cette déclaration insistait sur l'idée que les reportages des médias sur la collection de renseignements effectués conformément à la section 215 du USA Patriot Act et à la section 702 de la Loi sur les renseignements extérieurs (Foreign Intelligence Surveillance Act) étaient « inexacts. » Ils affirmaient que dans le cadre de la section 215, les agences de renseignement « ne collectent le contenu d'aucun appel téléphonique ni d'aucune information identifiant les appelants, nous ne collectons pas non plus les informations sur la localisation des téléphones portables. » Ils expliquaient aussi que l'espionnage mené dans le cadre de la section 702 « ne visait que des non-Américains à l'étranger. »
Aucune de ces affirmations ne réfute les informations qui disent que Washington est impliqué dans une vaste opération d'espionnage contre des cibles aux États-Unis comme à l'étranger. En admettant que ces affirmations ne sont pas des mensonges éhontés, elles signifient simplement que les espions utilisent d'autres justifications pseudo-légales pour enregistrer les appels téléphoniques des citoyens américains et pour espionner ceux-ci.
Dans le cas des saisies totales de données de Google et Yahoo, la NSA a exploité le fait que les centres de traitement des données en question sont situés en dehors des États-Unis, ils ne tombent pas sous la juridiction de la FISA, mais relèvent directement du pouvoir exécutif. Les données en question sont cependant les mêmes que celles qui se trouvent dans les centres de ces compagnies situés aux États-Unis.
« Une collection de contenu Internet d'une telle ampleur serait illégale aux États-Unis, » écrit le Post, « mais les opérations ont lieu à l'étranger, où la NSA a le droit de présumer que toute personne qui se sert d'un lien de communication étranger est un étranger. »
En dépit des contorsions et des mensonges évidents des responsables des services de renseignements, les représentants du peuple se sont aplatis devant les chefs de l'espionnage mercredi. Le député démocrate Dutch Ruppersberger a déclaré qu'il voulait « remercier les gens de la communauté des renseignements » et a ajouté : « la NSA ne cible pas les Américains aux États-Unis et ne cible pas non plus d'Américains n'importe où ailleurs, sans un mandat judiciaire. »
Comme le montrent clairement les révélations du Post, les affirmations de Ruppersberger sont fausses et l'ensemble de cette audience n'était qu'une parodie destinée à tromper le public.
(Article original paru le 31 octobre 2013)