L’inégalité sociale atteint des niveaux record en Russie

Le Rapport sur la fortune mondiale publié cette année par la banque suisse Crédit Suisse a noté que 22 ans après l’effondrement de l’Union soviétique, le fossé qui existe entre la grande masse de la population et les ultra-riches en Russie est plus grand que dans n’importe quel grand pays dans le monde. Trente-cinq pour cent de la richesse totale du pays se trouve entre les mains de 0,00008 pour cent de la population, soit 110 personnes sur une population totale de 143 millions. 

L’étude révèle que: « La Russie a le plus gros niveau d’inégalité dans le monde, hormis les petits pays des Caraïbes où résident des milliardaires. Dans le monde entier, il y a un milliardaire pour 170 milliards de dollars de richesse des ménages ; la Russie en compte un pour 11 milliards de dollars US. De par le monde, les milliardaires possèdent collectivement entre 1 et 2 pour cent de la fortune totale des ménages ; en Russie 110 milliardaires accumulent actuellement 35 pour cent de toute la richesse du pays. » 

Dans le même temps, 94 pour cent de la population adulte possède moins de 10.000 dollars. Le un pour cent le plus riche de la population, soit environ 1,43 million de personnes, contrôle 71 pour cent de toute la richesse.

Même au sommet de la pyramide des richesses, la richesse russe est répartie de façon très inégale. Selon le Crédit Suisse, 5,6 pour cent de la population possèdent entre 10.000 et 100.000 dollars, 0,6 pour cent entre 100.000 et 1 million de dollars, et 0,1 pour cent plus de 1 million de dollars. La banque estime que d’ici cinq ans le nombre de milliardaires passera de l’actuel total de 84.000 à 133.000.

L’un des auteurs de l’étude, Anthony Shorrocks, a dit en parlant de la situation en Russie : « Il n’y a pas de parallèles. Si vous examinez la manière dont les Russes sont parvenus à leur argent et aux relations politiques qui sont indispensables pour le garder, alors il existe très peu d’endroit où la situation est analogue. »

Mais, même ces chiffres monstrueux sous-estiment encore la situation réelle. Le Crédit Suisse a basé ses calculs sur la liste des milliardaires qui est publiée annuellement par le Magazine Forbes. Les résultats de ces calculs sont imparfaits à deux titres. D’abord, parce qu’en Russie une grande partie du capital des riches – notamment les biens immobiliers – demeure confidentielle. L’économie parallèle représente en Russie environ 50 pour cent du produit intérieur brut.

Ensuite, la liste Forbes n’inclut pas tous les individus ultra-riches du pays. Ceux qui occupent des positions clé au gouvernement – comme le président Vladimir Poutine dont la fortune personnelle est évaluée entre 40 et 70 milliards de dollars – sont exclus.

Le président russe est l’une des personnes les plus riches du monde. Sa collection de montres à elle seule est estimée à plus 250.000 dollars. De plus, il possède plusieurs palais, des yachts et des avions.

Le journaliste britannique Ben Judah qui est bien organisé sur les réseaux sociaux a écrit dans son livre Fragile Empire (Yale University Press, 2013) : « Le meilleur moyen de dépeindre l’élite russe est de regarder les oligarques figurant dans le classement des Russes les plus riches de Forbes, puis de leur superposer une liste de ministres, de hauts responsables et de directeurs d’entreprises publiques, et de se représenter ensuite une liste d’amis personnels de Poutine, avant d’esquisser un graphique en forme de toile d’araignée incluant les membres de la famille et le réseau de toutes les personnes ci-dessus mentionnées. » (p. 124)

Cette concentration de la richesse sociale, créée par la classe ouvrière, entre les mains de quelques oligarques dont la fortune est basée sur des activités criminelles et la destruction de l’économe soviétique est une accusation accablante de la restauration du capitalisme en Russie.

Depuis 2000, le nombre de milliardaires s’est accru à une vitesse vertigineuse. Selon la liste Forbes, en 2000 il n’existait pas en Russie de milliardaires en dollars. En 2003, il y en avait déjà 17 et en 2008 ce chiffre était passé à 87. Après la crise de 2008, 23 milliardaires de plus avaient rejoint la liste. Dans son rapport, le Crédit Suisse indique qu’en Russie les « chances de survie » des milliardaires étaient plus élevées que dans n’importe quel autre pays BRIC ou du G7, et que les ultra-riches jouissaient apparemment en Russie d’un niveau tout particulièrement élevé de protection de la part de l’Etat.

Grâce à une croissance économique alimentée par une hausse des prix du pétrole une classe moyenne supérieure petite mais non négligeable est apparue. Tout comme aux Etats-Unis, en Russie plus de la moitié du revenu national est allée en 2011 aux 20 pour cent les plus riches tandis que les 20 pour cent de la population au bas de l’échelle ont reçu entre 3 et 5 pour cent.

La grande masse de la population vit dans des degrés variables de pauvreté. Même les chiffres officiels édulcorés sont alarmants : en 2010, 12,6 pour cent de la population (près des 18 millions de personnes) vivaient officiellement dans une pauvreté extrême. Selon un article publié par le chercheur politique russe, Israpil Sampiev, la proportion de ceux qui « ont peu » correspondaient à 40,2 pour cent à la campagne et à 59,7 dans les villes.

Depuis la crise de 2008-2009, la polarisation sociale s’est intensifiée. Comme dans les autres pays, en Russie les élites ont exploité la crise pour intensifier les attaques menées contre la classe ouvrière et la répartition de la richesse sociale d’en bas vers le haut. Selon le Crédit Suisse, la part du capital détenue par les milliardaires est passée rien qu’en 2012 de 30 à 35 pour cent.

Parallèlement, la moyenne de la richesse de la grande majorité de la population a chuté considérablement depuis 2007, fluctuation des taux de change prise en compte. En 2007, un adulte moyen possédait en Russie un capital de 14.000 dollars ; en 2013, cette somme était tombée à 11.900 dollars.

Ces énormes niveaux d’inégalité sociale confirment la perspective du Comité International de la Quatrième Internationale qui est l’unique tendance politique à avoir prévenu que la pérestroïka était le mécanisme politique par lequel la bureaucratie avait cherché à restaurer le capitalisme. La destruction des formes de propriété sociale créées par la Révolution d’Octobre a eu pour conséquence des niveaux d’inégalité et une catastrophe sociale de proportions historiques.

Les chiffres concernant la richesse et le revenu donnent une vague idée du désastre social causé par la démolition de l’Etat soviétique. Les systèmes de soins et d’éducation ont presque totalement été ruinés. Il y a une grave pénurie de personnel qualifié dans tous les domaines et les infrastructures sont dans un état de délabrement avancé. Les incendies et les accidents causent chaque année des milliers de morts. Les catastrophes naturelles occasionnent régulièrement des centaines de morts et la ruine financière de dizaines de milliers de personnes.

Ce processus se reflète tout particulièrement dans le spectaculaire déclin de la population.

Selon l’ONU, la population russe diminuera de son actuel niveau de 143,5 millions pour atteindre entre 121-133 millions d’ici 2025. Depuis 1991, elle a déjà baissé de près de 5 millions de personnes dont près d’un million sont mortes par suicide. En Russie, le taux de suicide chez les adolescents figure parmi le plus élevé du monde, et n’est dépassé que par le Kazakhstan et la Biélorussie. Selon les chiffres de l’ONU, 22 jeunes pour 100.000 se suicident. Par comparaison la moyenne mondiale est d’à peine 7.

(Article original paru le 19 octobre 2013)

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